Entre l’idée de Georges Frêche et du professeur Jacques Michaud, et l’ouverture effective du grand musée de la romanité de Narbonne, Narbo Via, il aura fallu onze ans. Le 19 mai dernier le public a donc découvert le prestigieux bâtiment dédié à Narbo Martius, première colonie romaine fondée hors d’Italie en 118 avant notre ère, ancienne capitale de la province de Gaule narbonnaise. Une prouesse architecturale, technologique et archéologique en matière d’établissement muséal qu’a relevé la Région Occitanie/Pyrénées-Méditerranée, maître d’ouvrage de ce projet d’envergure, construit à l’entrée est de la ville.

Les collections
D’autant que le projet relevait de la gageure, dans la mesure où, contrairement à Nîmes ou Arles, Narbonne ne possède plus de monuments rappelant immédiatement au visiteur son histoire romaine, comme des arènes, par exemple. « C’est une réalité, indique Valérie Brousselle, la directrice du musée. Il faut savoir que les Romains, et sûrement ici plus qu’ailleurs, réemployaient les matériaux, les pierres et les œuvres qui vont avec, dans leurs nouvelles constructions. Une sorte d’écologie avant l’heure. Idem à l’époque moderne. Nous avons par exemple un bloc de marbre de la fin du Ier siècle avant J.-C où est gravée une frise de guirlandes et bucrane, un décor très fréquent dans l’architecture romaine depuis l’époque d’Auguste, qui a été réemployé au Moyen Âge, et porte, sur l’autre face, les blasons du consul de Narbonne. »
Autre exemple de réemploi L’acrotère de la Nautique, l’œuvre la plus ancienne que possède le musée. « On ne voyait que sa base, le socle, qui servait à boucher un regard d’égout, précise la directrice. Un archéologue l’a trouvé, a retourné ce socle et derrière, l’œuvre très bien conservée représentant la toison du lion de Némée. »
Mais la monumentalité invisible de Narbonne ne signifie pas pour autant absence et pauvreté des vestiges romains. Bien au contraire. Narbo Via rassemble désormais l’ensemble des collections antiques romaines de la ville jusque-là présentes au sein du musée lapidaire et du musée archéologique de Narbonne. Soit une riche collection de plus de 9 000 pièces, de quoi rendre ses lettres de noblesse à Narbonne, la Romaine.


Ces collections comportent aussi des mobiliers archéologiques issus des fouilles des ports antiques de Narbonne et de sites archéologiques de première importance,  Gruissan, Port-la-Nautique, Mandirac et, bientôt, la nécropole des berges de la Robine, le long de laquelle le bâtiment est érigé. Des vestiges mis au jour par les fouilles préventives réalisées en 2018 sur le chantier de l’opération publique d’aménagement urbain du quartier. Les collections comprennent aussi une série d’enduits peints et de mosaïques tirée des maisons romaines du Clos de la Lombarde, comparables à celles trouvées à Pompéi.

L’architecture
L’écrin dans lequel sont exposés tous ces vestiges est lui aussi adepte du réemploi. Il a été conçu par le cabinet d’architecture Foster & Partners – qui a aussi signé en Occitanie des projets comme le Viaduc de Millau ou le Carré d’art à Nîmes – associé au studio Adrien Gardère pour la muséographie et à l’architecte nîmois Jean Capia. Les 8 000 m2 de plain-pied ont été construits selon une technique de couches horizontales de béton, teinté couleur brique, et obtenues à partir de terres locales. Elles rappellent la stratigraphie en archéologie. L’inspiration antique de l’architecture se manifeste également par des ouvertures zénithales qui évoquent l’atrium des maisons romaines. Une architecture novatrice, contemporaine, donc, pour donner à voir et mettre en avant ce passé et cette monumentalité de Narbonne la Romaine, jusque-là plutôt cachés et éparpillés.

À l’intérieur, les salles s’organisent autour d’un atrium central le long de l’impressionnante et insolite galerie avec son mur lapidaire : 76 mètres de long pour 10 mètres de haut… La colonne vertébrale de Narbo Via avec ses 760 blocs de pierre et de marbre répartis sur deux rangées, issus la plupart des nécropoles romaines de la ville antique. Ce mur ouvre le parcours immersif et interactif des collections. Un dispositif automatisé inédit, permettant de réorganiser les œuvres au moyen d’un engin de levage intégré, met en avant régulièrement une pierre. Celle-ci, entourée d’écran, est racontée, détaillée, mise en situation… Tout comme l’écran tactile, face au mur, à disposition du visiteur, qui peut ainsi observer les détails des blocs lapidaires numérisés en 3D.
La technologie et les dispositifs numériques enrichissent également le parcours. Quatre alcôves mettent en valeur les coulisses de la recherche archéologique, ses spécialités et ses pratiques. Dont, par exemple, celle entièrement dédiée à la reconstitution en 3D du Capitole de Narbonne, qui était placé sous le collège Hugo. Un film montre, du dessin à la reconstitution 3D, comment, à partir des quelques œuvres trouvées lors de fouilles, les archéologues ont pu reconstituer l’édifice « qui pouvait contenir la Maison Carrée tout entière, indique la directrice. Narbo Via sera un des outils importants pour rendre visible non seulement le fond archéologique dont est dotée Narbonne mais aussi sa monumentalité romaine antique ».

Le musée Narbo Via, nouveau lieu de culture et d’histoire de la Région, bien qu’ouvert au public, n’a pas encore dévoilé toute sa richesse. Jardins, restaurant, auditorium, programmation culturelle dans et hors les murs, avec des rendez-vous festifs, des ateliers pédagogiques, des expositions temporaires, des conférences, des visites de chantiers de fouilles… Peu à peu, Narbo Via devrait devenir non seulement le musée de la romanité narbonnaise que l’on visite, mais aussi celui que l’on fréquente, où l’on revient. n

Note :  Narbo Via, musée de France, est géré au travers d’un établissement public de coopération culturelle (EPCC) réunissant l’État, la Région Occitanie, le Grand Narbonne et la Ville de Narbonne. Carole Delga, présidente de la Région, en a été désignée présidente. L’EPCC gère aussi les sites archéologiques d’Amphoralis à Sallèles-d’Aude et de l’Horreum de Narbonne.