
Benoît Bonnemaison-Fitte aime brouiller les pistes. Il change souvent de blaze. Il peut se faire appeler Bonnefrite ou Bonfrit… et au jeu des questions sur son métier, l’inlassable touche-à-tout se définit comme dessinateur fabricant artisanal d’images fixes et animées, projeteur projectionniste et glaneur d’images. Noir et blanc/couleur, structuré/destructuré, joyeux/ténébreux… Benoît Bonnemaison-Fitte explore les multiples facettes de notre monde. Riche d’une énergie créative consolidée par un parcours atypique, il invite le spectateur à se questionner sur son environnement.
Dans son très vaste univers se côtoient dessins, graphisme, affiches. Ses œuvres sont d’ailleurs exposées dans des galeries, dans la rue, des théâtres (Garonne, Sorano, l’Escale Tournefeuille, Pronomades, la Manufacture de Nancy, etc., etc.), sur des supports de communication pour des programmations culturelles ou des festivals, dans des librairies (il crée des livres d’enfants)… jusque dans des lieux aussi improbables que le stade toulousain, la Fondation pour le logement des défavorisés (ex-Fondation Abbé-Pierre) ou des Ehpad dans lesquels il fait entrer l’art, avec « un concours des résidents seniors ». Depuis son petit village d’Aurignac (31) qu’il se refuse de quitter, l’artiste continue de façonner son imaginaire.

Un parcours chaotique
Il rêvait d’être batteur dans un groupe de rock ou de punk mais ses parents ont préféré canaliser son énergie en l’envoyant, à 14 ans, en Arts appliqués à Bordeaux (33). Pas vraiment de révélation mais il intègre ensuite un BTS au Pôle supérieur de design de la Souterraine (23), opportunité pour pouvoir prendre des cours non loin de là avec le musicien batteur Jean-Marc Ladujie. « Dessiner des voitures ne m’intéressait absolument pas, j’étais le dernier de la classe, raconte Benoît Bonnemaison-Fitte. Mais pour faire chier les enseignants, je me suis inscrit à l’École nationale supérieure de création industrielle (ENSCI), à Paris, et contre toute attente, j’ai été reçu. Je crois que mon approche originale et atypique a séduit le jury. Là, j’ai eu conscience de rentrer dans la cour des grands ! » Six mois plus tard, dans le cadre de l’école, il part en stage au Chili « chez un designer génial » puis travaille avec un peintre sur la préfiguration d’un musée à Santiago. L’année de l’obtention de son diplôme, il est papa, il a 23 ans, et décide, avec sa femme, de revenir à Toulouse.
À la décharge
À l’image de son parcours scolaire chaotique, les projets de Benoît Bonnemaison-Fitte partent dans tous les sens. Il s’est lancé dans les origamis, a fait du graphisme pour des emballages d’aliments frais, travaillé sur des caisses alimentaires en amidon de maïs ou sur des matériaux compostables. « J’étais très influencé par José Bové (cofondateur de la Confédération paysanne – NDLR) mais aussi par le film Les Glaneurs et la Glaneuse d’Agnès Varda qui me rappelait mon enfance car le soir, de retour du collège, on s’arrêtait avec mon père (prof de maths et collectionneur de timbres, de livres…) à la décharge pour récupérer livres, affiches, plaques émaillées, jouets… Je me souviens avoir été fasciné par la typographie trouvée dans une vieille bible. Tous ces environnements graphiques, ces découvertes d’images, ont, sans même m’en rendre compte, aiguisé mon regard. Encore aujourd’hui, je ne travaille qu’avec de la récup. »
Surtout, l’ENSCI lui a donné le courage d’assumer ses envies. Il fréquente le monde du théâtre, de la musique, de la danse, des bonimenteurs, du cinéma d’animation…, se passionne pour la BD dissidente, la peinture (surtout Matisse) et pour les grands noms de l’affiche des années 20, 30, 40 ou 50 – Michel Bouvet, Carlu, Savignac, les frères Colin, Cassandre… aux univers joyeux, colorés, intelligents. « C’était avant le marketing, dit-il. D’ailleurs, si je me définis comme affichiste, c’est par respect pour cette époque complètement surannée. » Sa rencontre avec le Suisse Ronald Curchot, l’un des derniers peintres-affichistes qui a travaillé pour le Théâtre Garonne, sera déterminante.


Militant dans l’âme
Dans la lignée de ces anciens affichistes qu’il admire, le travail de Bonnefrite se caractérise par l’effacement de l’outil technique au profit du geste. Il dessine à la main, sa singularité vient sans doute de là et de sa maîtrise des process d’impression qu’il pervertit, triture jusqu’à ce que le rendu final lui convienne. À l’instar du collectif d’artistes Grapus (groupement de graphistes fondé en 1975), il crée pour agir, la recherche graphique et l’engagement politique s’entremêlant, se nourrissant, impulsant une notion de « graphisme d’utilité publique ». Annoncer par l’image plutôt que de vendre avec, prônait Grapus. « Je fais des images non pas pour susciter l’adhésion mais pour questionner, confirme l’artiste. Ce qui m’anime, c’est défendre l’humain, le libre arbitre, le droit à l’erreur. D’ailleurs, sur mes dessins, souvent je raye, je me trompe et je le montre. Mon langage graphique relève du naïf assumé, je fais souvent du second degré, mais cela ne m’empêche pas de travailler sur des sujets très graves ou politisés. »
Bonnefrite vient d’ailleurs de créer, pour le magazine Le 1 hebdo une couverture et une affiche reprenant la liste des mots bannis par Trump. En mai 2025, il a reçu le premier prix de l’Académie des Beaux-Arts du 31e festival du signe, centre national du graphisme, avec une série d’affiches pour le théâtre Sorano, avec lequel il a collaboré pendant près de dix ans. Une sacrée reconnaissance pour celui qui multiplie encore les projets : une nouvelle collaboration avec le collectif d’architecture Encore Heureux (dirigé par Nicola Delon), des conférences dessinées dans des écoles d’architecture… et un ouvrage en préparation suite à l’exposition Énergies Désespoirs qui présentait cet été, au Centquatre-Paris, 116 affiches peintes en noir et blanc Versus couleurs, explorant les deux versants de notre planète en mouvement. « L’affiche est une fenêtre dans l’espace public », aime-t-il dire. Avec Benoît Bonnemaison-Fitte, elle est sans doute encore un peu plus. Terriblement Joyeuse, sensible, poétique, humoristique, rythmique.
Légendes
1 – Bonnefrite dans son atelier.
© Yohanne Lamoulère
2 – En mai 2025, Bonnefrite a reçu le premier prix de l’Académie des Beaux-Arts du 31e festival du signe, avec une série d’affiches pour le théâtre Sorano.
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