C’est la force de l’art et de la science, qui ne savent pas se taire
Quelques fleurs en plastique, nouées autour de souvenirs forcément difficiles ; un petit drapeau tricolore planté au milieu, pour signifier l’attachement au pays pour lequel on a combattu ; quelques pierres pour s’assurer que le vent ne les emporte pas… Un geste furtif dans cette vaste étendue de courants d’air, de ruines et de fantômes qu’est le site du Mémorial de Rivesaltes ; modeste, comme pour s’en excuser par avance : « On ne veut pas déranger. »
Qui a pu composer ce touchant autel de fortune ? Une famille dont la vie a été brisée ici, bien sûr. Mais au fond, que la victime soit espagnole, juive, harkie, tsigane, homosexuelle, sénégalaise, guinéenne ou autre, condamnée par une machine administrative, idéologique, en tout cas absurde, qu’importe ! La douleur, qui persiste parfois encore aujourd’hui et demande à être reconnue, est la même pour tous.
Telle est donc la fonction de ces lieux de mémoire et de conservation que sont aussi les musées et dont il est largement question dans ce numéro d’artdeville.
Protéger des œuvres, des objets, des archives et des témoignages qui pourraient disparaître ; les rendre accessibles au plus grand nombre, les expliquer, les contextualiser… c’est aider à comprendre les mécanismes historiques, sociaux et politiques complexes. Prendre du recul, exercer son esprit critique aussi.
Les musées sont donc forcément des lieux de dialogue où se confrontent des mémoires différentes. La mise en récit de l’histoire qui leur revient, par des choix d’expositions, de mises en valeur, notamment quand les témoins directs ne sont plus là, reste une affaire délicate qui se heurte parfois à l’actualité.
Le travail de mémoire n’est donc pas seulement commémoratif, c’est un travail d’empathie, de sensibilité, de responsabilité, mais aussi un outil de vigilance démocratique, qui déplace les regards et bouscule les certitudes.
Au Mémorial de Rivesaltes, qui fête ses 10 ans ; au musée des Augustins de Toulouse qui rouvre après six ans de fermeture ; à la galerie du Château d’eau dont on a agrandi les espaces, à Toulouse également… le débat reprend.
Immanquablement, des questions se posent à nouveau, c’est la force de l’art et de la science, qui ne savent pas se taire.
Contre ceux qui le déplorent et aimeraient imposer une histoire officielle, dont les coups de boutoir se font plus violents, regardons ce petit bouquet : comme l’art, il crée ce lien invisible entre individus, générations et cultures, et réussit à rendre le monde plus habitable. Sa force symbolique devient force tout court. Pas la peine de s’en excuser.