Éditorial 94

Par Fabrice Massé

«

Un chef d’établissement – juge et partie – peut décider de l’exclusion d’un élève

»

Un monde fissuré

L’Éducation nationale a payé un lourd tribut à la société, ces dernières années. Par une actualité tragique : avec les assassinats de Samuel Paty, Dominique Bernard, le suicide d’une enseignante le jour de cette rentrée 2025, une autre poignardée… Avec l’affaire Bétharram qui a jeté la suspicion jusqu’à son ancien ministre de tutelle, accusé à tort ou à raison, d’avoir masqué les violences systémiques dans un établissement scolaire.

On aura donc de sérieux scrupules à accabler encore l’École dans ce numéro
d’artdeville.

Mais la critique est bienveillante et ne concerne pas des personnes directement ; plutôt son fonctionnement en tant qu’institution à compétence régalienne de l’État. De quoi s’agit-il ?

De l’article de Me Alexandrine Vieitez paru dans une revue professionnelle, en 2017 et de sa relecture aujourd’hui, dans artdeville, à l’aune de l’actualité.

Selon cette juge spécialiste du droit des enfants, l’Éducation nationale serait « un pourvoyeur de délinquance juvénile ». Par un « pouvoir disciplinaire exorbitant », dans cette société des enfants qu’est l’école, on jugerait les plus turbulents sans considération pour un principe fondamental en démocratie, la séparation de pouvoirs. Dans un cadre tout à fait légal pour autant : celui du « droit disciplinaire ».

Encore aujourd’hui, d’un pouce baissé, en quelque sorte, un chef d’établissement – juge et partie – peut décider de l’exclusion d’un élève et, ce faisant, de le livrer à la loi de la rue, potentiellement.

C’est cette culture autoritaire de l’Éducation nationale, ce « pouvoir vertical » que déplorait Me Vieitez en 2017. Et toujours.

En 2017 ? L’extrapolation est plus que tentante ! Avec l’élection d’un certain président de la République, cette année-là, cette culture de la verticalité n’est-elle pas entrée à L’Élysée ?

Elle y était déjà très présente, diront les contempteurs de la Ve République. Sans doute.

Et, quoiqu’il serait absurde de faire le lien avec les agressions de professeurs et d’élus, qui semblent progresser – elles restent totalement injustifiées ! –, on peut s’attendre à ce que ce dysfonctionnement de la maison France produise, outre le ressentiment, de la violence.

Pire (ou mieux, c’est selon), le nationalisme régalien de l’Éducation nationale, unique ministère ainsi « labellisé », ne finit-il pas par déteindre sur la société française ? Pas besoin de cela, objecterez-vous encore : les ressorts du nationalisme ont déjà trouvé de nombreux autres vecteurs pour s’exprimer !
Mais la question est légitime, l’histoire le montre. Verticalité, pouvoir autoritaire et nationalisme marchent souvent d’un même pas, cadencé le plus souvent.

Ce débat bien sombre n’est pas prolongé dans ces pages, ou bien d’une autre façon puisqu’il y est question d’outrenoir et de « monde fissuré ».