Après dix-huit mois de fermeture et un an de travaux, la galerie municipale du Château d’eau a rouvert mi-novembre. Une visite était organisée pour découvrir « le nouveau parcours de visite : plus fluide et plus lisible », se félicitait Pierre Esplugas-Labatut, maire adjoint de Toulouse délégué notamment aux musées. L’aménagement d’une arche sous le Pont-Neuf a en effet permis de créer une nouvelle aile et d’augmenter la surface du lieu de 30 % ; la mise aux normes de l’ensemble du site de l’accessibilité permettant désormais à tous d’accéder au sous-sol.

Acté par convention
Bien sûr, l’adjoint au maire a rendu hommage à l’ancien conseiller artistique du Château d’eau Christian Caujolle, décédé en octobre 2025. Le grand photographe et critique d’art fut également le directeur artistique de la célèbre agence VU.
Mais comment inaugurer cette nouvelle ère du Château d’eau, historiquement l’un des plus anciens centres d’exposition photographique en France, sans évoquer la gestion du fonds Dieuzaide ? Un fonds dont la famille a fait don à la Ville, voilà près de dix ans. Sans rappeler surtout que, lors de la donation, il était acté par convention (qu’artdeville a pu consulter) que « le fonds artistique et photographique donné serait géré au sein d’un espace dénommé « LieuZaide », situé à Toulouse ». Or, ce lieu n’existe toujours pas. Pour Michel Dieuzaide : « La Ville manque à son premier engagement ! »
Second point de désaccord, M. Esplugas affirme par presse interposée que la Ville a « acquis » le fonds Dieuzaide constitué de plusieurs centaines de milliers de négatifs, principalement. En réalité, il s’agit bien d’une « donation », dite « à charge », c’est-à-dire avec des engagements réciproques : les donateurs cèdent le fonds, estimé par les experts respectifs de la famille et de la Ville à près de 6 M€, en échange de quoi la Ville s’engage, outre à la création du LieuZaide, à verser 450 000 euros. Ce pourcentage représente 7 % environ de la valeur du don, une sorte de soulte plus ou moins équivalente à des droits d’auteur.
Troisième point de divergence, M. Esplugas reproche à la famille Dieuzaide d’avoir gardé les plus belles œuvres du fonds. Or, sur ce point encore, la convention est claire : la famille cède « la plus grande part de l’œuvre de Jean Dieuzaide », estimée à 6 M€ et pouvait donc en garder une petite partie, non estimée. De plus, M. Dieuzaide affirme être tout à fait disposé à des prêts gracieux : « Oui, bien sûr ! Évidemment ! confie-t-il par téléphone à artdeville fin novembre. À partir du moment où ils conçoivent un projet qui a du sens ».

 

Manque de considération
Au fond, ce que M. Dieuzaide déplore, « c’est un manque de considération de la part de la Ville pour l’œuvre de [s]on père », qu’elle ne valoriserait pas à sa juste mesure. « Il y a quand même eu une grande exposition au couvent des Jacobins », répond à artdeville M. Esplugas. Des photos sont également utilisées pour animer les espaces des établissements municipaux ou ceux que nous gérons. Et, aux Archives, quelqu’un est à temps plein sur la collection qui a été entièrement numérisée. » Pas encore, en réalité. Selon les Archives, cette numérisation ne concernerait pour l’heure que 10 000 planches contact, majoritairement. « Si M. Dieuzaide n’est pas satisfait, il peut dénoncer la convention. Mais il devra rembourser la Ville », pique M. Esplugas. Mais pourquoi le LieuZaide n’existe-t-il pas ? l’interrogeait encore artdeville. « Vous m’embarrassez, finit par avouer M. Esplugas. M. le maire devrait faire une annonce à ce sujet courant janvier. Je ne peux pas en parler. » Si aucune date butoir n’a été fixée dans la convention – ni description plus précise du LieuZaide ; c’est une des sources évidentes du litige –, se pourrait-il qu’un projet puisse enfin prendre corps, en cette veille des élections municipales ?

Interview

Michel Dieuzaide : « Jean-Luc, fais une villa Médicis de la photographie »

LieuZaide, manque de valorisation de l’œuvre de votre père, votre différend avec la mairie semble profond…
Ça a commencé très mal ! À partir du moment où la donation a été signée, un inventaire a été fait, évidemment, de ce que nous donnions. Et le déménagement s’est fait sans nous avertir ! Je suis arrivé un jour et l’atelier était vide. Ils avaient les clés et se sont servis. Avec le directeur des Archives de l’époque, on a été obligé de revoir l’inventaire, parce que, évidemment, ils avaient emporté des choses qui n’étaient pas pour eux et en avaient oublié qui étaient pour eux. Mais ça s’est réglé.

Vous parliez d’une occasion manquée à propos de l’atelier de votre père. Quelle est-elle ?
J’avais dit à Jean-Luc [Moudenc, maire de Toulouse*] : « Il y a l’atelier, et à côté la maison ; fais une chose qui n’a jamais été faite dans l’histoire de l’art : une villa Médicis de la photographie. Tu fais venir chaque année deux grands photographes » ; ils logent toute l’année dans la maison et disposent des ateliers à côté pour travailler. À la fin, tu fais une exposition de leurs travaux au Château d’eau. C’était une manière de créer le LieuZaide, une manière de faire vivre Toulouse, sur le plan de la photographie, à un plan national puisque ça n’a jamais existé. Ils ont dit qu’ils ne le feraient pas.

À la fois, un tel projet doit être porté. Une mairie peut-elle s’en occuper seule ?
Là, on rejoint un problème que j’avais abordé dès la donation. Je leur avais dit : « Si vous ne recrutez pas un historien de la photographie, qui puisse prendre la mesure de l’œuvre de Jean Dieuzaide, ça ne marchera pas. Je n’ai pas plus été entendu. La Ville de Bagnères-de-Bigorre, elle, a reçu en donation les archives du photographe Jean Eyssalet, Alix de son pseudonyme. Il a effectivement été le témoin de la vie de cette partie des Pyrénées pendant soixante ans. La mairie a recruté un historien qui s’est plongé dans l’œuvre et qui l’a fait vivre d’une façon formidable. Elle est en train de restaurer l’ancien palais de justice, pour exposer cette œuvre. Or, Alix n’a jamais défendu Bagnères-de-Bigorre comme mon père a défendu Toulouse aux yeux de tout le monde. Sans faire offense à sa mémoire, il n’a jamais eu la renommée internationale de mon père. »

L’exposition Sophie Zénon en réouverture

L’humus du monde, l’exposition organisée pour la réouverture du Château d’eau, présente vingt ans du travail de recherche et de création de Sophie Zénon, une artiste fascinée par la beauté et l’effroi. Historienne et ethnologue de formation, elle se définit comme une « photographe-alchimiste ». L’artiste hybride en effet son œuvre par différents médiums, comme pour en faire surgir les spectres de nos existences qui, selon elle, hantent nos paysages et nos vies, et la manière dont le passé les façonne.

En ces trois espaces rénovés de visite, trois périodes de créations de l’artiste. Pour les deux espaces de la tour, inspirant par sa forme circulaire « le cycle de la vie et de la mort », dit-elle, elle dialogue avec d’autres formes visuelles et plastiques, prêtées notamment par le musée des Augustins (qui rouvre lui-même le 19 décembre 2025), les Abattoirs, le Centre Pompidou…
Au rez-de-chaussée de la tour, Rémanences convoque la mémoire des paysages de guerre dans la région Grand Est. Il y est question, entre autres, de plantes obsidionales dont les graines furent déposées par les hasards de la migration des soldats, venus parfois de pays étrangers pour combattre.
Au sous-sol, Sophie Zenon interroge la fragilité de l’être et notre rapport à la mort. Elle confronte ses Momies de Palerme à la pratique des photographies post-mortem instaurée au XIXe siecle, et avec Corps à vifs, les ex-votos des XVI et XVIIIes siècles. Dans le noyau central, l’artiste met en abîme sa propre mort en quatre crânes en porcelaine réalisés à partir du sien. Sous l’arche, Sophie Zénon prospecte l’enfance vosgienne de son père à partir d’une photo d’identité. Elle l’interprète sur Plexiglas à travers une nature morte. Scènes à la ferme, enfin, met en scène sa grand-mère italienne, ouvrière dans une ferme piémontaise dans la culture du riz., par de spectaculaires effets de bouger.
Jusqu’au 8 mars 2026

Légendes

1 – La nouvelle entrée de la galerie du Château d’eau, à Toulouse, passe désormais par le jardin.

2 – Magali Blénet, directrice de la galerie, accueille l’artiste Sophie Zénon pour l’exposition inaugurale. Sur le mur, la plaque commémorative en l’honneur de Jean Dieuzaide

3 – Michel Dieuzaide, réalisateur, est aussi photographe comme son célèbre père.

4 – Pierre Esplugas-Labatut, maire-adjoint de Toulouse, lors de la visite de presse de la galerie du Château d’eau, devant des œuvres de Sophie Zénon.