
Près de 200 œuvres sont présentées au musée PAB d’Alès, jusqu’au 4 janvier, dont certaines inédites : dessins, gravures, papiers marouflés et livres d’artistes mais aucune œuvre du fonds. Toutes sont issues de la collection personnelle du peintre et graveur belge, naturalisé français. Le projet est né d’une grosse envie de la directrice du musée, Carole Hyza, de prolonger la belle exposition qu’elle a découverte à Chaumont-sur-Loire, en 2023. Elle rencontre alors l’artiste aussitôt pour évoquer avec lui le projet. Pierre Alechinsky s’enthousiasme. C’est sa troisième exposition au musée ; il connaît bien les lieux. Ce sera Alechinsky sur papier décide-t-il, déterminé, à 97 ans, à prendre la direction des opérations. « C’est un peu une exposition clé en main qu’il nous a livrée ! », en plaisante Valérie Dumont Escojido, responsable du pôle marketing des musées d’Alès Agglomération. « Il a choisi les œuvres et a conçu la scénographie avec sa propre logique ; le cheminement n’est d’ailleurs pas chronologique. » Par sa volonté, il n’y a pas non plus de tableau de salle ; le visiteur est invité à la rêverie. Pas d’explication contextuelle, donc, ce que pourront regretter certains visiteurs. Et, bien sûr, en tant qu’ancien typographe-illustrateur, « il a réalisé l’affiche de l’exposition ! » sourit encore Valérie Dumont Escojido.
L’exposition commence au deuxième l’étage ; une déambulation en descente. Parmi les œuvres, une cinquantaine de livres ; un ensemble réparti dans huit salles. La première partie est dédiée à la collaboration de l’artiste avec son ami imprimeur, artiste et poète, Pierre-André Benoît, dit PAB, le fondateur du musée. Elle a duré près de trente ans. « Tête de clou » donne à voir un jeu entre eux mêlant textes et graphisme. Selon le vocabulaire typographique, les têtes de clous sont ces lettres de plomb altérées à force d’usage. L’autodérision est évidente !

On découvre plus loin les premiers livres, illustrés par Alechinsky et édités par PAB. Et d’autres édités chez d’autres maisons d’édition comme la régionale Fata Morgana. La couleur est partout, l’inspiration fertile et l’humour très présent. Une joie dans le travail se ressent. Si les tirages sont faibles (100 exemplaires maximum numérotés), la production est importante. Avec Michel Butor et Michel Sicard, par exemple, Alechinsky joue avec les mots et les titres : Titreurs d’élites, Idéo traces…
Mais aussi Salah Stétié, Jean Tardieu, Pierre Michon et tant d’autres…
Avec Christian Dotremont, Pierre Alechinsky fonde le célèbre groupe CoBrA (Copenhague/Bruxelles/ Amsterdam) en 1949. Quoique brève, puisqu’elle s’achève en 1951, cette période propulse la carrière internationale de l’artiste. Une salle lui est consacrée.
Alechinsky travaille au sol dès les années 50, inspiré par le peintre chinois Wallace Ting devenu son ami. Cette posture lui permet une plus grande liberté de geste. Keith Haring, qui l’a rencontré, affirme qu’Alechinsky lui a libéré le trait. À mi-parcours, des tableaux inédits de 2015, dont Vocable et Œilletons exposés au Japon, témoignent de cela.

Les cadres, marges ou prédelles de ses tableaux sont investis par l’artiste à partir de 1965. Il les nomme « les remarques marginales », en référence aux corrections apposées dans les marges par les typographes. Central Park en est la première œuvre. Peinte à l’acrylique, elle utilise également la technique du marouflage sur toile. Ses « remarques marginales » sont en couleur et le tableau en noir et blanc. Elle marque un tournant dans la carrière du maître. André Breton la choisit pour la XIe exposition internationale du Surréalisme.
Éclipse de regard, plaque d’égout marouflée ; Vacances aux Canaries, formé de dessins indépendants puis assemblés ; des figures folles, colorées comme La cantatrice, tableau de 1966… Pour Alechinsky, le papier a l’avantage d’être plus léger que les toiles et peut être utilisé plus facilement. Des papiers de comptabilité font d’ailleurs très bien l’affaire.

Alechinsky est ambidextre. Il écrit aussi, en même temps, à l’envers et à l’endroit. D’où cette œuvre joueuse, encore une fois, et explicite : Envers et endroit.
Plus loin, on découvre les cartons d’invitation anciens réalisés par Alechinsky. Pierre est affichiste. Il s’est formé à la Cambre à Bruxelles (comme l’artiste Folon). Certaines de ses affiches sont exposées à la médiathèque du centre-ville d’Alès.
Né le 19 octobre 1927, à Bruxelles, on pourrait l’inscrire également dans la tradition graphique belge de la ligne claire. Un style qui apparaît en tout cas nettement dans la dernière salle avec Le Volturno, un livre illustré sur l’histoire du paquebot éponyme, par Blaise Cendrars.
Enfin, si on l’a manquée avant la visite, on repérera en sortant la fresque de carreaux émaillés, apposée sur un mur de soutènement de la terrasse. À elle seule, elle témoigne de l’amitié indéfectible qui unit Pierre Alechinsky et PAB, et permit ainsi, littéralement, d’écrire plus d’une des plus belles pages de l’histoire de l’art contemporain.
Alechinsky sur papier, jusqu’au 4 janvier 2026, musée PAB, à Alès (Gard)
Légendes
Vues de l’exposition, parmi les Nuanciers (photo 1) et les encres sur vélin ancien Dans l’atelier d’André Breton (photo 2)
En jouant avec les miroirs de la salle (photo 3), la visite prend tout son sens !
La Cantatrice semble elle-même apprécier Pressentiment, acrylique sur papier marouflé de 2020.