
Philippe Quesne a étudié les arts plastiques à l’École Estienne puis aux Arts décoratifs de Paris, avant de réaliser, pendant plus de dix ans, des scénographies pour des spectacles et des expositions. De cette formation et de ces expériences, il conserve une approche résolument plastique de la scène, qu’il envisage d’abord comme un tableau, une image. Pour L’Effet de Serge, créé en 2007 par la compagnie Vivarium Studio, le metteur en scène et dramaturge convoque ainsi une peinture attribuée à Jérôme Bosch, L’Escamoteur, représentant un prestidigitateur qui exécute son tour sous les regards effarés, amusés ou sceptiques de son public. La pièce active en quelque sorte la peinture, avec une question centrale : comment fait-on du théâtre ? Le personnage de Serge tente d’y répondre en proposant chaque dimanche à des amis, une courte expérimentation artistique, un micro-spectacle mêlant musique, lumière, dessin, objets… Au-delà des formes et des matériaux, le théâtre se fait théâtre dès lors qu’il est montré : aux amis dans la pièce, mais aussi au public dans la salle. Par ailleurs, Serge n’est-il pas le double de Philippe Quesne qui se met lui-même en scène dans un théâtre autobiographique ?

Un art totalement libre
Cette mise en abyme à l’œuvre se poursuit dans la nouvelle création. Après avoir tourné dans le monde entier, l’appartement de Serge réapparaît dans Le Paradoxe de John, conçu comme une suite, un diptyque. Près de vingt années ont passé, et si l’on reconnaît le lieu, il a pourtant changé : l’appartement est transformé en galerie-atelier, un espace en cours de montage avec des socles sans œuvre et des câbles apparents. Marc Susini, fidèle interprète de Quesne, accompagné d’Isabelle Angotti, Céleste Brunnquell et Veronika Vasilyeva-Rijé, s’attellent à s’approprier cet espace, à l’habiter et le transformer à travers de multiples propositions artistiques.
La pièce met ainsi en scène un art totalement libre : tout peut devenir art dès lors qu’on le définit comme tel, comme on le sait depuis Marcel Duchamp et ses ready-made, objets rendus artistiques par leur inutilité même. Le théâtre défend ici un anti-productivisme assumé : les personnages prennent le temps, s’interrogent, expérimentent, décident, essayent, font et refont. Ils jouent, et ce dans tous les sens du terme : comme acteurs, bien sûr, mais en exerçant aussi le jeu enfantin qui se situe dans le simple plaisir de créer, de prendre un temps pour des actions à portée visiblement inutile. Si ces dernières peuvent paraître futiles, c’est justement tout l’enjeu que de s’extraire de la course aux logiques de production/ consommation qui prévalent dans notre monde.

Un « monde d’après »
À l’image de ses personnages, le metteur en scène travaille à partir de l’existant, recyclant une pièce déjà créée : littéralement, l’appartement, mais aussi la thématique et les interrogations sur l’art et sa place dans nos vies. Comment faire rentrer l’art dans notre quotidien ? Pour Philippe Quesne, « l’art peut s’exprimer dans les actes les plus simples ». Il s’agit aussi de créer de nouvelles manières d’habiter ensemble, de faire collectif. Car l’art demande à être montré, partagé ; il est social et sociétal, ses formes varient selon notre culture et notre époque.
Et justement, Philippe Quesne questionne dans ses pièces un monde nouveau, un « monde d’après », où se dessinent d’autres façons de vivre ensemble, entre humains et non-humains, dans une bienveillance totale et un temps poétique. La poésie est omniprésente : dans les formes et les objets, dans les relations et les mots – notamment ceux de Laura Vazquez, poétesse avec laquelle Quesne poursuit ici sa collaboration après Fantasmagoria et Le Jardin des Délices. Ses textes, transmis sur scène par fragments, participent d’une polyphonie générale et contribuent à l’atmosphère étrange et décalée, souvent surréaliste.

Du surréalisme, Philippe Quesne reprend le goût pour l’absurde et applique au théâtre les techniques du collage. Il évoque par ailleurs, pour point de départ à la pièce Le Paradoxe de John, une photographie de Paul Nougé, surréaliste belge, artiste autodidacte : dans une pièce close, une femme se couvre le visage d’une main tandis que l’autre se tend vers une structure posée sur la table, composée de formes en laine. La femme est mi-active, mi-apeurée, effrayée par ce qu’elle met elle-même en œuvre. C’est que, dans l’acte de créer, la création doit en partie échapper à son auteur pour ensuite appartenir au monde.
Du 22 au 25 janvier au théâtre Garonne, Toulouse.
Dans le cadre du festival SCÉNO
Le Paradoxe de John est présenté dans le cadre du festival SCÉNO, qui met en exergue le travail de scénographes, metteur·euses en scène, chorégraphes et plasticiens autour du plateau. Celui-ci est à la fois objet plastique et espace scénique, où le décor ne sert pas seulement l’histoire mais devient aussi matière vivante du théâtre. Pour cette édition inaugurale, le Théâtre Garonne réunit des œuvres, spectacles mais aussi installations et courts formats scénographiques, qui explorent l’espace comme premier geste de création, là où un lieu, une lumière, une structure, racontent déjà avant même qu’un personnage n’arrive sur scène.








