
Au creux de l’été, sur la pierre de Dordogne de la nouvelle entrée, c’est le protocole anti-tags qu’il a d’abord fallu tester. Le traitement prévu a fonctionné et la souillure de ses murs ivoire a totalement disparu ; les travaux engagés depuis six ans par la mairie de Toulouse, d’une tout autre ampleur, n’en ont pas été perturbés.
Mi-novembre, la Ville organisait une visite de presse et Laure Dalon, directrice du musée des Augustins depuis octobre 2022, dressait un état des lieux à un mois de la réouverture. Nommée alors que l’agence d’architecture chargée du nouvel accueil était déjà à pied d’œuvre, elle a néanmoins pu amender certains choix comme la place des vestiaires : « J’ai voulu que le public puisse entrer très vite et ne reste pas bloqué dans l’entrée. » De même, l’ancien espace d’exposition des moulages ne sera pas un atelier dédié aux enfants, « il aurait fallu occulter les baies vitrées pour des questions de sécurité, notamment ». La boutique du musée y a trouvé plus logiquement sa place parmi les commerces du quartier Esquirol, rue de Metz.
Recette gagnante
Épure abstraite et radicale d’inspiration possiblement néo-néogothique, ce nouveau hall d’entrée immaculé porte la signature de l’agence d’architectes portugaise Aires Mateus, au style si caractéristique. À première vue, ce qui surprend, c’est que ce nouveau bâtiment fait désormais écran à la vue sur l’église, au second plan, tandis que le mur originel du grand cloître, moins haut, la laissait plus dégagée. La silhouette plutôt massive de cette insertion entre deux ailes du musée rappelle, par ailleurs, un geste spectaculaire et élégant déjà réalisé par l’agence d’architectes à Louvain, en Belgique, pour l’extension de l’école d’architecture. Une recette gagnante qu’il était très tentant de décliner, sans doute. Contactée par artdeville, l’agence n’a pas répondu.
À l’intérieur, une agréable pente guide doucement nos pas et longe, à gauche, les banques d’accueil jusqu’à l’entrée proprement dite, une ancienne arche jusqu’ici occultée et rouverte désormais. Autre surprise, un étrange voile de béton, pseudo-draperie cavernicole, couvre partiellement la transparence de la baie vitrée, laissant un espace perdu. Curieux.
Une déambulation libre
Quoi qu’il en soit, pour le vénérable musée, une cure de jouvence s’imposait. Rendue indispensable notamment par la mise aux normes d’accessibilité aux personnes à mobilité réduite, elle a été l’occasion de repenser entièrement « l’expérience de la visite ». Ce que la nouvelle identité graphique du musée, dévoilée en août 2025, a joyeusement traduit par un jeu de chamboule-tout typographique très rafraîchissant.
Selon Laure Dalon, trois mots ont guidé le projet : convivialité, à rebours de l’ambiance austère de cet ancien couvent du XIVe siècle ; responsabilité, qui donne accès à la compréhension des œuvres tout en restant connecté au monde ; liberté, les différentes salles réparties autour de ce cloître central, par exemple, offrant une déambulation affranchie du sens chronologique de la visite. Le visiteur pourra ainsi s’autoriser une divagation intuitive ou thématique. Pour l’ouverture, le thème du ciel guidera d’ailleurs la redécouverte des trésors du musée, en référence à la vue de ce cloître précisément, et à l’iconographie céleste qui inspire art et spiritualité depuis la nuit des temps. Des gargouilles alignées sous un film plastique et venues du couvent des Cordeliers attendent qu’on s’occupe d’elles. Ce thème en sera-t-il l’occasion ?

Pour l’heure, seules les ailes ouest et sud du musée seront accessibles. Les ailes nord et est seront occultées par une bâche transparente installée autour du cloître, côté jardin, dont la toile a été confiée à Stéphanie Mansy, artiste retenue pour un geste évolutif au fil de l’année 2026. Derrière, un second temps de travaux prévus jusqu’au printemps 2027 a été confié aux bons soins d’un comité scientifique. Les colonnes du cloître penchent. Chapiteaux et murs-bahuts doivent être expertisés, restaurés et nettoyés. Mais dès juin 2026, l’église sera rouverte et accueillera les grands formats des XVIIe et XVIIIe siècles.
Nouvel accrochage
D’autres œuvres et artistes contemporains ont été choisis pour investir les espaces interstitiels du musée. jusqu’ici délaissés. Les escaliers Viollet-le-Duc, qui mènent aux salons de peinture, présenteront dès l’ouverture l’installation audiovisuelle Escalier spectral de Pablo Valbuena, tandis que Flora Moscovici (pour l’anecdote, fille de Pierre, président de la Cour des comptes) explorera les relations peinture-lumière des murs et du sol de ce rez-de-chaussée.

À l’étage, dans la grande galerie et ses salons en enfilade, des cloisons cimaises ont été ajoutées avec la complicité de l’agence Scénografiá, « afin de créer un parcours et éviter d’avoir une vue immédiate sur toutes les œuvres, qui noie le visiteur », justifie Laure Dalon. « En été, la chaleur rendait la galerie et ses salons impraticables », la restauration de la verrière a aussi contribué à améliorer les choses. En outre, de robustes « canapés », structures rectangulaires horizontales et blanches, rythment désormais le regard sur le nouvel accrochage.
Dans le Petit salon, les expositions temporaires – le ciel, donc, jusqu’au printemps 2027. On y croise notamment Camille Corot – L’Étoile du berger, dans un dialogue intemporel avec Jean Dubuffet – Paysage au ciel tavelé. Et aussi Sophie Zénon – Le ciel de ma mémoire, artiste également présentée à la galerie du Château d’eau (lire page 8). Fraîchement repeints, les salons de peinture se font l’écho de la période où Toulouse, fervente catholique, abritait également une académie royale de peinture, sculpture et architecture unique en France. Le parti pris de l’accrochage joue de surprises et mises en regard.
Dans le salon vert, citons la confrontation entre l’orientalisme de Benjamin Constant, Entrée du sultan Mehmet II à Constantinople… (1876) et d’Eugène Delacroix, Le Sultan du Maroc (1845). Des œuvres monumentales et puissants témoignages historiques qui rappellent que le musée des Augustins a été créé quelques années seulement après le Louvre et qu’il tient son rang au niveau international.
Vieux sages barbus et femmes dénudées
Salon rouge, le regard de Laure Dalon se fait malicieux et interroge : « Comment se forment les stéréotypes ? » Par des rapprochements judicieux et pédagogiques, elle pointe sur ce qu’on nommerait aujourd’hui le male gaze (regard masculin) que le patriarcat et l’histoire de l’art ont si solidement établi. La directrice du musée rapproche, entre autres, Le Massage. Scène de hammam d’Édouard Debat-Ponsan (1847-1913), emblématique de la fin du XIXe siècle et Saint-Jean Chrysostome et l’Impératrice Eudoxie de Jean-Paul Laurens (1838-1921) ; cette dernière œuvre représentant le patriarche de Constantinople, en 398, condamnant les mœurs dissolues de l’impératrice. « Vieux sages barbus et femmes dénudées, ça raconte quelque chose, non ? »

Pour rejoindre le rez-de-chaussée, on emprunte le grand escalier Darcy. Le palier haut devrait accueillir un espace ludique pour les enfants. On y redécouvre les vitraux Henri Guerin réalisés pour certaines fenêtres du musée dans les années 1980 selon un geste un brin systématique. Soulages, à Conques, a été plus heureux.
Dans ces escaliers seront présentées des œuvres des XIXe et XXe siècles. La chorégraphie des sculptures qui semblent se répondre l’une à l’autre joue avec l’espace non sans une certaine espièglerie, indifférentes aux allées et venues incessantes des techniciens qui s’activent avant la réouverture. Ici on apprête les socles et les vitrines tandis qu’un chariot élévateur aide à libérer de sa caisse Le Génie de Toulouse, signée du sculpteur toulousain Carlo Sarrabezolles (1888-1971). Récemment acquise par la Ville, elle sera installée dans la plus vaste des quatre vitrines de la boutique, donnant sur la rue de Metz.

Retrouvailles
Enfin, on redécouvre avec bonheur la salle Romane (en Une). En 2014, l’artiste américain Jorge Pardo a été invité à réinventer cet espace. L’installation devait être démontée, mais elle magnifie si bien la collection de chapiteaux romans auxquels cette salle est dédiée qu’il a été décidé de la conserver. Ses luminaires aux courbes sensuelles ont visiblement séduit. Elle conclut d’ailleurs très bien le parcours de cette première visite, puisque l’objectif du projet muséal et de cette réouverture partielle est avant tout de permettre les retrouvailles entre les collections permanentes, ses œuvres-vedettes et le public toulousain.
Un passage final à la boutique-café et son aménagement en bois par l’agence Letellier, très réussi, incitera sans doute beaucoup de visiteurs à finaliser leurs cadeaux de Noël.

Informations pratiques
Vacances de Noël : horaires exceptionnels
Ouverture de 10h à 18h
Fermé les mercredis et jeudis
À partir du 5 janvier 2026
Lundi, jeudi, vendredi de 12h à 18h
Samedi et dimanche de 10h à 18h
Nocturne mensuelle (jeudi, jusqu’à 21h)
Fermé les mardis, mercredi, 1er janvier, 1er mai, 25 décembre.
TARIFS : 5 € ; 3 € ; billet « tribu » 15 €
Gratuité pour les moins de 6 ans et pour tous les visiteurs le premier dimanche de chaque mois.
Légendes
1 et 2 -La nouvelle entrée du musée des Augustins et son contrechamp imposent leur silhouette massive parmi l’architecture voisine.
© Agence Aires Mateus
3 – Un pot de peinture, au pied de Temps calme, d’Émile-René Menard, est toutefois prétexte à rappeler avec humour que les travaux ont été mis à profit d’une campagne de restauration de nombreuses œuvres.
4 – Laure Dalon, directrice, a pris ses fonctions en 2022 après avoir piloté les travaux du musée de Picardie, qu’elle a dirigé.
5 – Salon rouge, « vieux sages barbus et femmes dénudées » montrent malicieusement comment se forment les stéréotypes.
6 – Par pudeur, consigne est donnée de ne pas trop montrer d’images du chantier. Ce que semblent approuver certaines statues : La Tragédie de Francisque-Joseph Duret (Photo 4) et buste autoportrait de Marc Arcis (Photo 6).
© FM/artdeville









