À Montpellier, on ne perd pas de mètres carrés à loger des artistes. L’immobilier, il faut que ça rapporte. Ici, on s’occupe de la vitrine et pas de l’atelier », ironise Marc Na, artiste plasticien. L’analyse est tranchée, un brin mordante. Mais si elle souligne avec tant d’affect les difficultés rencontrées par les artistes pour trouver un lieu de création à Montpellier, en est-elle pour autant fondée ?

Clairement, oui. Mais… L’histoire de la ville explique en grande partie la situation. Contrairement à Toulouse ou Sète, Montpellier ne dispose en effet guère de friches industrielles ou commerciales à reconvertir en lieux artistiques. Bon an, mal an, la municipalité tente de réduire le problème, mais au coup par coup et une ambition plus ou moins affirmée. Les difficultés restent. Récemment, la Société d’équipement de la Région de Montpellier (SERM), bras armé de la Ville et de la Métropole en matière immobilière, a repondu positivement aux sollicitations d’Abdelkader Benchamma et de Philippe Jacq. Des espaces éphémères de production pour l’un et d’exposition pour l’autre ont été mis à leur disposition en centre-ville, quartier Gambetta. Dans ce secteur du boulevard du Jeu de Paume, il y a près de trois ans, le Bureau des arts et territoires a aussi bénéficié de locaux pour une programmation artistique d’un peu plus d’un an. La commercialisation de onze ateliers dédiés aux artisans d’art à Figuerolles, rue du général Vincent, est par ailleurs en cours. Mais c’est bien sous la pression foncière que les locataires de la célèbre Friche de Mimi (anciens entrepôts de bois) vont devoir déménager. Une solution de repli dans un village à l’ouest de la Métropole est semble-t-il en débat, mais en perdant ses artistes, le quartier ne perdra-t-il pas aussi une partie de son âme ?

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Une réflexion en cours
Dans les bureaux de la Panacée, ancienne friche universitaire devenue centre d’art contemporain, on exprime clairement cette préoccupation : « Il y a quelque chose à faire pour les ateliers d’artistes. Comme à Paris, par exemple, où l’on met à leur disposition des espaces très peu chers. Il pourrait y avoir quelque chose comme ça dans tous les quartiers nouveaux. Sinon, nos artistes s’enfuiront à Nîmes ou à Sète où les loyers sont moins chers et parce qu’il n’y a rien pour eux ici. » Dans cette ancienne faculté de pharmacie, quatre appartements T2 et des ateliers, créés tout exprès en même temps que le centre d’art lui-même, ont d’ailleurs pas mal servi. Ils ont accueilli non seulement des artistes – et de talentueux – mais aussi des conférenciers de passage, des chercheurs, dans le cadre de résidences et de pratiques croisées.
Aujourd’hui, cette mise à disposition est indirecte et relève d’initiatives extérieures et de partenariat. Et deux logements seulement sont désormais exploités. Jusqu’au 30 mars, l’Italien Federico Gori y sera par exemple en résidence sur proposition de l’association Bureau des arts et territoires pour un projet art contemporain-écrivain monté avec le musée Henri Prades de Lattes et la Comédie du livre.
Les appartements de la Panacée ont aussi accueilli récemment le peintre Barthélémy Toguo (en partenariat avec le Fonds régional d’art contemporain) et la photographe Elina Brotherus qui exposait au Pavillon populaire de Montpellier l’an dernier.
On le voit, les lieux de production artistique existent bel et bien à Montpellier, mais ils sont rares. Consciente du problème, la Ville, via son service presse, affirme qu’« une réflexion est en cours sur le sujet », mais sans plus de détails. Selon nos informations, il s’agirait de proposer plus systématiquement, via la SERM, des lieux de résidence aux artistes dans les immeubles qu’elle gère, le temps que les travaux des programmes immobiliers prévus démarrent.

Mécènes
Dans l’intervalle, les artistes s’organisent seuls ou en collectifs. Parfois des mécènes, à l’instar de feue Mimi Vergne (la Friche de Mimi), leur apportent l’aide à la production qu’ils demandent. L’homme d’affaires Gilbert Ganivenq prévoit « un lieu de création artistique, pas une galerie d’art commerciale » au rez-de-chaussée de l’immeuble l’Arbre blanc dont il est le promoteur. Il accueille par ailleurs Jean Denant et Nissrine Seffar dans deux ateliers qui lui appartiennent, dans la zone aquaculture de Sète.
Côté promoteurs encore, les anciens ateliers de mécanique du lycée Clemenceau ont été intégrés au projet immobilier Passage Clemenceau qui sort de terre aujourd’hui. Proposer à la vente comme « ateliers d’artistes », de l’aveu du représentant de M&A promotion, « ça a été compliqué à vendre » en tant que tels ; la grande majorité des artistes ne disposant pas des revenus suffisants.
Marc Bouchacourt, président de l’association Les Briscarts, fédère 70 artistes montpelliérains. Il regrette de ne pas pouvoir disposer « d’un atelier où loger un peintre de passage pendant 1 ou 2, 3 mois » et inversement, de pouvoir accéder à des résidences à l’étranger, « par exemple à Chengdu ou Pékin. Cela permettrait des échanges fructueux pour tout le monde. » Là encore, des discussions « sont en cours avec l’élue à la culture », affirme-t-il, ce que Sonia Kerangueven, l’élue en question, n’a toutefois pas souhaité confirmer.

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Le collectif d’artistes Aperto occupe quant à lui un ancien garage du centre-ville de Montpellier, doté d’un atelier adjacent où se créent leurs œuvres collectives. Depuis près de vingt ans, ce groupe d’amis produit un travail de fond et affirme sa « vocation de se constituer comme lieu de recherche et de production pour les artistes et un espace d’art ouvert à tous les publics ». Subventionnés par la Ville, le ministère de la Culture et la Région, ils ont récemment participé à Next Exit, une série d’expositions et d’échanges qui les ont menés à Forbach, Orléans, New York, Paris, Liège, Belgrade et Melbourne. Une réussite qui n’occulte pas une réalité plus contrastée, à Montpellier, où la Ville affirme néanmoins des ambitions internationales dans le domaine de l’art contemporain, avec la création d’un « parcours de l’art dont la tête de pont sera le MoCo », le futur musée d’art contemporain.

À Toulouse le vent tourne
La friche artistique toulousaine Mix’art Myrys (du nom d’une ancienne fabrique de chaussures) dispose d’une convention avec la Métropole qui la distingue comme « Territoire de l’art (1) ». Ce « collectif d’artistes autogéré » qui accueille 80 artistes par mois sur un site de 4 600 m2 fonctionne avec une équipe de 6 salariés à plein-temps et accueille 20 000 spectateurs par an. Son coordinateur Joël Lécussan détaille le budget « 540 000 euros dont 50 % en autofinancement, avec les partenaires de la Métropole de Toulouse, le Département de la Haute-Garonne et la Région Occitanie ».
Cette locomotive culturelle de la métropole toulousaine abrite également en son sein l’association Artfactories qui fédère 40 friches artistiques en France. Son coordinateur Fred Ortunio analyse la situation nationale : « Une grosse majorité de ces lieux, à l’initiative d’artistes et de citoyens, a résisté à des logiques d’emprise foncière et de développement en grand projet urbain qui excluait la partie artistique. » Mais aujourd’hui, à Toulouse, les vents ne sont plus aussi favorables : « La nouvelle équipe municipale a remis en question le projet Cartoucherie qui prévoyait l’installation de Mix’art Myrys dans une ancienne friche plus vaste. »

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Lieu-Commun n’est pas confronté à ce genre de problème. Comme son nom l’indique, cette une ancienne chemiserie de 1 000 m2 est un lieu géré « par et pour les artistes qui programment expositions, concerts, résidences, workshops, performances, rencontres et conférences » depuis un faubourg de Toulouse. « Lieu-Commun conseille les artistes, les exporte en France et à l’étranger, produit des œuvres, édite des livres, des dvd, des multiples, des disques. » Né en 2007 de la mutualisation de trois structures, il est dirigé par Manuel Pomar. Jusqu’au 25 avril 2017, le premier « Grand Prix Occitanie » d’art contemporain offre une résidence à trois artistes sélectionnés par un jury de professionnels (dont Nicolas Bourriaud, actuel directeur de la Panacée). Il s’agit de Pauline Zenk (Toulouse), Pierre Clément (Tarbes) et Nicolas Daubanes (Perpignan). Leurs travaux feront l’objet de deux expositions, l’une sur place (rue Bonnefoy), l’autre à suivre courant 2017 à Carbone.

Sète se distingue
À Sète, la Ville se distingue par une politique culturelle très ambitieuse « mieux que bien des villes de gauche », sourit son sénateur maire François Commeinhes. Elle bénéficie certes d’un très important patrimoine industriel bâti dû à son histoire portuaire. Pour remplacer 18 ateliers installés depuis douze ans dans le collège Victor Hugo, qui redevient une école, la Ville poursuit son soutien et met à disposition des artistes l’ancien chai Saint-Raphaël où était fabriquée la fameuse boisson apéritive. Sète vient d’investir près de 100 000 euros pour mettre aux normes et hors d’eau le bâtiment, délaissé depuis plus de vingt ans. Selon Christelle Lespinasse, adjointe aux événements culturels et à l’enseignement artistique : « Miser sur la culture, cela attire du tourisme. Si les gens viennent à Sète, c’est parce que la ville est à échelle humaine, c’est un port avec un milieu populaire, au bord de la mer, avec des traditions et racines vivaces. C’est une ville d’artistes et où il y a une lumière qui attire tous les gens qui font de l’art, du théâtre, du cinéma. »

Philippe Saulle, directeur de l’école des Beaux-Arts de Sète et qui siège dans la commission d’attribution des ateliers(2), explique que « la plupart des artistes fraîchement diplômés des écoles d’art cherchent des lieux pour travailler. Quand une ville ou une collectivité décide de mettre à leur disposition des espaces, cela fixe les artistes sur place, cela apporte une vie culturelle évidente parce que les artistes font des journées portes ouvertes, des rencontres. Des marchands, des amateurs d’arts, des critiques d’arts, des journalistes ou autres passent… Ça draine du monde ».

Selon Philippe Saulle, l’autre condition qui fait que « ça fonctionne bien à Sète, c’est parce que les élus ne se prennent pas pour des opérateurs culturels. Dans d’autres villes, trop souvent, c’est une vitrine politique au premier degré, les élus mettent leurs nez dans les programmations de théâtre, de musique ou d’art plastique… et du coup il n’y a plus de marges de manœuvre et de réactivité aux questions de l’art aujourd’hui, des arts contemporains. à Sète, avec le centre d’art contemporain, le Miam et le musée Paul-Valéry, ce sont des artistes qui sont en prise directe avec les réalités du terrain culturel et artistique en France et en Europe. »

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(1) “Nouveaux territoires de l’art”, réflexions de plus de 80 acteurs d’une vingtaine de pays recueillies par Fabrice Lextrait et Frédéric Kahn. “Nouveaux territoires de l’art – Paroles d’élus”, témoignages d’élus recueillis par Claude Renard-Chapiro et Laurence Castany. Paris, éd. Sujet/Objet, 2006.

(2) La commission d’attribution des ateliers est composée de Noëlle Tissier, directrice du Crac (Centre régional d’art contemporain Languedoc-Roussillon), Philippe Saulle, directeur des Beaux-Arts, Maïthé Vallès-Bled, conservatrice du musée Paul-Valéry, Tiphaine Collet, directrice du service des Affaires culturelles, Christian Jurand, marchand d’art et Christelle Lespinasse, adjointe aux événements culturels et à l’enseignement artistique de Sète.