Montpellier repeint ses rues, Perpignan crie plus fort, et Paris souffle les vingt bougies d’un mot qu’on disait encore sulfureux il y a peu : matrimoine. Le patrimoine en version féminine, réhabilité à coups de plaques de rue, de conférences incisives et de spectacles qui ne craignent pas d’exhiber le corps comme champ de bataille. On célébrait partout en France, mais dans l’Aude et ses voisines, les Journées du Matrimoine n’ont pas ressemblé à une aimable commémoration. Plutôt à un règlement de comptes avec l’Histoire.

Pas que les garçons
Aux Archives départementales de l’Aude, les scolaires ont défilé devant l’exposition « Femmes en pays d’Aude ». On leur a soufflé qu’il n’y avait pas que les garçons, et qu’entre Néolithique et Résistance, des figures locales s’étaient entêtées à graver leurs noms malgré l’effacement systématique. Puis Catherine Valenti a ouvert le bal par une conférence qui n’avait rien de tiède : Halimi, Nasreen, Boix en trio de choc, et une citation de Beauvoir pour rappeler que le présent n’attend pas. Pas plus que l’égalité.
Montpellier, toujours prompte à repeindre la ville, a renommé provisoirement quelques rues. De quoi faire sourire Claire Engel, créatrice montpelliéraine : « Ce n’est pas une coquetterie symbolique, c’est une revanche. Marcher rue d’une femme, c’est accepter qu’elle existe encore dans nos pas. » Les passants se sont arrêtés, étonnés, devant des pancartes bricolées qui renvoyaient enfin à des vies oubliées. La politique municipale a-t-elle suivi ? Pas vraiment, mais le symbole est planté. Reste à ne pas le laisser faner.

Plafond de verre
À Perpignan, Maud Marras n’a pas mâché ses mots : « On veut bien célébrer nos mortes deux jours par an. Mais tant que nos vivantes se cognent à un plafond de verre, ça reste de la charité patrimoniale. » Ses tracts froissés et sa voix sans micro ont rappelé que la fête s’accompagne d’une exigence. Ironie : la préfecture fermait les yeux sur ces happenings, histoire de ne pas jouer les trouble-fêtes. On fait semblant d’écouter, mais on évite toujours de signer les arrêtés qui compteraient vraiment.

Et puis il y eut la danse. Le spectacle Soro ! de la compagnie Chao.S, donné aux Archives de l’Aude, n’a pas cherché la nuance : corps tendus, cris étouffés, percussions qui cognent comme des slogans. On a compris que la mémoire féminine ne se résume pas à des archives jaunies, mais qu’elle brûle encore. Quand les danseuses ont fini par tendre les bras vers le public, on s’est demandé : qui osera les attraper ?

Les Journées du Matrimoine fêtaient leur première décennie d’existence, et Paris leur donnait un éclat national en rappelant les vingt ans du concept. Mais ici, dans le Sud, on a surtout pris la mesure du gouffre qui reste à combler. On repeint des plaques de rue, on applaudit des conférences, on acclame une danse. Pendant ce temps, le patriarcat se marre et se recycle. La fête est belle, mais elle reste un champ de bataille.