Les trois artistes exposés cet été au musée Fabre semblent nourri d’un même désir : régler son compte à la peinture. En cette deuxième partie du XXe siècle où on la mésestime, alors que d’aucuns la considèrent comme morte, Pierrette Bloch, André-Pierre Arnal et Stéphane Bordarier ont en effet en commun un travail de recherche fécond pour renouveler l’approche de ce médium. Ils partagent également un lien particulier avec le musée qui les accueille. Deux d’entre eux, Arnal et Bloch, ont d’ailleurs fait don d’œuvres à l’institution.

 

La visite commence au rez-de-chaussée, avec Stéphane Bordarier (né en 1953), dont les toiles monumentales sont des monochromes obtenus par une technique picturale qui mélange colle et peinture. « J’obtiens une certaine “matitité“», explique l’artiste. Des formes impures et magmatiques font alors corps avec la toile, dont l’abstraction devient le sujet, et non un état dont on pourrait qualifier l’œuvre. Mais « quand un tableau est-il terminé ? » s’interroge-t-il. Il règle la question par le temps de séchage de l’application qui en décide pour lui : « une façon de me libérer d’un ordre esthétique. » Une vision radicale de la peinture, « un corps à corps avec le regardeur », selon Ann Hindry d’Artpress, qui ne manque pas en tout cas de retenir le regard.

Pierrette Bloch est présentée au 2e étage. Tandis que dans les pages précédentes, l’art modeste est célébré, osons pour l’occasion adjoindre son nom à cette démarche chère à Di Rosa et Belluc. Bien que proche des Soulages*, et non de ces deux-là, Pierrette Bloch a produit une œuvre rare. En quantité, d’abord – elle n’en a montré qu’une part modeste, malgré une carrière qui démarre entre Paris et New York en 1949 et 1951. Et en qualité : par l’économie de moyens dont le travail de l’artiste est issu. Fin, patient, m

inutieux, le geste de Pierrette Bloch, emprunt de retenue et de délicatesse, modeste en somme, semble relevé de son caractère. 14 de ses réalisations sont entrées dans les collections du musée Fabre en 2019. Michel Hilaire, son directeur, témoigne : « Lorsque je la croisais dans les couloirs du musée, lors d’une exposition – c’était une habituée –, je lui demandais souvent “qu’est-ce que vous faites en ce moment ? “Et invariablement, elle me répondait : “rien d’intéressant“. » La postérité en juge autrement – elle est décédée en 2017. Ses lignes de crins subtilement noués, suspendues comme le temps pour Lamartine ; ces ponctuations picturales sérielles, points de suspension d’encre de Chine lâchée sur papier, lui rendent un hommage éternel.

André-Pierre Arnal (né en 1939), présenté au 1er étage, est sans doute celui des trois dont la lutte contre la peinture est la plus évidente. La plus officielle, même. Membre du groupe Supports/Surfaces, mouvement d’avant-garde des années 70 en rupture avec l’académisme, il conçoit son œuvre en énumérant les techniques qui forment – ou déforment – sa toile. Froissage, Déchirure oblique, Pliage… tels sont les titres de celles-ci, présentées sans cadre. Par leurs formats et l’effort qu’il déploie pour les concevoir, André-Pierre Arnal s’implique physiquement comme dans un combat. Qui gagne à la fin ? « Moi, bien sûr ! » sourit-il. Il a réalisé, voilà quelques années un rideau de scène pour le Domaine d’O, à Montpellier, et plus récemment un tapis de 25 m2, avec la Manufacture nationale des Gobelins, qui serait désormais à l’Élysée « choisi par Madame Macron », selon l’artiste.
* Le célèbre peintre sétois et sa femme sont les exécuteurs testamentaires Pierrette Bloch

 

Mort de Pierre Fournel

Le dernier représentant du courant Montpellier-Sète nous a quittés le 11 mai. Du « Peintre des sables » comme il est coutume de le désigner, l’œuvre en tant qu’artiste, mais aussi en tant que résistant, restera dans les mémoires.

 

Légendes :

Stéphane Bordarier, peintre, et Michel Hilaire, conservateur du musée Fabre, devant l’œuvre de l’artiste.
© FM-artdeville

1 – P.-A. Arnal devant une de ses toiles.
© FM-artdeville

2 – Pierrette Bloch, Sans titre, 1992,
Crins noués sur carton plume, 100 × 70 cm, 100 × 70 cm, Montpellier, musée Fabre, inv. 2019.11.3.
3 – André-Pierre Arnal, Froissage, 1968, peinture glycérophtalique sur toile, 185 × 142 cm, Dépôt de l’artiste, 2020.
4 – Pierrette Bloch, Sans titre, 1988, Encre noire sur papier, 50 × 65 cm, Montpellier, musée Fabre, inv. 2019.11.1.
© DR