Cet automne, quelques jours après la présentation du projet de loi contre les séparatismes, et bien avant le début des débats parlementaires qui se sont déroulés mi-janvier, Montpellier a pris l’initiative d’appliquer l’une de ses mesures en avant-première. Le jeudi 15 octobre, c’est la Société des membres de la Légion d’honneur 34 qui a signé la toute première Charte de la laïcité, conditionnant désormais toute subvention aux associations et aux syndicats. Pour mémoire, le nouveau maire PS et président de la métropole Michaël Delafosse avait fait de ce principe l’un des maîtres-mots de sa campagne. Dès cet été, il avait également promis que la capitale héraultaise en aurait la primeur, mais localement l’initiative fait des vagues. Mi-janvier, date butoir pour les demandes de subventions, seules 400 des 750 associations aidées par la Ville l’ont bel et bien signée…
« La loi de 1905 est parfaite »
Têtes de proue de la contestation contre ce texte imposé, la Libre pensée, les Rencontres Marx (association de débats proche du PCF) et la Ligue des droits de l’homme ont rassemblé de nombreux militants de gauche, tous partis confondus, derrière une tribune intitulée « La laïcité ne doit pas être dévoyée pour nous diviser » (publiée le 22 septembre sur le site lemouvement.info).
« Pour moi, la loi 1905 est parfaite, estime Robert Kissous, militant communiste comptant parmi les locomotives de la contestation. Il faut éviter de la tripatouiller, surtout dans le contexte actuel, parce qu’on n’en fera pas forcément quelque chose de plus intéressant. Au mieux, ça n’apporte rien, au pire cela ouvre la porte à de nouveaux problèmes. » Un argument partagé par Mohamed Naciri, président de l’antenne héraultaise de l’Association des travailleurs maghrébins en France, plus particulièrement inquiété par l’article 7, appelant « les associations subventionnées » à participer « à la promotion de la laïcité ». « Pour les salariés et les bénévoles de ces associations, les restrictions au port de signes ou tenues manifestant une appartenance religieuse sont possibles », poursuit le paragraphe en question. Un détail qui interroge le responsable : « Nous avons des femmes voilées, nous faisons des permanences… Est-ce que ça signifie qu’on va nous demander de trier les adhérents ? »
Plutôt que de se doter d’un document supplémentaire, Alban Desoutter, président de la Libre pensée 34, préfère batailler pour le strict respect des textes en vigueur. « Les associations de type Loi 1901 n’ont pas à faire du cultuel. Elles n’ont pas à faire de prosélytisme, sinon elles tombent sous le coup de la loi. Donc si une association détourne de l’argent public pour faire de la propagande, il suffit de porter plainte », souffle le militant, qui dénonce une entreprise de stigmatisation déguisée à l’encontre des concitoyens de confession musulmane.
Président de la Ligue des droits de l’homme de Montpellier, Christian Payard questionne : « Peut-on faire signer cette charte alors que nous n’avons trouvé aucun échange en conseil municipal ? Ça nous interroge. » Et la responsable de la fédération héraultaise de la LDH de revenir au fond du problème : « Plutôt qu’une charte qu’on nous assène et dont on ne comprend pas bien l’intérêt, on préférerait être aidé dans notre travail de terrain. Les élus viennent de s’installer, et ils font des choses… Mais nous aimerions que la commune facilite nos interventions en milieu scolaire par exemple ; les démarches sont toujours longues et complexes », détaille Sophie Mazas. Car depuis 2015 et les attentats de Charlie, la LDH a justement développé « Laïkos », un jeu destiné à initier les écoliers à ces valeurs, qui n’ont jamais autant animé la sphère politique…
Deux poids, deux mesures ?
De son côté, la Libre pensée soulève un ultime problème : le « deux poids, deux mesures » d’un débat qui ne devrait souffrir d’aucune exception. « Depuis cinq ans, nous menons une bagarre acharnée pour que Montpellier arrête de financer l’association qui organise la messe et les processions de la Saint-Roch, mais on nous dit que c’est culturel… Et pendant cinq ans, la Ville a voté toutes les subventions, et invité la population à venir aux messes. Michaël Delafosse était dans l’opposition, mais la plupart des subventions ont été votées à l’unanimité », souligne encore Alban Desoutter, à qui les élus rétorquent « patrimoine » et « histoire ».
Autre paradoxe, lors du conseil municipal du lundi 5 octobre, la Ville a voté une subvention de 8 500 euros pour la Pastorale évangélique CNEF Montpellier, destinée à l’organisation de deux repas de Noël pour environ 300 personnes, sans domicile fixe ou dans le besoin. « Ça fait quand même 28 euros par personne (…) Je suis plutôt surprise », avait alors remarqué l’opposante écologiste Clotilde Ollier. Si la majorité avait alors assuré qu’il n’y aurait « ni homélie, ni décoration religieuse », l’élue avait fini par marmonner, micro ouvert, « on est quand même en train de fêter la naissance de Jésus… » Autant d’ambiguïtés désormais scrutées à la loupe.
La charte en quelques mots
Concocté par l’Observatoire de la laïcité, ce texte avait été présenté par Marlène Schiappa, ex-secrétaire d’État à l’égalité femme-homme, en octobre 2019. Concrètement, au fil des sept articles, la charte rappelle que la République ne tolère « aucune discrimination, notamment entre les femmes et les hommes ». Elle garantit également une « liberté de conscience » ou encore un accès égalitaire « aux services et équipements publics ». Celle-ci rappelle enfin que la laïcité est un « bien commun » et ne doit pas être « source de divisions »… Loupé.