Éditorial 69

Par Fabrice Massé

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Rien ne semble pouvoir ternir le sourire des Trois Grâces

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Mieux vaut en rire

Dos à dos, dans une pose sensuelle, les Trois Grâces de la Place de la Comédie, à Montpellier, ont beau être muettes depuis leur naissance, elles pourraient nous raconter bien des choses sur la ville. Elles l’observent depuis près de deux siècles et demi et sont LE point de repère pour tous les rendez-vous, pas seulement amoureux.

Leur ronde s’est muée en mêlée lors des victoires sportives, notamment de coupes du monde. Tous sports confondus. Elles les ont suivies, stoïques, malgré la foule ivre qui escaladait leurs seins.
Sans ciller, elles ont aussi résisté aux assauts des manifestants et à ceux de la police qui, en riposte aux pavés, les aspergent désormais presque chaque week-end de gaz lacrymogène. La mousse, parfois colorée, celle montée en mayonnaise par les néo-carabins, peut bien envahir l’eau de la fontaine à leurs pieds et tenter de « laver » ces outrages, mais qu’importe ! Rien ne semble pouvoir ternir le sourire, le charme et la sérénité d’Aglaé, Euphrosyne et Thalie.

Pas même ce satané virus. Les voilà affublées d’un masque pour promouvoir le spectacle de Gabriel Desplanque à l’Opéra-Comédie, La Révolte des Trois Grâces. Certes, de Covid il n’est pas question dans cette performance théâtrale et musicale contemporaine. Mais c’est bien l’air du temps qui y est interrogé.

Que nous inspirent ces muses intemporelles, alors que l’époque nous met sous pression ? Disgraciées sous le regard moqueur du plasticien/metteur en scène, se pourrait-il qu’elles nous délivrent un message universel et nous éclairent, alors que l’horizon s’obscurcit ? Ces déesses, qui incarnent selon la mythologie grecque la séduction, la beauté, la nature, la créativité humaine et la fécondité, ont indubitablement un rôle à jouer. Sans quoi, pourquoi défieraient-elles le temps, plantées au cœur d’un espace public si stratégique ?

Issues d’une culture plusieurs fois millénaire, les Trois Grâces sont au fond plus bavardes qu’il n’y paraît. À nous de les entendre. Leur trinité statuaire semble un socle indestructible – un concept chrétien qui rythme aussi le fronton de notre République laïque (liberté, égalité, fraternité). À la fois très populaire sans être sacrée, cette statue survit contre vents et marées. D’autres représentations des Trois Grâces existent partout à travers le monde. Mais aucune, a priori, qu’on puisse embrasser les soirs de match !

Alors, réjouissons-nous que la beauté, la nature, la créativité humaine inspirent, outre l’opéra déglingué d’un artiste talentueux, une ville entière.

À propos de l’Opéra : si de part et d’autre du bâtiment, les mots « tragédie » et « comédie » sont gravés, c’est bien celui de comédie qu’on a retenu pour nommer le théâtre et la place. Mieux vaut en effet le rire. Opéra-Comédie, Place de la Comédie, un espace d’expression culturelle, populaire, démocratique… Arboré qui plus est, depuis cet automne. On avance !