Emanuel Gat n’a cessé d’explorer les mécanismes et raisons d’une danse contemporaine, nourrie d’un faisceau de facteurs. Auteur d’un véritable cycle, l’artiste cisèle un nouveau chapitre, qu’il date de façon inédite. En plein processus de création, il revient sur une approche chorégraphique à la fois intacte et en métamorphose.

Ensemble
Invité depuis 2008 à Montpellier Danse avec Silent Ballet, Emanuel Gat articule au fil des créations une véritable vaste fresque chorégraphique, dont l’ampleur et l’acuité croissent graduellement. Si perméables, mais pourtant si différentes, ses pièces portent invariablement une attention véritable au corps des danseurs, une mise en abyme du processus de création et un lien ténu avec la musique.
Artiste associé au festival en 2013, le chorégraphe avait créé quatre pièces et, dans le même temps, ouvert ses étapes de travail au public. Un rapport de vases communicants, qu’il recommence cette année avec Love Train et qui l’inspire particulièrement : « Je n’ai pas besoin d’un espace privé pour créer. Pour moi, le spectacle n’est pas créé le jour de la première. L’œuvre se structure en amont, donc plus tôt le public existe, mieux c’est. » Ces répétitions ouvertes façonnent une signature d’une fluidité presque instinctive, là où le spectacle ne s’improvise pourtant pas.

En musiques
Intrinsèquement liée à la musique, l’œuvre d’Emanuel Gat fait éclore des formes abreuvées par les notes de Bach, les nappes électroniques d’Awir Leon ou les partitions envolées de Pierre Boulez. Love Train 2020 ne dérogera pas à la règle puisque l’artiste a choisi d’invoquer le son du groupe britannique Tears for Fears, emblématique des années 80. Nostalgique et enjouée, la tonalité de cette comédie musicale pour 14 danseurs se veut plus immédiate, plus jouissive, dans son acte dansé. Elle va même jusqu’à inspirer le choix du titre de la pièce, sur lequel l’apposition de la date de l’année, induit forcément une valeur d’abord d’augure, puis de souvenir. Une pièce donc, inscrite dans la marche du temps, une borne, sorte de totem jalonnant le chemin parcouru.
Une continuité, qui va de pair avec la distribution de Love Train 2020, articulant les différentes interactions et la structuration du groupe. Si Emanuel Gat travaille toujours avec ses danseurs fétiches, il en accueille régulièrement de nouveau, au gré de ses créations : « Il y a un groupe de danseurs là depuis dix ans. Le niveau de complicité et de composition change, s’amplifie. On peut aller plus loin, car à l’intérieur du processus de création, c’est plus naturel et intuitif, ça s’affine, ça s’ajuste. »

En costumes
Dans cette épure, cette recherche du mouvement juste, le costume a longtemps rebuté le chorégraphe qui confie les avoir longtemps « évités » afin d’accéder directement aux interprètes : « Je ne voulais pas d’une couche au-delà du danseur. Je ne voulais pas les effacer avec le costume. Mais désormais, je veux faire l’inverse, voir ce que cela provoque. » De façon nouvelle dans l’œuvre de Gat, des costumes sont apparus dans Story Water, en la cour d’honneur du Palais des Papes lors de l’édition 2018 du festival d’Avignon. Le minimalisme des tenues blanches de l’ouverture de la pièce faisait ensuite entrer en scène des costumes comme des capes en matière synthétique, épaisses, recouvrant les corps : « Dans Story Water, le frottement de cette matière produisait un son particulier quand les danseurs se déplaçaient. Le costume entrait dans le mouvement. Pour Love Train 2020, ce sera plus extravagant. » Confié à Thomas Bradley, également danseur de la compagnie, le choix des costumes s’inscrit comme composante à part entière du travail de création. Il indique, de façon plus en plus affirmée, l’amorce d’un important virage, dans un parcours tout en continuité. Une période synodique, dont l’inconnue de la durée demeure tout aussi passionnante que sa trajectoire.