Si l’annonce a créé la surprise, elle traduit néanmoins une époque où le mélange des genres est pleinement assumé. L’Art brouille les pistes, infiltre la mode. Ou l’inverse.
En 1998, deux ans après avoir créé sa marque éponyme, Vanessa Bruno révolutionnait, avec quelques paillettes et une toile de coton, un objet du quotidien, le cabas. Six ans plus tard, l’accessoire, devenu best-seller, est sacralisé au Musée des Arts décoratifs de Paris. Depuis, toutes générations confondues s’arrachent ce cabas iconique dont un modèle se vendrait dans le monde toutes les trente minutes.
Femme indépendante, revendiquant une double influence, celle d’une mère danoise et d’un père français, Vanessa Bruno a toujours porté un regard singulier sur la mode, nourri par une curiosité insatiable pour des univers protéiformes où s’entrecroisent photographie, cinéma, musique, danse, art contemporain. Ainsi, le photographe de mode Marc Borthwick a-t-il signé de nombreuses campagnes pour Vanessa Bruno, l’architecte designer David Exbrayat a conçu la scénographie de ses boutiques et la réalisatrice Stéphanie di Giusto mis en scène les courts métrages. Avec Lou Doillon, l’une des égéries de la marque.
Ni consensuelle ni opportuniste, bien ancrée dans son époque mais « lassée des diktats écrasants », Vanessa Bruno crée une mode pour les femmes de tous les jours, une mode qu’elle aime, inspirée de sa sensibilité, de ses voyages et d’une profonde ouverture sur le monde. Aux top models super stars des défilés, elle préfère « les femmes de l’ordinaire » qui ont de la personnalité, transgressant leur quotidien au profit d’un univers poétique où évoluent des silhouettes élégantes, mais sans excès. « La notion d’intemporalité prime sur la notion de mode », aime à dire la styliste parisienne. Son esprit bohème chic délicatement teinté d’énergie punk, son style romantique et urbain séduisent une large clientèle : Vanessa Bruno est présente dans plus de 300 points de vente dans le monde. Entre deux présentations de collections, la créatrice s’est confiée à artdeville. Toujours très accessible, à l’image de sa mode. n
Interview
Comment s’est fait le rapprochement avec le MoCo ?
J’ai eu l’occasion de rencontrer Nicolas Bourriaud, lors de foires d’art contemporain et au Palais de Tokyo. Il connaît ma sensibilité pour l’art et je pense qu’il souhaitait à la présidence du futur centre d’art contemporain de Montpellier quelqu’un sortant un peu du système qui puisse représenter une dynamique aussi bien créative qu’entrepreneuriale. Pour ne rien vous cacher, j’ai moi-même été surprise par cette offre.
Quelles sont les raisons qui vous ont incitée à répondre favorablement ?
Montpellier a une dynamique extrêmement positive, tournée vers l’international tout en étant connectée à sa vie locale. Je connais très bien la région, mon père est d’origine nîmoise et je passe mes étés en Camargue. J’ai donc vu l’évolution de la métropole… Le MoCo, qui devrait ouvrir ses portes en juin 2019, est annonciateur d’une vision, d’un regard vers l’avenir. Le fait de créer une institution tricéphale – réunissant la Panacée, l’École Supérieure des Beaux-Arts et l’Hôtel Montcalm – est très intéressant. Mettre en lumière la filière artistique, l’apprentissage et l’exposition est un cheminement qui me parle.
Que pensez-vous pouvoir apporter à ce projet ?
Une vision dynamique. Entreprendre des actions pertinentes, sans être dans les convenances mais avec une certaine prise de risque, c’est exactement ce que je fais dans mon métier. D’un naturel curieux, je travaille en collaboration avec de nombreux artistes, dans le milieu de la danse, du cinéma, de la photo… J’espère pouvoir apporter mes connaissances, mes rencontres, favoriser une émulation de groupe. Je parlerai de ce que je sais faire mais n’interviendrai pas sur des arbitrages financiers, si ce n’est pour aider à trouver des solutions.
A quel moment vous est venue cette sensibilité pour l’art ?
Déjà enfant, mes parents m’amenaient régulièrement voir des expositions. Depuis maintenant quinze ans, je vis avec mon compagnon qui a eu une galerie à Paris, et ensemble nous partageons cette passion pour l’art. Je ne suis pas une vraie collectionneuse, je suis incapable d’acheter des œuvres par spéculation ou pour les entreposer dans un hangar. J’aime au contraire qu’elles m’entourent.
Quel genre de pièces collectionnez-vous ?
J’ai un goût très prononcé pour l’art en relation avec mon univers ; il y a toujours eu dans ma vision cette interaction entre la mode et l’art. Ma première pièce était une œuvre de l’artiste italienne Paola Pivi achetée chez le galeriste Emmanuel Perrotin. Je collectionne aussi des œuvres plus anciennes comme Wallace Berman, grande figure de l’art des années 60 et 70, proche de la beat génération. J’ai aussi découvert le travail de Sheila Hicks dont l’œuvre fascinante se situe entre la tapisserie et le textile.
Vous avez travaillé à plusieurs reprises avec le photographe de mode Mark Borthwick…
Nous avons travaillé dix ans ensemble et réussi à créer un univers autour de la marque qui est très fort. Une identité. Cette vision poétique de la femme incarnée à travers les images de Mark relève de l’art contemporain, à mille lieues des images simplistes de certains photoshoots de mode. Puis en 2012, j’ai commencé mes poèmes visuels avec Stéphanie Di Giusto, photographe, scénariste et réalisatrice (son premier film La danseuse a été présenté au festival de Cannes en 2016, NDLR). À son tour, elle a su incarner la femme que j’aimais.
Dans la mode, vous êtes une enfant de la balle…
C’est vrai que j’ai baigné dans cette culture très jeune. Mon père a démarré à Nîmes avec Jean Bousquet pour Cacharel puis à Paris, pour Emmanuelle Khan. Il a été l’un des précurseurs, dans les années 60, du prêt-à-porter en France. Adolescente, j’étais fascinée par le métier de modéliste et les secrets de la coupe. Après plusieurs années d’apprentissage chez Dorothée Bis et Michel Klein, j’ai commencé à vendre mes vêtements dans un petit atelier boutique du Marais avant de lancer ma marque, en 1996.
Le Sud vous a-t-il influencée dans la création ?
J’ai l’habitude de dire que je travaille à Paris mais que mon cœur est dans le Sud. Si vous saviez le nombre d’installations pour mes campagnes photos où j’ai récréé ma plage de la Camargue, sa lumière, son soleil ! Si mes origines scandinaves influencent mon travail, le Sud me nourrit : la légèreté, la transparence, les imprimés de Provence, le côté rustre de la Camargue, son aspect brut et artisanal associé à l’extrême féminité des femmes. Et puis j’adore chiner au marché les draps de lin, les anciens trousseaux…
Peut-on imaginer, au sein du futur MoCo une exposition dédiée à la mode ?
Je serais ravie de pouvoir interférer sur un projet comme cela car il reste beaucoup de choses à dire sur ce croisement entre la mode et l‘art contemporain. Pour l’instant, nous sommes en phase d’organisation et n’avons pas encore évoqué la programmation. Mais je connais depuis quinze ans la sensibilité artistique de Nicolas Bourriaud : il a une capacité formidable à trouver des artistes, il m’étonne toujours autant. Je suis vraiment ravie de le soutenir dans ce projet ambitieux et contribuer au rayonnement international à ce futur centre nerveux du système culturel impulsé par Philippe Saurel.