Convié par l’éditeur de design NEMO à rejoindre ses collections, Rudy Ricciotti dit avoir d’emblée décliné la proposition. À quoi bon ajouter une énième chaise ou un énième luminaire à tous ceux déjà existants ? Qu’est-ce qu’une lampe ? Comment la réinventer ? Le faut-il ? Les discussions se sont néanmoins poursuivies. Campant sur son refus de dessiner, Rudy Ricciotti guide son commanditaire vers les rejets industriels. Ceux résultant des chutes des poutres IPN seront finalement sélectionnés parce que, « dans un bâtiment industriel ou logistique, les portées sont toujours identiques. Mêmes charpentes, mêmes pans, hauteur et longueur constantes. Après découpe, les chutes sont à peu près similaires ». Si l’architecte vante l’intérêt d’aller puiser dans les poubelles de l’industrie et s’investit dans le recyclage des déchets pour contrer « l’inutilité consumériste de la matière », l’idée originelle a dû être adaptée pour répondre aux exigences de la fabrication en série. Le morceau de poutre IPN « Mais plus que ça je ne peux pas » affiche une longueur (ou hauteur) immuable de 35 x 14 cm sur lequel se trouve embouti un rail de LED. La durée de vie de la lampe ricciottienne dépend de celles de ses LED qui, si elles se caractérisent par leur longévité, ne peuvent se remplacer, (r)envoyant à terme l’objet à la poubelle dont il aura été extrait ou, plus certainement au musée ou chez des collectionneurs.

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Par son parti pris, Rudy Ricciotti ranime le ready-made de Marcel Duchamp pour qui l’œuvre découle du « regardeur ». Marcel Duchamp n’a pas fabriqué l’urinoir, le porte-bouteilles ou la roue de bicyclette qu’il fixe sur un tabouret mais, en montrant ces objets comme des œuvres, il en modifie la perception par le public. Comme l’artiste fondateur de l’art conceptuel, Ricciotti nous incite ainsi à reconsidérer l’utilité du geste du designer ou de l’architecte, voire de l’artiste ; sa portée et son sens.
La référence à Duchamp s’arrête néanmoins là, car le découpage de la poutre, la pose d’un rail de led, donne une fonction à cette pièce de métal, la transforme en objet du quotidien. Par ailleurs, la commercialisation et l’ambition d’être présent sur le marché du design, mondial, renvoient à la nécessité de la production de masse. La radicalité du geste (ou du dessein) de Rudy Ricciotti se dilue-t-elle pour autant dans la nature même de ce que nous nommons design ? À chacun de trancher. Pour admirer « Mais plus que ça je ne peux pas » se patiner sous vos yeux, il vous en coûtera entre 500 euros pour la version grand format, 100 pour la petite.

Ricciotti revendique-t-il cette filiation duchampienne ? « On peut le dire, mais je n’ai pas cette prétention quand même. Je ne m’en suis pas aperçu », répond-il à artdeville… qui a du mal à le croire !

Rudy Ricciotti
Grand prix national d’architecture (2006), Rudy Ricciotti est l’auteur de nombreux bâtiments. Parmi eux, « Le Stadium » salle de concert et de sport, Vitrolles (1994) ; Passerelle, Séoul, (2000) ; Centre chorégraphique national, Aix-en-Provence (2006) ; Passerelle des anges, Site du Pont du Diable, Aniane (2008) ; Musée Jean Cocteau, Menton (2011) ; Département des arts de l’Islam du musée du Louvre, Paris (2012) ; Musée des civilisations de l’Europe et de la Méditerranée (MuCEM), Marseille (2013) ; Mémorial du Camp de Rivesaltes ; Pont de la République, Montpellier (2014). En 2018, il livrera la salle Arena Bordeaux Métropole, Floirac et vers 2020, pour Chanel, La manufacture de la mode, Aubervilliers.

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