Opération déminage pour Emmanuelle Wargon. Le 14 octobre, au lendemain même où elle présentait les conclusions de la démarche « Habiter la France de demain », la ministre rectifie son propos : « Je le répète très clairement, il n’est pas question d’en finir avec la maison individuelle », mais avec le modèle qui « dépend de la voiture pour les relier ». Pas de quoi calmer les professionnels du logement toutefois. Quand Wargon dénonce la caricature, les fédérations répondent stigmatisation : « Le gouvernement et les élus gardent la représentation des lotissements pavillonnaires que nos professions proposaient il y a 50 ans, déclare Céline Torres-Guitard, présidente du pôle Habitat de la Fédération française du bâtiment Occitanie et gérante du groupe Immo Sélection à Baillargues dans l’Hérault. Or, nos métiers font preuve d’une réelle prise de conscience : les enjeux écologiques, économiques et sociaux, on y est et on sait faire ! Des solutions nouvelles, qui répondent au parcours résidentiel des ménages, on en cherche, même s’il faut nous les laisser sortir maintenant. La profession est punie par celles et ceux-là mêmes qui sont les héritiers et les promoteurs de politiques validées depuis des dizaines d’années. »
Innover dans le neuf et dans l’ancien
La représentante du secteur pour la région rappelle les changements que la profession met en œuvre. Parole logique et légitime de sa part, toutefois questionnée par l’émergence d’une alternative remarquée par son caractère innovant. Dans le bâti ancien, par exemple, la densification de l’existant creuse son sillon. Si les initiatives restent embryonnaires en Occitanie, elles progressent ailleurs. Ainsi, il y a deux ans dans le Val-de-Marne (94), la start-up IUDO spécialisée dans les petites opérations immobilières présentait les réalisations issues d’un programme pilote d’innovation urbaine. Huit propriétaires de pavillons, volontaires, ont transformé leur maison en résidence étudiante ou en espace de co-travail. Une telle évolution de l’habitat, aussi baptisée « densification pavillonnaire » ou « densification par la maison individuelle », fait écho au projet BIMBY (Build In My Back Yard) initié en 2007. Elle témoigne d’un autre possible pour le rêve de maison individuelle : « Le parc français est estimé par l’INSEE à 19 millions d’unités, avec une taille moyenne de parcelle de 1 000 m2 et une taille médiane des jardins d’environ 600 m2, déclarent Benoit Le Foll et David Miet au site metropolitiques.eu. Dans la plupart des cas, on ne peut envisager sur ces parcelles que la construction d’un ou deux logements supplémentaires. Si chaque année un propriétaire sur cent décidait de réaliser une opération BIMBY, ce serait quelque 190 000 logements qui émergeraient sans aucun étalement urbain, soit l’équivalent de la production actuelle de maisons individuelles, ou encore l’équivalent de la production annuelle de logements collectifs – production qui s’effectue, dans les deux cas, essentiellement en extension urbaine. »
L’habitat participatif et l’habitat partagé, à l’œuvre depuis 2014 grâce à deux dispositifs de la loi ALUR, complètent ces expériences. L’un et l’autre, à leur manière, répondent aux enjeux sociaux et écologiques. Vastes et beaux programmes, cette fois dans le neuf, qui essaiment dans plusieurs départements de la région : au nombre de 133, de type participatif, en 2019 ; qu’ils soient en projet, en construction et en fonction. Recensés par le Mouvement national de l’habitat participatif et la coopérative Oasis, ils sont principalement développés en Haute-Garonne, dans l’Hérault et en Ariège.
Oser dépasser les limites
Alors oui, les discours du politique et de la profession embrassent les ambitions définies en 2021 par la loi Climat et Résilience, mais le « zéro artificialisation nette » et la division par deux de la consommation foncière d’ici à 2030 auxquels elle engage, semblent timidement intégrés. Tandis que la densification demeure la principale alternative pour les métropoles, les petites villes et les villages restent soumis à une forte croissance de la demande en terrains constructibles. Des projets sont mis en œuvre pour y répondre, mais se contentent généralement des prescriptions et interdictions délimitées par la loi, qui certes, change à toute… allure ! Parfois, quelque label environnemental – plus ou moins controversé – est mis en avant pour certifier le caractère novateur et durable des constructions et des aménagements. Mais peu de professionnels anticipent le nouveau contexte qui s’impose à tous dont ils pointent l’expression réglementaire de mauvaise grâce. Quant à la qualité urbaine, architecturale et paysagère, elle continue de jouer petit bras. Depuis le célèbre article de Télérama dénonçant « la France moche », rien ne semble vouloir changer.
Les élus paraissent par ailleurs peu engagés en faveur du changement pour leur propre territoire, malgré l’affichage d’intentions contraires. Très présent sur ce secteur, car promoteur immobilier lui-même, Jean-Pierre Rambier est le maire de Saint-Jean-de-Cuculles, joli village du nord de Montpellier. Mécène de la manifestation d’art contemporain « Aux bords des paysages » 1, Jean-Pierre Rambier cherche-il à compenser sa contribution active à cette France du lotissement si peu écolo et si peu esthétique ? Artdeville lui posait la question cet été : « Mais ce sont les maires qui nous demandent ce type de projet », coupa alors son épouse, tandis que l’édile finit par acquiescer. Entre les obligations faites aux élus et à la profession d’une part et le rêve d’accession à la propriété individuelle des ménages d’autre part, l’équilibre économique, écologique et social reste un vœu pieux.
« Les pleureurs me fatiguent »
« On ne peut pas empêcher les gens de se loger ! », plaide Céline Torres-Guitard. Cette parole des professionnels, en faveur de l’ouverture rapide des chantiers, se soutient d’ailleurs d’une réalité : la région attire chaque année de nouveaux habitants (lire l’encadré). La demande ruisselle jusque dans les campagnes, comme le confirme la Safer Occitanie, accélérée par un effet post-Covid. Le gendarme régional du foncier agricole relève en 2020 une tendance à la hausse des ventes de maisons à la campagne (+6 %), adossée à une hausse de la valeur des biens cédés (+11 %). Par manque de temps et d’espace, à défaut de Plan local d’urbanisme intercommunal – Habitat (PLUi-H) en vigueur pour les territoires des deux grandes métropoles régionales2, le pavillon individuel et le lotissement seraient donc les réponses faciles et immédiates à la poussée démographique en Occitanie. Des arguments dont Michaël Delafosse, le maire-président de la métropole, s’agace. Il appelle le secteur à l’audace et au changement. « J’ai confiance dans l’avenir, et les pleureurs me fatiguent », a-t-il répété dans son allocution d’ouverture au salon de l’immobilier montpelliérain au mois de septembre. « Notre territoire est attractif, beaucoup de gens doivent être logés et ça ne va pas s’arrêter. Je n’ai pas la culture de l’égoïsme territorial et j’ai le souci d’accueillir des habitants sur notre territoire. Nous ne sommes pas dans un schéma de conservatisme foncier, [mais] il nous faut répondre au défi des milliers de ménages éligibles au logement social qui attendent, au défi de la transition écologique. Il faut construire de manière exemplaire. »
En plus clairement, le futur PLUi-Climat de Montpellier Métropole se fixe comme objectif la « sobriété foncière ». Les 140 ha de la ZAC des Bouisses, par exemple, jusqu’ici promis à l’urbanisation, ont désormais vocation à devenir une forêt urbaine et un agri-parc, tandis que seuls 40 ha maximum (moins peut-être, donc) seront urbanisés.
Caricature et erreurs des 50 dernières années
En finir avec le modèle de la maison individuelle ? À moins que la question ne soit mal posée. La caricature empêche de regarder au fond et de trouver des réponses plus nuancées, ainsi que le suggère Anne Sistel. Maître de conférences à l’École nationale supérieure d’architecture de Montpellier, l’architecte et urbaniste interroge la forme et la géographie urbaines : « Lorsque l’on regarde le modèle pavillonnaire, il convient de privilégier une approche globale et holistique. La question, ici, n’est pas d’en finir avec la maison individuelle mais de faire autrement avec son modèle, à l’heure où la pandémie de Covid tire la demande de logement hors des villes particulièrement. » Anne Sistel observe les pratiques des professionnels, dont le travail laisse « émerger des formes tout à fait intéressantes pour réfléchir aux questions de densité et d’aménité, c’est-à-dire à la manière dont les logements, les activités, les services, les aménagements favoriseraient le vivre ensemble ». Elle en tire l’hypothèse d’un nouveau modèle de logement individuel, de type “maison de village” moins gourmand en terre, en entretien et énergie. Avec ce souci : « Si on propose de la densité, il faut aussi proposer aux ménages les avantages de la proximité. » La balle serait à nouveau dans le camp du politique, trop volontaire depuis 50 ans à généraliser et uniformiser tout sans tirer les leçons des plans et des programmes successifs. Exemple avec la réhabilitation des centres anciens, « une voie intéressante pour une alternative au pavillon avec jardin » selon Anne Sistel, même si « les réglementations empêchent de renouveler les formes urbaines : soit l’espace est figé parce que protégé, soit il ne répond pas au besoin de qualité de vie de ses habitants parce que les services et les commerces restent en déshérence tandis que l’extension des zones commerciales se poursuit. » À défaut d’en finir avec la maison individuelle, ne devrions-nous pas en finir avec ces 50 dernières années ?
1- Installations d’œuvres d’art contemporain in situ dans les paysages du Grand Pic Saint-Loup ; une manifestation estivale organisée depuis cinq ans par la communauté de communes éponyme.
2- Le PLUi-H de Toulouse Métropole a été annulé par décisions du Tribunal Administratif en mai 2021 précisément pour sa consommation excessive d’espaces naturels – La PLUi-Climat de Montpellier Métropole est en cours de révision et devrait être applicable en 2023.
Une réalité en chiffres
Entre 2013 et 2018, tandis que seule la Lozère affiche un solde négatif de – 2 %, la Haute-Garonne et l’Hérault connaissent une progression significative de leur population : +123 % et +120 % (Source : CERC Occitanie). L’observatoire économique de la construction pour le territoire souligne la pression immobilière qui en découle. La construction neuve de logements augmente : +10,7 % pour les chantiers commencés, +15,1 % pour les chantiers autorisés (les logements non encore réalisés dont la construction a été autorisée) pour la période courant de septembre 2020 à septembre 2021. Dans la première catégorie, les logements individuels purs (+10 %) talonnent les logements collectifs y compris les résidences (+11,6 %). Dans la seconde, les projets individuels purs (+ 25,2 %) surclassent les programmes individuels groupés (+14,2 %) et collectifs (+8,1 %).
Un anachronisme de longue date
C’est au sortir de la Grande Guerre que la maison individuelle se démocratise avec les premières lois qui favorisent le crédit immobilier (loi Loucheur, 1928). C’est aussi le début des premières lois d’urbanisme avec les plans d’aménagement d’embellissement et d’extension pour les villes de plus de 10 000 habitants (loi Cornudet, 1919-1924). Le modèle est alors et surtout celui de maisons en bande, construites dans la continuité de la ville. Le modèle contemporain de la maison individuelle, sous la forme pavillonnaire, se développe dans les années 1960 à la faveur de nouvelles politiques de l’Etat d’incitation à la propriété. Une série de mesures se développent jusque dans les années 1980 pour le favoriser, telles que ce concours lancé en 1969 par Albin Chalandon alors ministre du Logement. Le contrat de construction suit, institué par une loi du 16 juillet 1971. La maison individuelle devient un phénomène de masse. L’essor de la préfabrication industrielle dans le bâtiment et l’émergence des constructeurs, tels que Phoenix, Merlin ou Bouygues, accélèrent le mouvement. La réforme de 1977 permet de réguler le phénomène du mitage, en utilisant le lotissement comme outil d’organisation du développement urbain. La loi de décentralisation de 1983, avec la compétence urbanisme conférée aux maires, provoque l’explosion du pavillonnaire. Dans les années 2000, la loi SRU tente d’y mettre un frein en encadrant le pouvoir des maires en la matière. Elle fixe un nouvel impératif : la gestion économe de l’espace. Le texte cherche à améliorer la qualité des lotissements en imposant un projet architectural et paysager, ainsi que des dispositions environnementales en matière de gestion des déchets notamment. Grenelle de l’environnement et surtout ALUR ciblent encore plus précisément les lotissements : le législateur vise à réduire l’étalement urbain et à densifier par une optimisation des droits à construire. Les règlements de lotissement (privés) perdent leur valeur au profit des Plans locaux d’urbanisme (publics) entre autres dispositions. MA