Inauguré le 2 juin dernier en présence de Françoise Nyssen, ministre de la Culture, et de nombreuses personnalités politiques, le musée de la Romanité fait battre fort le cœur bimillénaire de la capitale gardoise. Pour des raisons contradictoires, toutefois. Majoritairement heureux qu’un tel ouvre chez eux (53 000 soutiens enregistrés sur le site internet dédié), les Nîmois sont aussi anxieux, suspendus à la décision qui sera prise à Bahreïn, entre le 24 juin et le 4 juillet. Candidate au titre de Patrimoine mondiale de l’Unesco sur le thème de « l’Antiquité au présent », la ville de Nîmes pensait s’être dotée d’un argument du poids pour convaincre le comité de sélection. Et si l’élégant bâtiment conçu par l’architecte Élisabeth de Portzamparc semble en effet atteindre tous les objectifs qu’on attend d’un musée contemporain au centre d’une cité historique – montrer combien ses biens exceptionnels sont remarquablement conservés – ô surprise, c’est précisément sa proximité immédiate avec les arènes qui leste le dessein universel de la ville.
Loin de convaincre les experts du cabinet Icomos, consultés par le comité chargé de statuer sur la candidature de Nîmes, le musée de la Romanité représenterait même selon eux « une menace grave pour l’intégrité du bien proposé pour inscription, notamment pour le cadre visuel » ! Un avis lapidaire, c’est le cas de le dire, sidérant autant par sa brutalité que par, disons-le, son caractère inepte. Ce jugement n’étonne cependant qu’à demi Élisabeth de Portzamparc, qui se rappelle les critiques formulées en leur temps pour d’autres monuments. « Concernant la juxtaposition de bâtiments contemporains au patrimoine antique, de la Pyramide du Louvre au musée de l’Acropole à Athènes, en passant ici par le Carré d’art, on observe souvent, au début, des réticences. Toutefois, ces œuvres ont, par la suite, été reconnues comme dignes de celles du passé… », faisait-elle remarquer au journal Le Figaro (6 juin). « Il y a ceux, assez passéistes, qui considèrent que la création contemporaine n’est pas à la hauteur des créations anciennes… Il faut convaincre l’Unesco que la confrontation entre les siècles est exaltante, surprenante et souvent juste », espérait-elle dans Midi libre (28 mai).
Si par certains aspects, le rapport Icomos semble frapper juste, notamment sur l’impact dommageable de la circulation automobile sous la Porte de France et aux abords immédiats de la Porte Auguste, la critique s’avère discutable voire infondée : la ville de Nîmes annonçait en effet bien avant la publication de ce rapport son intention de « valoriser la Porte de France, vestige important de la Romanité dans le “langage urbain” de la ville [et] repenser de façon globale l’aménagement urbain de ce secteur » (11 décembre 2017).
Par ailleurs, alors que le rapport regrette qu’« il ne subsiste aucune trace du réseau de rues romain » peut-il en même temps vouloir effacer totalement celles de la circulation contemporaine ?

Quoi qu’il advienne à Bahreïn, le musée de la Romanité réaffirme avec force son message aux générations futures. Il souligne non seulement « l’enracinement de l’identité nîmoise dans son passé romain », comme l’exprime Jean-Paul Fournier, maire de Nîmes, mais aussi le caractère mosaïque de cette identité, aux origines également gauloise, vandale, wisigothe et encore sarrasine. L’apport contemporain de l’architecte franco-brésilienne n’en est donc que plus cohérent. Pour Carole Delga, présidente de la Région, le musée « porte l’ambition forte de partager cette identité commune qui unit chaque habitant de d’Occitanie. » Grâce notamment à la création quasi concomitante du musée Narbo Via à Narbonne (2019/20), Carole Delga annonce celle « d’un réseau de sites autour du patrimoine antique » et « la mise en valeur des 8 sites Unesco présents sur son territoire ». Bientôt 9, dès ce début juillet, ou au terme d’une nouvelle expertise, comme le préconise le cabinet Icomos ?

Réactions

Jacques Toubon
Défenseur des droits, ancien ministre de la Culture.

Pourquoi êtes-vous là ?
Je suis là parce que Jean-Paul m’a invité et que ça me rappelle, lorsque j’étais dans des fonctions officielles, l’inauguration du Carré d’art, bien sûr. Et par amitié personnelle pour Élisabeth et Christian de Portzamparc, que je connais depuis trente ans et avec qui je suis très ami. C’est la raison pour laquelle je suis ici.
Votre avis sur le musée ne sera pas objectif ?
Je n’ai pas encore fait la visite complète. Mais dans un musée, vous savez très bien que deux choses comptent : l’architecture, l’enveloppe, mais d’abord la muséographie à l’intérieur. Un musée est fait pour être un musée pas seulement une pièce d’architecture. Donc je jugerai plus tard complètement. Mais, pour ce que j’ai vu, le dialogue avec les arènes, c’est-à-dire, le dialogue avec la ville antique, est très réussi. Ça me paraît extrêmement important. De la même façon que Foster (Norman Foster, architecte du Carré d’art – NDLR) avait réussi le dialogue avec la Maison carrée, ici, le musée de la Romanité me paraît réussir le dialogue avec les arènes. Pour une ville comme Nîmes, avec l’inscription au patrimoine de l’Unesco, c’est extrêmement important. Ce bâtiment, aussi abmirable soit-il, ne doit pas être une pièce d’architecture isolée, il doit faire partie de la longue histoire de 22 siècles de Nîmes.

Françoise Nyssen
Ministre de la Culture.

On ouvre beaucoup de musées en ce moment. Comment expliquez-vous cela ? Est-ce un besoin de retour aux racines ?
Je ne crois pas qu’il s’agisse d’un retour. C’est une prise en compte. C’est s’enrichir de ses racines pour penser l’avenir, pour transmettre une histoire.
Il y a tout de même un tir groupé dans la région. Quel sens cela a-t-il ?
Voilà une région dynamique qui prend en compte son histoire, elle-même dynamique. Ça ne peut que nous réjouir.
Cela ne traduit-il pas une quête identitaire, un besoin de se retrouver à travers son histoire ? À travers des racines qui nous manqueraient ?
C’est un tout. Moi, je viens d’une ville (Arles – NDLR) qui a ouvert son musée de l’art antique il y a de nombreuses années. Je pense que chaque chose vient en son temps, quand les choses viennent à maturité, avec le dynamisme et la capacité des collectivités territoriales de se mettre ensemble, avec l’État. Pour voir comment on mène ce genre de projet à son terme. Et grâce au talent d’Élisabeth de Portzamparc qu’il faut surtout souligner.
Elle a réussi à faire valoir tout cela avec modernité.
C’est vital pour la région ?
C’est toujours source de revitalisation, ça c’est certain.

Elisabeth de Portzamparc
Architecte du musée de la Romanité

Quelle a été la ligne directrice de votre travail ?
Une grande cohérence entre la ville, le bâtiment, la muséographie et le jardin. Chercher vraiment une démarche holistique d’ensemble ; que tout soit cohérent. Que chacun soit un élément dans l’autre jusqu’au but final, évidemment, la mise en valeur des collections. Que tout soit écrin des collections, très peu bavard, très calme, pour que ce qui « cadre » ne compte pas plus que le contenant.
Y a-t-il des pièces qui ont modifié vos plans initiaux ?
Bien sûr. Lors de la disposition, l’ordre de la présentation des objets évolue, change. On s’adapte, mais les lignes centrales, le concept même n’a pas beaucoup bougé. Donc, la ville qui pénètre, la montée, la muséographie transparente, flexible, avec toutes ces percées sont restées.
Votre histoire personnelle avec la ville, comment cela a-t-il joué ? C’était important ?
J’adore l’Italie. Je suis aussi d’origine italienne, française mais italienne, tout en étant brésilienne (sourire). Donc ici, c’était ma Rome locale. Je suis venue de nombreuses fois. C’est une ville qui concentre beaucoup de qualités qui sont aussi présentes à Rome. Une concentration de surprises, de monuments extraordinaires ; c’est cet esprit que j’aime. C’est un plaisir…
Ces ouvertures en façade semblent des clins d’œil sur la ville. Est-ce votre regard qui contemple les arènes, l’Histoire, avec la conscience qu’on le regarde aussi ?
L’important, en effet, c’est cette inter-relation permanente entre la ville et le musée, entre contenu et contenant. Qu’il y ait une véritable interpénétration entre la ville et les collections.

Georgina Dufoix
Ancienne ministre, présidente de la fondation internationale pour les monuments romains de Nîmes.

Êtes-vous fière de ce nouveau musée ?
Fière est un mot qui est quelquefois dangereux, parce qu’il peut signifier orgueilleux. Je suis profondément heureuse. D’abord pour les équipes qui ont fait tout cela, et puis pour la ville. La ville va rayonner avec cet équipement et cela me fait très plaisir.
Cet équipement est le départ de quoi ?
J’aurai tendance à dire le point de départ d’un rayonnement, qui signifie le partage de cette lumière pour d’autres gens. Le mouvement aussi qui pour l’instant n’existe pas beaucoup. Ce musée crée du mouvement. Si vous regardez, vous voyez que la ville a déjà bien changé. Elle est très jolie intra-muros ; elle a été très bien arrangée. Les équipes de Jean-Paul Fournier ont fait un travail formidable. Et maintenant, il faut porter tout cela dans le monde entier, et ça, c’est votre boulot !
La contemporanéité qui ouvre sa porte au patrimoine antique, cela vous inspire quoi ?
Je crois que ça ouvre les portes de notre intelligence, sur notre compréhension des choses. Quand on regarde les arènes à partir du musée de la Romanité, on les regarde avec un autre œil. On a le cœur ouvert, l’intelligence ouverte.
Du coup, on dit ici « nos ancêtres les Romains » et non plus les Gaulois ! Qu’en pensez-vous ?
(Rires nourris) Moi je crois que « nos ancêtres Adam et Ève », ça me va très bien !

Laurent Stefanini
Ambassadeur de France auprès de l’Unesco

Où en est la candidature de Nîmes au titre de Patrimoine de l’Unesco ?
Écoutez, elle avance bien… Nous avons eu un rapport d’évaluation qui nous a un peu déçus de la part de l’organe technique Icomos, mais nous considérons qu’elle a gardé encore toute sa pertinence. Comme nous l’a d’ailleurs dit le ministre (de la Culture, Françoise Nyssen – NDLR), il y a peu de temps. Par conséquent, nous faisons campagne pour obtenir l’inscription auprès du comité du patrimoine, à Bahreïn, début juillet.
Le musée de la Romanité était sur la sellette dans ce rapport. Sa proximité avec les arènes a déplu.
Oui. Mais pour nous, cela vient d’une totale incompréhension parce que le musée apporte au contraire, démontre la valeur universelle du bien – sa valeur exceptionnelle universelle puisque pour entrer au Patrimoine mondial de l’humanité, il faut avoir une valeur universelle exceptionnelle – et le musée la démontre. On nous demande sur nos sites d‘avoir des centres d’interprétation à proximité, et là, on a mieux qu’un centre d’interprétation : on a un musée magnifique qui en plus explique ce qu’est l’antiquité romaine à Nîmes. Donc, à notre sens, il devrait être un atout. C’est que nous allons expliquer aux membres du comité du Patrimoine mondial.
Il y a des puristes au sein d’Icomos, qui considèrent que les monuments historiques doivent être sanctuarisés dans un environnement vide, désertique. Avec le monde contemporain tel qu’il évolue, ça n’est pas possible. Nous avons de bons arguments qui sont d’ailleurs compris par d’autres experts, et je l’espère, par le comité lui-même.
Il s’agit d’une différence culturelle, au fond. On a déjà cette proximité avec le Carré d’art et à la Maison carrée…
Surtout que s’il y a bien une architecture intelligente qui respecte le monument, c’est bien celle de ce musée. J’étais tout à l’heure sur la terrasse avec la ministre, la terrasse est exactement au même niveau des arènes. Ce n’est pas un bâtiment qui abîme, c’est au contraire un écrin parfait. Pour ce qu’il y a dedans et qui est exceptionnel, mais aussi d’une certaine manière, pour tout ce qui est le cœur de Nîmes, les arènes, la Maison carrée, la tour Magne, enfin, tout ce qu’il y a dans l’écusson.

 

Deux Manifestations

L’une pour la libération du Guinéen Moussa, menacé d’expulsion, l’autre contre l’augmentation importante des frais d’inscription au conservatoire de Nîmes. « C’est ça la culture pour tous ? » interpellent les manifestants.

Les collections permanentes

Dans l’air depuis quelques années, le projet de musée de la Romanité a été acté après la découverte en 2006-2007 des mosaïques dites d’Achille et de Penthée, lors de fouilles des services de l’archéologie préventive, sur les allées Jean-Jaurès de Nîmes. Leur excellent état de conservation justifie qu’on les compare à celles de Pompéi, elles-mêmes trésor spectaculaire.
5 000 pièces issues d’une collection de 25 000 sont présentées selon un parcours chronologique et thématique, du VIIe siècle av. J.-C. jusqu’au Moyen Âge. Outre les mosaïques, des statues en bronze, en marbre ; des objets de la vie quotidienne en métal, verre et céramique ; des maquettes de monuments romains et une maison gauloise reconstituée… le tout offert à l’interprétation de tous selon un principe muséographique qui les replace dans leur contexte et dans leur usage. En tout 3 500 m2 d’un vaste panorama également valorisé par des dispositifs multimédias innovants, en réalité augmentée notamment. Pour Dominique Darde, conservatrice en chef, « c’est également un lieu incontournable pour suivre et pour comprendre toute l’actualité de la recherche archéologique ».

Exposition temporaire « Gladiateurs, héros du Colisée » du 2 juin au 24 septembre 2018

 

Le musée

Telle la célèbre robe en métal de Paco Rabanne, la façade du musée rappelle à sa manière la relation intime qui lie Nîmes à la mode. Un drapé aérien qui évoque aussi les toges dont on se parait à l’époque romaine. Constitués de lames de verre sérigraphié, les 2 500 m2 de cette peau translucide joue de ses reflets changeant avec son environnement.
Derrière, 4 niveaux auxquels on accède par la rue intérieure qui dessert au fond le jardin archéologique. L’entrée du musée lui-même est latérale et donne sur un escalier monumental à double révolution ; un accès qui exprime parfaitement l’ouverture et la transparence conceptualisées par le maître d’œuvre.
Le parcours dans le musée traverse alors les époques de l’entresol à la mezzanine, et atteint enfin la terrasse végétalisée de laquelle le regard embrasse la ville à 360°. Au 2e niveau, accessible également hors des horaires d’ouverture du musée, le restaurant La table du 2 a été confié à la responsabilité du chef doublement étoilé, Franck Putelat.
Un auditorium de 180 places, une librairie boutique, 3 salles d’espaces pédagogiques, un centre de documentation et une salle de réception complète l’offre du musée.

Coût : 59 M€, dont 35 M€ supportés par la Ville, 10 par la Région, 6 par le Département du Gard, 5 par Nîmes Métropole, 2,5 par l’État, 0,5 par la DRAC, 0,15 par la CCI, et 0,04 par l’ADEME.