L’Affabuloscope, Claudius de Cap Blanc
Le musée de L’Affabuloscope au Mas-d’Azil, est situé en périphérie du village. Il faut chercher un peu avant de le découvrir au milieu de la zone artisanale peu engageante. Sur la façade de ce grand hangar de parpaings bruts, dont la base est peinte d’un motif en damier au premier regard énigmatique, de petites enseignes indiquent : « L’Affabuloscope Claudius de Cap Blanc.» «1 500 m2 d’imaginaire »
On est accueilli à l’intérieur par Bérengère Gianati. À la fois hôtesse d’accueil et médiatrice, elle présente le lieu à deux visiteuses arrivées juste avant. Nous nous incrustons et tendons l’oreille : « L’espace expose plus de 650 œuvres sur 3 niveaux de 500 m2…». Mais aussitôt accroché par les étonnants objets exposés dans le hall, notre regard ne résiste pas et entame la visite furtivement.
Bérengère Gianati tient cependant à nous présenter longuement l’extraordinaire cosmogonie imaginée par Claudius. Car l’auteur de ces sculptures est un artiste et poète exceptionnel, comme nous le verrons plus loin. Après ce passionnant portrait et quelques instructions d’usage, nous entrons, sourire aux lèvres.
Au rez-de-chaussée, la salle des machines. On y découvre les premières œuvres affabulatoires du Maître es dérision. Une affiche nous en présente le paradigme : en résumé, l’affabulisme s’inspire de la maïeutique de Socrates et consiste à accoucher l’Histoire en explorant ses recoins méconnus, tous ses possibles, « l’énergie sombre », quand bien même cette Histoire autre… n’a pas existé ! On pense à la Pataphysique d’Alfred Jarry.
Outre la dizaine de vélos en bois, extravagants, dont un exemplaire était déjà visible dans le hall d’accueil – « Ils sont parfaitement utilisables. Claudius s’en servait pour se rendre à des manifestations » indique Bérengère Gianati. Une série de coffrets, sortes de boîtes à lettres, sensibilise le visiteur à la pensée affabuliste. Représentant le « vide affabulatoire » qui en est le fondement, elles révèlent lorsqu’on les ouvre quelque aphorisme qui le définit. Exemple : «Ce qu’aurait pu être l’évolution des mammifères au jurassique si les dinosaures n’avaient pas disparu…» L’autorisation nous est donné de manipuler la plupart des œuvres, sauf celles signalées par un point rouge. Mais souvent, la lecture du cartel suffit : pour éprouver le fonctionnement de la machine à resserrer les liens, de celle à verser dans le tragique ou encore tester le redresseur de torts, nul besoin du moindre geste ! Pour la collection de « judas portatifs », en revanche, une action est parfois requise. « Ce n’est pas un même regard qui est porté sur une même scène si ce regard passe par le trou d’un judas » expliquait Claudius de Cap Blanc à propos de ces objets. Ils permettent, selon lui, d’observer quelqu’un ou quelque chose en toute discrétion, quel que soit le lieu où l’on se trouve. Créé par Georges Planchet, personnage affabulatoire qui aurait vécu à la fin du XIXe siècle, l’invention aurait fait fureur auprès des célébrités de l’époque…
Au premier étage, encore des machines mais pas seulement. Une salle est dédiée à celles qui ont pour fonction de sécher les larmes. D’autres, plus loin, sont réservées aux hommes ; elles sont des « amidonoirs » et se veulent un recours efficace en cas d’impuissance. Côté femmes, la « Mamosphère » révèle un ensemble de machines, dont l’ancêtre du soutien-gorge.
On accède au dernier niveau par un « passage obligatoire » en forme de vulve. Ce thème a rempli la dernière partie de la vie de Claudius de Cap Blanc. L’histoire de la civilisation matriarcale « Pankous » nous est contée. Une déambulation à travers outils, bijoux et autres objets qui lui auraient appartenu, nous la présente. Mais quelle pouvait être l’utilité d’un doctapal, du dohakaris et du Ad-Fana ? Qu’importe ! La « cosmogonie duale » de Claudius nous enseigne que « l’univers est féminin. Les particules élémentaires masculines qu’il contient ne sont là que pour créer du mouvement » et voilà bien l’essentiel. Ainsi, «le signe de la vulve» devient-il pour l’artiste le symbole d’un absolu.
Claudius de Cap Blanc, artiste « œuvrier »
Michel Malbec, passionné d’art, a racheté L’Affabuloscope à Claudius de Cap Blanc en 2017, alors que celui-ci était désespéré par la censure dont son travail fait l’objet : « on a gagné 5 ans », se félicite le mécène, architecte de profession, ami de Claudius jusqu’à sa mort, en 2022. À suivre une brève biographie de l’artiste, d’après le témoignage de M. Malbec.
Jean-Claude Lagarde, alias Claudius de Cap Blanc, naît en 1953 dans une famille nombreuse et pauvre de paysans ariégeois. Il est le seul de la fratrie désiré par sa mère : pour remplacer son frère, décédé à 4 ans, dont il hérite du prénom. Un début difficile qui l’amènera à rechercher toute sa vie un idéal spirituel pour s’élever.
D’abord Témoin de Jéhovah, il découvre dégoûté la violence de Yahvé et s’en émancipe. Claudius est curieux de tout, lit beaucoup. Il traverse les cinq continents exerçant divers métiers ; rien ne lui convient. Surtout pas le rôle des femmes dans les différentes sociétés qu’il découvre.
De retour au pays, il achète deux ruines accessibles uniquement à pied et les restaure avec une énergie farouche. Il devient, ce qu’il a toujours été, un « œuvrier » ; c’est ainsi qu’il se définit.
La voie est tracée. Claudius de Cap Blanc achète une usine de meubles en faillite au Mas-d’Azil. De quoi inventer, créer son monde imaginaire et ses premières machines : prothèse à sourire, à embouteiller les nuages, ou encore verser dans le tragique. L’affabulisme est né et théorisé.
En 2007, Claudius de Cap Blanc a une révélation alors qu’il assiste à une conférence du préhistorien Jean Clottes, au parc pyrénéen de l’art préhistorique, intitulée le « signe de la vulve ». Ce signe devient la première lettre d’un alphabet universel. Il veut reprendre ce récit ébauché sur les parois des grottes, il y a 38 000 ans, et oublié de nos civilisations patriarcales. Un glyphe de vulve figure sur les parois de la grotte du Mas-d’Azil.
Le 27 octobre 2007, commence le 1er siècle de l’ère vulvographique que l’artiste imagine. Claudius grave partout ce signe de la vie. Jusqu’à l’entrée de la grotte du Mas-d’Azil. Il sera sanctionné par la justice en 2013 pour cela.
Le Jardin vulvolithique, son grand œuvre
Après avoir cédé son Affabuloscope, il consacre les dernières années de sa vie à la poursuite de son Graal, son grand œuvre : le Jardin vulvolithique, à Béthylac près de Foix.
Ces roches gravées sur près d’un hectare étaient surmontées de cairns et de pierres en hommage aux femmes qui ont sacrifié leur vie à leur combat (Olympe de Gouges, Charlotte Corday…) et aux hommes exécutés dans leur lutte pour la liberté (Villon, Bobby Sands…). Un travail colossal, à peine imaginable par un homme seul. Une œuvre belle et grandiose malheureusement incomprise. A l’automne 2022, des vandales viennent renverser les pierres, taguer les glyphes. Après tant d’années d’efforts surhumains, Claudius découvre avec horreur ce massacre. Il s’immole sur place. Désolation…
Un an plus tard, « insensible au drame », selon M. Malbec, et en tout cas « à la puissance de l’œuvre », l’ONF achève officiellement la destruction de toutes les pièces rapportées sur les rochers. Un hélicoptère est même dépêché sur place pour l’occasion. « Toute la rage de destruction de l’“Homme“ » s’indigne le mécène.
Claudius de Cap Blanc laisse une œuvre prolifique, plastique et littéraire dont il reste à prendre toute la mesure.
Deux ans plus tard, que reste t-il du jardin vulvotlithique ?
Contacté par artdeville, Stéphane Villarubia, directeur de l’ONF, gestionnaire de la forêt où se situe le jardin vulvolithique, revient sur les actions menées par l’ONF suite au saccage du site.
Il évoque d’abord l’aspect « non règlementaire » de l’œuvre réalisée par l’artiste sans autorisation préalable : «on est sur le domaine privé de l’État» précise-t-il. M. Villarubia nous a fait part de son scepticisme sur la pérennité de l’œuvre en l’état au vu de sa dangerosité potentielle. Mais pas seulement : « on a pris le parti de démonter ce qui était actuellement dangereux et qui était en capacité de le devenir. On a retiré tout ce qui était fer, ferraille, plantation dans les rochers et puis, ma foi, on a laissé les gravures sur les rochers ».
Selon Stéphane Villarubia, le jardin vulvothique ne pouvait pas être pérennisé, malgré les aménagements de protection qui auraient pu être réalisés. Il aurait fatalement subi de nouvelles dégradations par les détracteurs de Claudius de Cap Blanc : « ça aurait été pire » estime-t-il.
La création artistique, actrice de la transition écologique dans Les Parcs nationaux
Tout récemment, le parc national des Cévennes a organisé un colloque des parcs nationaux pour ouvrir la discussion sur les différentes approches de chacun sur la création artistique. « Comment l’art peut venir aider nos missions. Comment la création artistique pouvait être aussi actrice dans les parcs nationaux, de la transition écologique. Pas simplement être là comme une sorte de verni de communication. Nous, on a montré que sur certains projets c’était tout à fait conciliable et même ça servait cette cause-là », nous explique Eddie Balaye, chargé de mission valorisation du patrimoine, au parc national des Cévennes.
Le Parc a par exemple soutenu pendant sept ans, jusqu’à cette année, un projet de land art, en cœur de parc, « Les Balcons de l’Aigoual ». Eddie Balaye nous en précise les modalités de mise en œuvre. « C’est un projet partenarial et ONF a été vraiment partie prenante sur cette création. C’est un processus qui a pris du temps d’échange avec les différents partenaires, c’est un peu la réussite de ce projet, c’est la façon dont le partenariat s’est construit et comment le travail avec les publics s’est fait et, surtout, toutes les étapes ont été mûries ensemble, d’abord sur les modalités de création mais aussi comment évolue l’œuvre ensuite, si elle s’altère. On a décidé de laisser mourir l’œuvre, « elle se font », « la nature la digère […] Mais parfois effectivement quand la structure est trop imposante, il peut y avoir des problèmes de sécurité qui se posent et, dans ces cas-là, un démontage qui est prévu. C’est envisagé dès le départ avec l’artiste ».
Le musée est géré par l’association Les Affabulés, à Casteras, 09290 Le Mas d’Azil
– museeaffabuloscope.fr
– la page Facebook de Claudius de Cap Blanc est encore accessible
Légendes
– Dans ces montagnes pyrénéennes son Jardin vulvolithique de Béthylac, près de Foix, a été vendalisé en 2022. Photo : DR
– Portrait de Claudius de Cap blanc, affiché dans les escaliers du musée de l’Affabuloscope.
– Bérengère Gianati et Michel Malbec, à l’accueil du musée, en août 2024.
Vues de l’exposition :
– Les vélos singuliers
– Une des machines à sécher les larmes
– Dans la salle dite Mamosphère
– Pierres vulvaires affabulées
Photos FM/artdeville
– Dans le hall du musée, question laissée en suspens sur le couvercle d’un pot de peinture par Claudius de Cap Blanc.