« La logique qui consiste à construire en partant de terrains nus est révolue. On doit partir du projet et de là envisager toutes les possibilités pour minimiser son emprise foncière », promeut Philippe Labaume, délégué général de l’Union régionale des Conseils en Architecture Urbanisme et Environnement (CAUE) d’Occitanie. Une structure qui coordonne les 13 CAUE de la région, regroupant près de 130 experts qui accompagnent les communes dans leurs développements urbains. « Dans les conseils municipaux, nous expliquons les stratégies possibles qui s’inscrivent dans la démarche qui vise à “éviter, réduire et compenser“ [selon la stratégie européenne pour la biodiversité, NDLR]. Éviter de construire de nouveaux bâtiments est d’autant plus important que cela permet aussi de limiter le bilan carbone associé à la construction. Réduire signifie densifier ce qui peut l’être. Par exemple : sortir de la logique des maisons individuelles pour aller vers des lotissements composés de maisons mitoyennes. Et compenser : par des politiques de renaturation de ville », rappelle M. Labaume.

Densifier et élever
Un changement de paradigme vertueux sur le papier mais qui peut devenir un casse-tête pour les élus. « Nous devons composer avec plusieurs exigences imposées par l’État et la Métropole. Nous avons un quota de logements à construire, dont 30 % de logements sociaux. Sachant par ailleurs qu’une part importante de notre foncier a été réservée à la construction d’un grand pôle multimodal ferroviaire et de la gare du nord de Toulouse. Ajoutons à ce contexte déjà bien contraint qu’une bonne part de notre commune est située en zone inondable. Nous avons donc une marge de manœuvre réduite », explique Thierry Duhamel, maire Divers Gauche de Fenouillet, une commune membre de Toulouse Métropole. Avec 5 595 habitants au dernier recensement de 2021, elle subit l’influence de la croissance démographique très soutenue de la ville Rose, dont l’agglomération a augmenté de 36 %, passant de 782 000 à 1 063 000 habitants. Comme toutes les communes de la région toulousaine, Fenouillet doit donc absorber un fort afflux de population, outre sa croissance endogène. Comment résoudre cette équation aux fortes contraintes ? « Nous allons, dans des proportions raisonnables, densifier et élever les constructions. Nous incitons désormais les lotisseurs et promoteurs à concevoir des projets comportant des bandes de maisons mitoyennes de ville, avec un étage. Nous avons déjà eu des propositions. Nous travaillons également sur le programme d’une ZAC, celle de Piquepeyre. Au départ, nous prévoyions 650 logements. Mais nous avons relevé cet objectif à près de 800 logements. Ce qui nous conduira à élever d’un étage supplémentaire par rapport à ce que nous avions envisagé au départ », détaille M. Duhamel.
Monter plus haut les bâtiments semble constituer une solution évidente pour juguler la consommation d’espaces naturels ou agricoles. « Déjà, il faudrait que les mairies acceptent que leur plan local d’urbanisme soit pleinement respecté. Pour donner un exemple, quand le document permet la construction de 100 logements sur une parcelle, bien souvent, la mairie, craignant de subir la réprobation des habitants, abaisse ce nombre pour limiter la hauteur de l’immeuble à construire », plaide Didier Bellier-Ganière, délégué général de la Fédération des Promoteurs Immobiliers de France. « Respecter les règles écrites permettrait déjà de gagner beaucoup sur les objectifs de réduction de l’artificialisation des sols. »

Un autre axe de solution
La réhabilitation des centres des villages et petites villes qui ont subi une désaffection de leurs commerces et habitants, laissant des appartements ou même des immeubles inoccupés, constitue un autre axe de solution. Pour resituer la problématique, rappelons que l’Insee chiffre à 149 000 le nombre de logements vacants en Occitanie ! L’État et les Régions sont mobilisés sur ce sujet. Plusieurs dispositifs ont été lancés : Bourgs-centres d’Occitanie, financés par la Région Occitanie ; Villages d’Avenir (État) ; Petites villes de demain (Banque des Territoires) ; Action cœur de ville (État). Autant de financements publics de bon aloi qui eussent pu être regroupés pour ne pas rappeler à quel point la France aime les mille-feuilles administratifs…

Pour autant, ce type de démarche est-il moins onéreux que la construction d’un immeuble à partir d’un terrain nu ? La réponse n’est pas évidente. « On ne peut pas généraliser dans un sens ou dans l’autre. Rendre habitable, par exemple, le bâtiment désaffecté d’une ancienne entreprise ne représente pas forcément un budget moins important que la construction d’un bâtiment à partir d’un terrain. Cela dépend de la complexité des architectures et des projets », nuance Thomas Couderette, un acteur de l’urbanisme dit « de transition ». L’agence Intercalaire, composée d’architectes, d’urbanistes… qu’il a cofondée réhabilite des bâtiments publics ou privés inoccupés pendant une période de vacance de plusieurs mois à plusieurs années, induite par un changement de propriétaire. Une innovation sociale qui permet d’héberger de nombreux sans-abri à Toulouse depuis 2014 (lire pages 12-13).

« La ville vivante », à Villeneuve-lès-Avignon

On le voit, les possibilités ne manquent pas pour aller vers le zéro artificialisation nette à l’horizon 2050. Point commun de ces nouvelles politiques urbaines : la végétalisation et la biodiversité en ville. Ce thème sera placé au cœur de la nouvelle édition du festival « Architecture en fête », qui se tiendra du 10 au 13 octobre au sein de la magnifique Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon. Soutenu par la DRAC Occitanie, cet événement sera composé d’ateliers pédagogiques, de conférences et d’expositions et aura cette année pour thème « La Ville Vivante ». Les deux premiers jours seront ouverts aux enfants ainsi qu’aux étudiants en école d’architecture, urbanisme, le week-end étant destiné plus largement au grand public. 3 000 participants sont attendus. « Il s’agit de mettre en avant les initiatives, bonnes pratiques et stratégies de transition écologique pour rendre la ville plus vivable. En partenariat avec l’Ensam (École nationale supérieure d’architecture de Montpellier), des étudiants présenteront leur projet de fin d’études sur ces thèmes », explique Audrey Pujol, chargée de la programmation de cette manifestation, qui poursuit : « Deux grandes tables rondes porteront sur les enjeux de la renaturation en ville et sur l’agriculture urbaine. »

En l’occurrence, une association, les Jeunes Pousses, qui promeut le rapprochement des urbains avec la nature, viendra témoigner. Ses membres ont mis en œuvre le « Tipi », un grand ensemble vert articulé autour d’une ferme urbaine, qui pourrait préfigurer d’une ville de demain. « L’agriculture urbaine est ici utilisée comme un levier permettant de rassembler une grande diversité d’activités mêlant des espaces de cultures, une forêt comestible, une pépinière, une cantine, un bar-café, une scène de concerts et de conférences, un atelier de céramique, une herboristerie, un site de compostage, un poulailler et des ruches. », précise l’association. Autant d’innovations et de nouvelles perspectives urbanistiques qui seront présentées dans le cadre du festival.

Légendes (photos d’archives) :

1 – Upside down par Extra. Visite en famille du Petit Cloître
Hélène Albert, architecte et Danaë Suteau, danseuse, proposent une performance dansée participative au fil d’un parcours élaboré à partir de signes graphiques pour explorer l’espace et l’architecture avec son corps.
© Alex Nollet – Architecture en fête (2023)

2 – Repenser l’hospitalité dans nos espaces publics, une table ronde en partenariat avec la maison de l’architecture Occitanie Méditerranée (MaOM), modérée par Daniel Andersch, architecte et urbaniste, directeur des études et de la pédagogie de l’ENSAM, vice-président de la MaOM.
© Alex Nollet – Architecture en fête (2023)

3 – Home, Cie Hors Surface, de et avec Damien Droin.
Architecture en fête (2023) – © Alex Nollet