Le critique d’art, philosophe et journaliste, François Salmeron a sillonné les routes d’Occitanie à la rencontre d’artistes de toutes nationalités représentants d’une tendance récente qu’il définit comme art écologique. Un parcours réalisé en 2022 dans un souci de produire « le moins de CO2 », dit-il, et mené autour d’une résidence au centre d’art la Caza d’Oro (Ariège) et au côté de Documents d’artistes Occitanie. Les artistes sur sa route, une vingtaine en tout, ont conduit François Salmeron à une réflexion en 272 pages, qu’il relate dans l’ouvrage Itinérances écologiques, art, éthique et environnement, paru en janvier 2024.

Depuis la nuit des temps, l’art s’est imprégné de son époque et de son environnement. Qu’ils soient rupestre, impressionniste, cubiste, baroque et, aujourd’hui, vidéo, numérique…, les courants artistiques sont l’expression des ruptures technologiques, sociétales, environnementales qui ont forgé leurs outils, leurs supports et inspiré leurs sujets. Parmi les plus récents comme le Land Art, Green Art ou encore Trash Art, des artistes qu’on apparente souvent à l’art environnemental ont marqué les regards, à l’instar de Nils Udo, ce plasticien allemand qui emprunte son matériau de base aux territoires naturels qui l’entourent. Mais cette manière de faire avec la nature se retrouve chez nos ancêtres dès la Préhistoire, ceux des grottes du Pech-Merle à Cabrerets (Lot) ou Niaux (Ariège), figurent dans notre région parmi les nombreux exemples au monde. Des œuvres laissées sur ces parois mais aussi des monolithiques, parfois gravés de figures humaines comme celles qui ont parsemé la région et qui sont à (re)découvrir cet été au musée Fenaille de Rodez, à la faveur d’une exposition exceptionnelle de leurs homologues éthiopiens (lire Agend’Oc).

 

Aux origines de l’écologie
Avant de se pencher sur ce courant contemporain qu’est l’art écologique, François Salmeron a donc parcouru les origines de la science écologique. Étymologiquement, le mot vient du grec oikos (la maison) et logos (la science, l’étude). Cette discipline prend racine à la fin du XIXe siècle et s’interroge sur l’habitabilité de la planète. Ernst Haeckel, biologiste et inventeur dudit mot en 1866, définit l’écologique par « les liens d’interdépendance entre les êtres vivants et l’habitat ». Une notion perdue par les sociétés occidentales, rattrapées par celles de productivisme et de consumérisme, tandis que les peuples dits « Premiers » continuent de voir la nature comme source de toute chose. Inuits, Mayas, Peuls ou Aborigènes ont longtemps participé à la préservation de ce que l’on appelle des « forêts vierges ». Les écosystèmes y perduraient grâce à l’entretien de leurs habitants, mais sont aujourd’hui menacés suite au changement climatique et aux expropriations.

L’art écologique, aux antipodes de l’anthropocentrisme
Mais ce courant artistique, explique François Salmeron, ne se contente pas d’un art in situ, de belles photos d’un arbre ou de peindre un paysage. Ce qui le distingue de cette démarche « anthropocentrée » est un art qui « s’appuie davantage sur le contact et l’immersion avec le vivant. Il ouvre nos sens au-delà de la vision ». L’art écologique « redéfinit la perception du vivant, qui le réévalue et ne colle pas à un effet de mode productiviste ». Ainsi, l’art écologique se questionne-t-il sur le sens, avec « des œuvres qui s’implantent dans un écosystème et participent à la vitalité de celui-ci ».

Max Hooper Schneider figure parmi les artistes ayant retenu l’attention de François Salmeron. Son œuvre Pourrir dans un monde libre, exposée au MO.CO. Panacée de Montpellier en 2022, propose des paysages en mutation appelés « jardins médico-légaux ». La question des « héritiers de la planète » comme étant ceux « capables de prospérer sur le substrat luxuriant de la pourriture humaine accumulée au cours des siècles » y est posée. Une vision catastrophique qui ne doit pas être la seule à intervenir dans le travail d’un artiste, postule François Salmeron. Pour le critique d’art, il faut s’en détacher, « sinon on s’enferme dans un nihilisme et une éco-anxiété qui [ne seraient] pas nourrissants ».

Pour illustrer son propos, François Salmeron cite aussi Guillaume Bautista, un artiste plasticien de Toulouse. Avec Cellule A, « un espace modulable autonome en énergie et bénéfique pour la biodiversité », il repense la manière d’habiter. Encore au stade de l’exposition, ce projet artistique, environnemental et éducatif pourrait passer à l’étape expérimentale, suite à un chantier participatif. Durant la conférence à l’Isdat, François Salmeron précise également les autres domaines jalonnés par l’art écologique. Préservation, revitalisation et soin font partie intégrante de la démarche afin de respecter l’écosystème dans lequel l’œuvre s’inscrit, sans jamais l’abîmer davantage, ou mieux, en le réparant.
Dans son carnet de route environnemental, François Salmeron s’est attaché à découvrir « la formidable vitalité des approches éco-engagées qui fleurissent dans le champ de l’art contemporain ». Parmi la vingtaine d’artistes qu’il a rencontrés, on croise aussi Bianca Bondi (photo de une) dont on peut admirer l’œuvre forte et cristalline parmi celles de l’exposition Entre les lignes, art et littérature, jusqu’au 19 mai, encore à la Panacée.

 

Quand la nature vivante fait son spectacle

Tandis qu’on se mobilise dans le secteur bien nommé du « spectacle vivant » pour accorder programmation et organisation à l’écologie (Lire Pas trop tôt mais on est dans l’étang – artdeville 75), le mouvement de la transition semble embarquer beaucoup de monde, comme le confie Fabien Bergès, directeur du Théâtre + Cinéma de Narbonne. En mars dernier, il proposait Les rencontres Animage, un événement organisé avec le lycée Martin Luther King en extérieur, dans les massifs de l’Abbaye de Fontfroide, où les œuvres se

fondaient dans un décor naturel. Les artistes et spectacles programmés s’interrogeaient sur notre rapport à la nature, aux animaux et au vivant, à travers une approche sensible et scientifique. Une thématique qui suscite de plus en plus d’intérêts de la part des spectateurs, selon Fabien Bergès : « Ils sont en demande de spectacles hors du commun, présentés dans la nature, où même le vent fait partie intégrante de l’œuvre. On a dû refuser du monde tellement la fréquentation a été forte. » Parmi sa programmation, les pièces qui s’emparent du monde du vivant prennent une bonne place. Que ma joie demeure, le 1er juin prochain, est une « épopée paysanne jouée en pleine nature » en partie inspirée du célèbre roman de Jean Giono.

 

Renaud Robin, des bois aux vies parallèles

Il y a quelque chose de cosmogonique, spirituel, fondamental dans la fable naturaliste que nous conte le sculpteur sur bois Renaud Robin. Et pourtant si léger, zen, comme le mouvement d’une onde que déplaceraient les chimères si soudain elles s’animaient. On pense à Pinocchio, aux regards naïfs, plus ou moins incrédules des enfants que ses aventures continuent d’émerveiller.

Mais le monde fantastique que nous invite à explorer l’abbaye Saint-André, à Villeneuve-lès-Avignon (Gard), existe bel et bien ! C’est en tout cas ce que va nous promettre la facétie de Renaud Robin en nommant ses créatures selon un vocabulaire pseudo-scientifique. Les formes organiques qu’il nous donne à voir sont-elles les véritables fossiles d’authentiques bestioles ? On y croise, en tout cas, le phelloscaphe (scafilus megasuber) qui, selon leur créateur, est une espèce aquatique vivant dans les rivières aux eaux peu profondes – le cartel en atteste. Il y a l’helicopte bulbeux, le fléau des marais, la phalaine à longue queue, la liane errante ou encore le myxomycèle, potentiel champignon, tout comme le sumacus fungus. Et à chacun son biotope, rigoureusement décrit par l’artiste.
Inspirée du manga écologiste japonais Nausicaä de la vallée du vent, de Hayao Miyazaki, la Fukaï (titre de l’exposition) conçoit avec finesse et une grande dextérité un univers touchant, complexe et poétique qui ne manque pas de nous rappeler, mine de rien, la réalité qui pèse sur notre monde contemporain. L’ancien apiculteur aveyronnais qu’est Renaud Robin en sait quelque chose.
La Fukaï, exposition à l’abbaye Saint-André jusqu’au 2 juin suivie de Traits de plume, de Patrick di Meglio, « une ode à la la nature en danger et à la beauté fragile des oiseaux », du 5 juin au 1er septembre 2024 – www.abbayesaintandre.fr

 

Légendes :

– A la une : François Salmeron dans l’atelier de Jean-Luc Favero, à Grazac, août 2022.
© Natalia Pastor

– Vue d’exposition, “Entre les lignes. Art et littérature”, MO.CO. Panacée, Montpellier, 2024 : Bianca Bondi, The private lives of non-human entities, 2020, courtesy mor charpentier, Paris
© Adagp, Paris, 2024. Photo : Marc Domage

– Itinérances écologiques, art, éthique et environnement est « une étude de terrain attentive à notre temps pour découvrir la formidable vitalité des approches éco-engagées qui fleurissent dans le champ de l’art contemporain. »
Paru en janvier 2024 aux éditions Caza d’Oro. 18 x 24 cm – 272 pages – 29,00 € 

– Croire aux fauves, un spectacle en pleine nature créé par Les Arts Oseurs, a été joué dans le cadre de Animage : « Un récit initiatique et anthropologique, qui nous invite à interroger les liens entre les mondes humains et non humains, entre visible et invisible. »
Copie d’écran www.theatrecinema-narbonne.com

– Etoucan, 2022 – Mûrier – 17 x 10 x 08 cm
© DR