Le titre donne le ton. Anarchitecture, un jeu de mots éloquent qui décrit bien l’intention à la fois rebelle et programmatique de l’œuvre de Gianni Pettena. Non pas abolir l’architecture, mais la concevoir plus librement, la remettre en question de manière radicale.

La façade du centre régional d’art contemporain (Crac – Occitanie), à Sète, s’est-elle ainsi parée de franges de plastique blanches. Depuis le 9 février, date de l’inauguration de l’exposition, elles s’enroulent autour de l’enseigne sous le souffle du vent et recomposent l’architecture brutaliste de l’ancien entrepôt frigorifique. Une rafale pourrait à tout moment en arracher quelques mèches, mais qu’importe, « il faut l’accepter », explique la directrice des lieux, Marie Crozette.
Heureuse de pouvoir présenter cette exposition pour partie inédite, elle regrettait l’absence de l’artiste italien, ce jour de vernissage, retenu à Florence pour une question de santé. Né en 1940, Gianni Pettena est l’auteur d’un manifeste par lequel il a décrit en 1973 sa condition d’« anarchitecte », un art de vivre créatif dédié à une architecture qui marquera de nombreuses générations d’étudiants et artistes.

Œuvres immersives
À l’intérieur, on retrouve les franges blanches dans la première salle de l’exposition. Cette fois, elles sont en papier et occupent entièrement l’espace, jusqu’à 5 m de hauteur environ, suspendues à des fils de nylon. Il aurait fallu une dizaine de jours à trois ou quatre personnes pour composer ce « pénétrable » nommé Papier. Et si pour l’heure, les lamelles sont intactes, il n’en sera pas de même quelques instants plus tard, puisque le public était invité à s’y frayer un passage à l’aide d’une paire de ciseaux. Cette agentivité offerte aux visiteurs – radieux – s’inscrit parfaitement dans la philosophie de l’artiste qui professe l’idée de partager l’autorité du geste à l’œuvre. On pense à Jesús Rafael Soto, à Martin Creed, qui ont emprunté un chemin comparable…

Agir sur l’œuvre, c’est aussi ce que propose Tunnel sonoro conçue par Gianni Pettena en 1966 et produite pour la première fois à Sète. Une série de carrés de métal de tailles décroissantes qu’un performeur a été invité à pénétrer après avoir enfilé une tunique à lamelles métalliques, rappelant l’iconique robe signée Paco Rabanne. Le chaos entre la structure et les écailles qui s’entrechoquent résonne alors dans toute la pièce, à la manière d’un morceau de musique concrète très en vogue pendant cette génération. Une allusion allégorique subtilement traduite de(s) « cadre(s) de vie » dont il faut peut-être savoir s’extraire pour avancer. Sur un écran, on peut visionner la vidéo qui a fixé la performance.
Une troisième salle montre Archipensée et est entièrement recouverte, elle, de raphia naturel ; l’odeur forte dans la pièce en témoigne. Au centre, une structure déconstruit la forme d’un temple grec, elle-même recouverte de raphia. Jouant avec plus ou moins de bonheur avec l’anamorphose, le spectateur qui le souhaite peut reconstituer ce semblant de temple originel en déplaçant son regard. C’est la dernière œuvre réellement immersive de l’exposition.

L’avenir du monde
Les trois autres salles du Crac proposent à voir des œuvres moins monumentales mais toutes aussi spectaculaires et prolongent le dialogue récurrent qu’entretient Gianni Pettena avec le land art, l’arte povera, la performance… Architecture qui respire montre un mur dont une partie de la surface est décollée. Présence/absence représente en creux la silhouette d’un corps assis, bras ouverts, dans un moulage de résine. La première occurrence de la sculpture répondait à une commande de la Ville de Pompéi. Mur humain commémore Clay house, une installation de l’artiste qui a fait sensation, en 1972. Réalisée la première fois à Salt Lake City (USA), la performance consistait à recouvrir entièrement de terre glaise humide un pavillon middle class de la ville.
Dans les salles suivantes du rez-de-chaussée, l’artiste invite le visiteur à la réflexion… sans toutefois se prendre au sérieux ! Sur un gradin, le manteau que porte habituellement Gianni Pettena est décliné selon différents médium. Le premier, authentique, est équipé d’un siège que les pans du caban rendent invisible. Cette installation-performance, Ombre, a aussi fait l’objet d’une vidéo, diffusée sur un écran juste à côté.
Selon le même principe, les Chaises portables (1971), dont l’artiste équipa ses étudiants du Collège of art and design de Minneapolis, leur ont permis de débattre de l’avenir du monde en tous lieux et toutes opportunités !
Là, elles sont simplement suspendues au plafond. Dommage. Mais peut-être seront-elles activées d’ici le 1er septembre, fin de l’exposition ?

De là, on retrouve Papier l’installation-performance également réalisée par ses étudiants la même année. La salle de classe avait été le premier lieu envahi !

Enfin, à l’étage, quatre vidéos dont l’une, auto-dérisoire, filme Gianni Pettena à son bureau, au travail. À vrai dire, pas tout à fait, puisque aucun de ses gestes n’est vraiment productif !

Anarchitecture, du 10 février au 1er septembre, Crac-Occitanie, 26 quai Aspirant Herber, Sète.