Années 60. Toulouse se développe, bétonne, étend ses infrastructures, construit à tout va. Ses premiers immeubles sont érigés, une fierté du maire, Louis Bazerque, qui veut alors faire de la Ville rose une petite New York. La place du Capitole se mue en vaste parking. C’est l’heure de la « bagnole » triomphante. Par la suite, la ville n’aura eu de cesse de se développer en un vaste étalement urbain anarchique… 6 décennies plus tard : changement de donne à l’heure de la catastrophe écologique. La loi dite de zéro artificialisation nette (ZAN) impose un agenda très strict aux édiles des villes en pleine expansion comme Toulouse et Montpellier. Elle les oblige à trouver des solutions pour concilier croissance démographique, nouvelles constructions et foncier devenant rare, réticences de la population à avoir des immeubles trop haut, et tout à la fois augmentation de la végétalisation et de la biodiversité urbaine.

Des arbres plantés surtout dans… des espaces verts
À Toulouse, des arbres sont plantés, petit à petit, d’une rue à une autre. Logique. Dès 2020, Jean-Luc Moudenc a annoncé le lancement d’une grande opération prévoyant 100 000 arbres de plus dans la commune, tout au long d’un calendrier qui s’étend jusqu’à 2030. « À ce jour, nous avons planté 36 000 arbres, selon un décompte précis que nous effectuons, en tenant compte de l’arrachage des arbres morts. Il s’agit donc d’un solde net », explique Clément Riquet, conseiller délégué de la mairie de Toulouse aux espaces verts, à la biodiversité et aux jardins partagés. « Nous démarrons une phase avec l’ajout de 20 000 arbres supplémentaires d’ici au printemps 2024. »
Ces nouvelles plantations se situeront en grande majorité dans des zones déjà vertes telles que la berge est de l’Île du Ramier ou la base de loisirs des Argoulets. Ce qui ne signifie pas que rien n’a été fait jusqu’à présent dans des sols minéralisés. Ainsi, dans le centre-ville, 353 arbres ont été ajoutés en trois ans aux trottoirs de rues et boulevards et sur quelques places, outre 46 arbres ajoutés dans des jardins. Sans doute insuffisant ? Clément Riquet veut rassurer : « De nouveaux aménagements en pleine ville sont ou vont être prochainement lancés, beaucoup plus visibles des Toulousains. » Ces nouvelles opérations utilisent la technique dite des « tranchées de Stockholm ». Objectif : refaire les trottoirs en installant sous les futurs arbres un lit de pierres dans l’interstice desquelles les eaux pluviales seront retenues et où les racines pourront s’étendre en profondeur. En surface, le sol sera en partie désimperméabilisé et remplacé par de la terre. Les rues Valade, de Metz, le boulevard Netwiller à Borderouge, ou encore la Grande rue Saint-Michel constituent les premières opérations.

Cadre de vie
À Toulouse, la politique de renaturation s’applique aussi au domaine privé avec « la Charte de l’arbre et des projets immobiliers ». Elle a été signée au mois de septembre 2023 par la mairie avec les principaux acteurs de la construction, tels que la Fédération des Promoteurs Immobiliers. Il s’agit en intention première de « répondre aux enjeux climatiques, de protection de la biodiversité, de lutte contre l’artificialisation des sols et d’amélioration du cadre de vie ». Chaque programme immobilier présenté en vue d’un dépôt de permis de construire doit désormais intégrer une étude de végétalisation et une équipe disposant de « compétences tant dans le domaine de la conservation des arbres existants que de la plantation de nouveaux sujets. » Il s’agira de « sélectionner des essences de végétaux adaptées au sol et au climat ».
Plusieurs projets immobiliers s’inscrivent ainsi déjà dans ce changement de paradigme. Exemple : dans le cadre de la reconversion du site industriel de Latécoère, quartier de la Roseraie, Les vergers de Cyméa, un ensemble immobilier de 262 logements sortira bientôt de terre, « avec un ensemble d’îlots verts conçus pour permettre l’épanouissement de la faune et de la flore », explique Emmanuelle Parache, dirigeante de la société Biocenys, qui accompagne les promoteurs immobiliers dans leur stratégie de biodiversité. Concrètement, sont prévus dans la future résidence : 360 m2 de prairies mellifères ; 185 arbres dont des fruitiers pour nourrir les oiseaux et insectes ; 640 m2 de haies champêtres et 1 500 m² de massifs offrant habitats et alimentation pour la nouvelle faune ; et 990 m2 de façades végétalisées. « Nous allons former les habitants deux fois par an aux enjeux de cette biodiversité », précise Emmanuelle Parache. Au programme : un inventaire participatif de la faune et flore ; apprendre à protéger les pollinisateurs en fabriquant un nichoir à abeilles sauvages, à gérer écologiquement son potager, ou à favoriser la biodiversité sur son balcon.

Ce verdissement des programmes immobiliers s’observe à l’échelle nationale. Il y a dix ans déjà, la Caisse des dépôts et consignations (CDC) mentionnait l’émergence d’une conception de construction d’« infrastructures positives » en matière de biodiversité, c’est-à-dire génératrices de biomasse et de diversité. Aujourd’hui, Icade, filiale construction de la CDC qui a conçu le projet Cyméa, reprend le concept de « biodiversité positive ». Il consiste à conditionner une construction à un apport net de biotope par rapport à l’existant sur la parcelle initiale, incluant la possibilité de végétaliser les murs et les toits. En 2020, la société revendiquait déjà avoir appliqué ce principe écologique à 36 % de ses projets de promotion immobilière.

Développer des entrelacs de biodiversité
À Toulouse, les groupes d’opposition municipale (Toulouse écologiste, solidaire et citoyenne et Alternative Municipaliste Citoyenne) portent chacun un projet de renaturation qu’ils revendiquent comme plus ambitieux que celui de la majorité, avec l’idée notamment de créer des zones humides et boisées en ville. Jusqu’où pourrait aller un processus plus systémique de renaturation de la ville ? Pour avoir quelques éléments scientifiques d’une telle approche, artdeville est allé à la rencontre d’un chercheur en écologie. « Il faudrait envisager à l’échelle du centre-ville la création de petites forêts urbaines reliées par des corridors écologiques où la nature serait sanctuarisée. Ce maillage offrirait ainsi un espace d’habitat à une faune d’oiseaux et d’insectes contribuant eux-mêmes à un écosystème équilibré et autosuffisant », explique Dov Corenblit, enseignant-chercheur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, membre du laboratoire Écologie Fonctionnelle et Environnement. « Il faut aussi concevoir cette biodiversité au travers des services qu’elle peut apporter : le bien-être à la population ; un cadre pédagogique pour que les enfants et adultes découvrent ou comprennent mieux les enjeux de l’écologie ; aider à lutter contre les îlots de chaleur urbains ; dépolluer les sols grâce à certaines espèces végétales… », détaille l’universitaire.

Un plan local d’urbanisme « Climat » à Montpellier
À 200 km de Toulouse, la municipalité et la métropole de Montpellier s’engagent dans un projet d’urbanisation où la nature occupe une place de premier plan. « Nous finalisons la rédaction de nouveau Plan local d’urbanisme intercommunal – climat (PLUI-C). Il prévoit la restauration de continuités écologiques qui ont été rompues par la forte urbanisation de Montpellier ces dernières années », explique Coralie Mantion, 2e vice-présidente de Montpellier Méditerranée Métropole, élue sous l’étiquette Europe-Écologie Les Verts, en charge de l’aménagement durable. « Nous allons également planter 50 000 arbres, ce qui donnera lieu à la création de petites forêts urbaines. Nous imposerons également aux porteurs de programmes immobiliers l’installation de plateformes photovoltaïques au-delà de 200 m² de surface de plancher. » Le « réseau » végétal existant et à développer fera l’objet d’un suivi dans un objectif de « zéro perte nette de biodiversité ».
En termes d’impact sur l’urbanisation, Coralie Mantion projette la diminution de 50 % de la progression de l’artificialisation des sols à l’horizon 2030. « La déminéralisation de l’espace urbain est un enjeu essentiel que la végétalisation envisagée dans certains projets de construction ne doit pas faire oublier », prévient-elle.  FD

Idée

À quand la « biodiversité positive » dans les PLUI ?

Le maire-président de Toulouse-Métropole, Jean-Luc Moudenc, vire-t-il dans le camp des climato-sceptiques ? C’est en tout cas ce que laisse croire sa tribune dans Le Parisien du 10/10/2023. M. Moudenc y dénigre en effet les « vérités » scientifiques d’un jour qui auraient abusivement, selon lui, inspiré les ZAN. Dans le même registre populiste, il s’inquiète du « rôle excessif des Autorités environnementales » qui ne jouent pourtant qu’un rôle de baromètre lorsqu’elles émettent leurs avis sur les documents d’urbanisme. Jean-Luc Moudenc serait mieux inspiré de choisir l’efficacité : agir sur le temps lui-même pour, selon ses mots, offrir « un nouveau souffle ascendant » au climat de la Métropole. Lui qui en appelle dans cette même tribune « à définir les principes plutôt qu’à décider les moyens », Jean-Luc Moudenc devrait en toute cohérence s’emparer du concept de biodiversité positive et l’inclure parmi les orientations du plan aménagement et développement durable de son futur PLUiH, par exemple, voire dans son règlement. Selon Wikipedia, « une maison (ou n’importe quelle construction humaine) est dite “à biodiversité positive“ si elle abrite dans (ou sur) ses structures extérieures une biodiversité supérieure à ce qu’elle aurait naturellement été sur le site s’il était vierge de construction. » Voilà bien à coup sûr une réponse pertinente à la ZAN sûrement plus constructive, à tout point de vue.

 

L’élue écologiste de Montpellier Coralie Mantion, architecte urbaniste, ne méconnaît pas l’expression biodiversité positive. Sa première occurrence a figuré dans le projet Éco cité de la Route de la mer, une étude menée par son réputé confrère Bernard Reichen, dès 2009. Ce projet prévoyait la requalification d’une vaste zone commerciale dont une partie inondable était « restituée à la nature », une autre partie étant, certes, largement densifiée dans une version ultérieure (Ode à la mer), et pas forcément à partir de friches. Le projet a été abandonné en 2020. Quoi qu’il en soit, après avoir affirmé en conférence de presse qu’un autre projet lancé depuis, celui des Bouisses, intégrerait le principe de « biodiversté positive », on est surpris de ne relever aucune occurrence de ces termes dans les documents qui s’y rapportent, notamment dans le projet de PLUI-C. Ni « biodiversité positive », ni « zéro perte nette de biodiversité » qui, elle, figure pourtant sur un document de travail.  FM

 

Légendes des photos :

• La résidence Wood’Art-La Canopée intègre un « rapport renforcé à la nature et à la biodiversité ». ZAC de la Cartoucherie à Toulouse, l’immeuble est en outre à 76 % en bois et lauréat du concours « Immeubles à vivre bois ».  Projet subventionné par la Région Occitanie.
Copie d’écran www.icade.fr

• La résidence Cyméa d’Icade Promotion, Toulouse, place la biodiversité au cœur de son programme. Son programme a obtenu le Label Biodivercity.
Copie d’écran www.icade.fr

• En 2000, avec « L’immeuble qui pousse », à Montpellier, l’architecte Édouard François voulait porter dans les interstices de ses murs les semences de sa future végétation, mais cela échoue. Il y est parvenu depuis avec notamment la tour de la biodiversité, végétalisée à l’aide d’espèces issues de milieux sauvages. Elle devient semencière grâce au vent. © Maison Édouard François

• L’immeuble « Paysage de Giverny » de l’agence Édouard François, rend hommage à Claude Monet. Non réalisé, il témoigne néanmoins de la volonté du cabinet d’architecte d’inclure le végétal dans tous ses projets. © Maison Édouard François