Voilà des années que le festival toulousain de création contemporaine se jouait des saisons autant que de la raison en programmant son Printemps de septembre jusqu’en octobre. Cette année, l’association organisatrice entend innover en calant l’événement… au printemps.
Il s’étalera désormais du 2 juin au 2 juillet, débordant, certes, largement la saison des primevères. On ne se refait jamais complètement. Mais par-delà ces considérations calendaires, Le Nouveau Printemps, donc – titre de la 32e édition du festival – se métamorphose franchement.

Par sa présidence, déjà. Mathé Perrin, la fondatrice-présidente du rendez-vous culturel, en 1991– un festival de photographie à Cahors, à l’époque – devient présidente d’honneur, tandis qu’Eugénie Lefebvre prend les rênes. Anne-Laure Belloc conserve quant à elle la direction.
Dans cette 1re édition nouvelle formule, on inaugurera aussi un fonctionnement différent, celui de confier à un.e artiste associé.e le soin de présenter sa vision de l’art en l’insérant dans un quartier toulousain. Le challenge a été confié cette année à matali crasset, célèbre designer, qui investira le quartier de St-Cyprien avec la collaboration d’autres artistes, penseurs ou acteurs de la société civile.
Une dizaine de lieux, musées, boutiques, places, jardins et trottoirs accueilleront expositions, rencontres, installations et concerts, qui se veulent « autant une invitation à la réflexion sur la construction d’une société en harmonie avec le vivant qu’une incitation à l’action. »
Car oui, ultime changement et non des moindres, le festival lance cette année sa transition écologique. Dans ses pratiques comme dans ses rapports avec ses partenaires, le Nouveau Printemps n’entend pas seulement questionner « les liens entre culture et culture du vivant », fil rouge de cette édition proposé par matali crasset, mais le nouer durablement, notamment par une scénographie moins polluante, de préférence avec des matériaux de réemploi et/ou locaux comme ceux d’Artstock (artdeville n° 75). D’autres actions complètent bien sûr cet engagement, selon les protocoles établis par les Augures, Elémen’terre ou le programme Life Waste2Build.
En cela, pour Eugénie Lefebvre et Anne-Laure Belloc, le choix d’associer à ce Nouveau Printemps matali crasset fut « une évidence ».

Interview

Quelle est la nature de votre intervention ?
L’idée est d’aller dans des endroits qui ne sont pas que culturels. De tricoter des choses avec ce quartier ; « faire territoire » dans ce quartier comme on « fait territoire » aujourd’hui dans l’art contemporain. Mais aussi « faire communauté » avec les artistes invités et avec les communautés qui existent sur place, pas forcément celles autour de lieux artistiques. L’implantation dans le quartier se fait par pôles, que j’ai appelés les fabriques. Elles regroupent trois ou quatre projets qui ont des colorations, des modes d’attention différents. Il y en a environ une vingtaine.
Concernant votre propre intervention, à la galerie du château d’eau, vous parlez d’approche mésologique et posez une question, « qu’est-ce qu’habiter veut dire ? »…
C’est une exposition qui fait allusion au travail d’Augustin Berque [géographe, orientaliste, philosophe contemporain] qui travaille sur la notion de milieu. Pendant le confinement, je me suis mise à dessiner des sortes de maisons, c’était comme un travail expurgatoire. J’en ai fait des maquettes, des habitations un peu utopiques, potentielles, qui peuvent être des matrices d’un projet de vie, c’est-à-dire qui peuvent nous permettre de rebondir. Quelle vie, quel projet de vie avons-nous envie d’avoir maintenant qu’on sait notre fragilité ?
Vos créations sont colorées, ludiques, toniques… Flaubert disait : « Madame Bovary, c’est moi. » En quoi vos œuvres vous ressemblent-elles ?
Je ne fais pas mes objets pour moi, je les destine aux autres. Pour autant, ils représentent, je l’espère, les valeurs que je défends, c’est-à-dire essayer de remettre du « commun ». Beaucoup de mes projets tournent autour de ça. Du partage. C’est coloré parce que la couleur, c’est la vie, et si on se prive de couleur on s’interdit de vivre, en quelque sorte. J’ai eu l’occasion par mon travail de voyager beaucoup, et j’ai vu au Mexique, par exemple, des quartiers très pauvres. Mais malgré cela, les gens étaient entourés de couleurs ; ils avaient comme de petites étincelles dans les yeux. Je pense que la couleur joue énormément dans notre environnement.
Aux Abattoirs, avec vos polypores mangeurs de confort, vous allez à rebours de l’idée reçue selon laquelle un designer a pour fonction d’améliorer le confort des gens. Vous dites au contraire que trop de confort rend la vie inconfortable.
Oui. Pour moi, le confort, le nouveau confort, c’est le pouvoir d’agir. J’essaie d’activer des potentialités d’agir.
Le surconfort nous place dans une position de repli, en fait. Et aujourd’hui, avec l’éco-anxiété, c’est faussement réconfortant. Le confort, je l’ai toujours combattu. J’essaie de travailler des formes qui bougent, évolutives, de casser la notion de confort dont on a hérité, c’est-à-dire un confort de type bourgeois. J’essaie de travailler sur des structures plus ouvertes, pas du tout la maison cocon vendue par le monde de la décoration. Trop de confort rend inactif, avec les questions d’obésité. […] Je n’ai jamais voulu faire de canapé, par exemple. Au départ, c’était des lieux où l’on invitait les gens à s’asseoir. Et après, on a mis la TV devant… Celui que j’ai fini par faire est fait en poufs, on peut le déconstruire, en piles, on peut le reconstituer et ça n’occupe pas cette place énorme dans l’habitat.
Que sont ces polypores du coup ?
Les Abattoirs m’ont proposé de travailler avec la fondation Cordier, et je suis tombée en arrêt devant les polypores [de la collection]. Ce sont de gros champignons qui mangent l’intérieur des arbres qu’ils régurgitent à l’extérieur. Ça m’a incitée à poursuivre la réflexion sur le confort. L’intervention artistique, c’est l’idée que ces polypores viennent pousser sur nos maisons, digèrent le confort intérieur et forment des structures à l’extérieur, des abris, qui donnent envie aux gens de sortir et discuter avec leurs voisins.