À l’heure où nous bouclons ce numéro, le débat autour de la candidature de Nîmes au titre de Patrimoine mondial de l’Unesco n’est pas clos et avance sur un terrain inattendu. La confrontation entre histoire et présent s’avère, en effet, au cœur de la décision que prendront les membres du comité chargé d’établir si oui, non ou peut-être « l’ensemble urbain de Nîmes » a « une valeur universelle exceptionnelle ».
Or, pour la plupart des Français, et aux yeux des nombreux touristes du monde entier qui visitent la ville, très probablement, la réponse ne fait aucun doute : oui, Nîmes dispose bien d’un patrimoine urbain d’une valeur universelle exceptionnelle et la municipalité a su, ces dernières années, le préserver et le mettre en valeur d’excellente manière. Dans la ville, son centre en particulier, les rues sont propres ; les aménagements réalisés autour des arènes, sur les allées Jean-Jaurès et ailleurs encore sont plébiscités. À part les abattages d’un certain nombre d’arbres centenaires qui a fait polémique, un patrimoine naturel semble-t-il moins important aux yeux des élus, le consensus s’est fait.
Dans la ville romaine, comme on la nomme dans tant de guides touristiques, il est vrai que l’antériorité de la construction du Carré d’art, le Centre d’art contemporain signé par Sir Norman Foster, en face de l’antique Maison carrée, a depuis longtemps convaincu les Nîmois de la pertinence de cette confrontation architecturale. Tant sur les plans esthétique qu’économique et culturel, bien sûr.
Car au-delà des Nîmois, les Français semblent s’être habitués aux gestes architecturaux radicaux, y compris (surtout ?) aux abords de monuments historiques. Controversés au début, la pyramide du Louvre, le centre Beaubourg Pompidou et, évidemment, la tour Eiffel, font pourtant partie, désormais, des édifices qui attirent le plus de visiteurs des quatre coins du monde, venus tout exprès parfois.
Au point qu’aujourd’hui, il ne serait pas abusif de penser que cette manière d’envisager la gestion du patrimoine, à travers un prisme résolument contemporain, constitue une part fondamentale de l’identité française. Tout comme son « exception culturelle » décrétée dans les années 80, il y a peut-être en nous un mème que les habitants d’autres pays n’ont pas.
Dire cela sans paraître aussitôt arrogant, ou pire, apôtre des plus sombres théories raciales est-il possible ? C’est pourtant clairement la question qu’aborde en plein cœur l’ouverture du musée de la Romanité. Pour Jean-Paul Fournier, maire (PR) de Nîmes comme pour Carole Delga, présidente (PS) de la région Occitanie, le mot « identité » figure dans la définition du projet. Pour le premier, le musée est un « révélateur de l’enracinement de l’identité nîmoise dans son passé romain » et pour la seconde, « il porte l’ambition forte de partager cette identité commune qui unit chaque habitant d’Occitanie ». Le musée de la Romanité serait en somme une pièce importante de nous-mêmes.
Alors, qu’un comité Théodule – y compris mandaté par la plus grande instance mondiale en matière de Patrimoine – puisse émettre l’avis que le nouvel édifice créé par Elizabeth de Portzamparc puisse représenter « une menace grave » est pour nous inaudible. L’identité que définit le musée de la Romanité est contenue sous cette élégante façade contemporaine, dans ces amphores, sur ces bas-reliefs, sur ses mosaïques antiques et céramiques moyenâgeuses… Elle est romaine mais aussi vandale, wisigothe et encore sarrasine et non plus seulement gauloise ! Elle est nîmoise, ouverte sur le monde et d’aujourd’hui, et ne sera jamais une menace, sauf précisément face à la bêtise.