Depuis le dernier trimestre 2021, la hausse du prix de l’énergie est dans tous les esprits. Y compris dans celui des communes qui ne font pas exception. Même les plus petites, qui bénéficieront du bouclier fiscal et verront l’augmentation des tarifs du gaz et de l’électricité limitée à 15 %, cherchent des solutions. Les salles de spectacle se demandent également comment elles pourront joindre les deux bouts. Les prix de gros de l’électricité flambent, le MWh qui coûtait 85 € il y a un an devrait atteindre 1 000 € en 2023, soit douze fois plus ! Les collectivités locales, l’État et l’Europe se mobilisent, préconisent des économies d’énergie, proposent des aides. En attendant, chacun imagine comment réduire sa facture.

À la Comédie du Mas, à Montpellier, Olivier Devals, l’un des associés, reconnaît « qu’on ne peut pas jouer sur grand-chose ! ». L’électricité est partout : « On peut essayer la bougie », lance-t-il en riant jaune. L’idée d’installer des panneaux photovoltaïques sur le toit semblait une solution, mais le propriétaire tient à conserver le mas dans son jus. L’équipe s’est orientée vers le LED. En attendant l’installation du nouvel équipement électrique, les panneaux publicitaires à l’extérieur du théâtre restent éteints et les appareils sont systématiquement débranchés. « Mais ce n’est pas toujours possible, si on débranche la console lumière, par exemple, on prend le risque de perdre la mémoire », prévient-il. Le Théâtre des 3T à Toulouse envisage la période avec plus de sérénité. « Nous sommes passés au LED pendant le confinement. Depuis, notre facture a été divisée par sept », se réjouit Corinne Pey, la responsable du théâtre. Une décision prise après avoir fait le total « hallucinant » des ampoules qu’il fallait régulièrement changer. « On avait environ 17 kilos de lumières qui dégageaient une chaleur folle et nécessitaient un extracteur de chaleur, lui aussi gourmand en énergie », décrit-elle.

La charte des exploitants
Si le Théâtre des 3T a retrouvé son public d’avant Covid, il fait figure d’exception dans un contexte morose où, depuis la pandémie, les spectateurs boudent les salles de spectacle. Au cours du premier semestre 2022, les théâtres ont enregistré une baisse de 20 %. Plus inquiétant, le cinéma enregistre une chute de fréquentation de 34 % par rapport à août 2019. « On est en train de crever. C’est catastrophique. Les gens n’ont plus envie de sortir, de découvrir. On réfléchit à faire des économies, mais on fait déjà très attention », rappelle Patrick Troudet, des cinémas d’art et essai Utopia. Passer à une projection laser représenterait une baisse de la consommation électrique de 50 %. « Il faudrait un plan de soutien massif pour que les salles changent d’équipement. Une cabine de projection laser coûte entre 50 000 et 60 000 € », enchaîne-t-il. Un vœu en passe d’être exaucé. Lors du congrès de la Fédération nationale des cinémas, qui s’est tenu du 19 au 22 septembre 2022 à Deauville, la ministre de la Culture, Rima Abdul-Malak, a annoncé son soutien à un plan de remplacement. De leur côté, les exploitants ont rédigé une charte dans laquelle ils s’engagent pour la sobriété énergétique, avec comme points forts : l’extinction des enseignes quand le cinéma est fermé, la baisse du chauffage à 19 °C, l’arrêt de la clim s’il fait moins de 26 °C dehors, l’adaptation des amplitudes d’ouverture aux pratiques du public et enfin la désignation d’un référent énergie dans chaque cinéma, chargé de vérifier que ces mesures sont bien mises en place.

« Les économies iront de soi »
Francis Grass, adjoint à la Culture de la Ville de Toulouse, n’est pas très inquiet sur la façon dont les structures culturelles vont s’adapter à la hausse du prix de l’énergie. Il fait confiance et ne s’imagine pas donner des instructions aux directeurs sur la façon de faire des économies : « Ce sont des personnes intelligentes et responsables. Nous leur donnons une subvention et c’est à elles de payer leurs factures. » Les économies iront de soi. Par exemple, le Théâtre national de la Cité a pensé à des panneaux photovoltaïques qui devraient être prochainement installés sur le toit du bâtiment. Le Grand Toulouse est en revanche directement gestionnaire du Théâtre du Capitole. Née au XVIIIe siècle, cette institution s’est déployée au fil du temps sur différents sites éloignés les uns des autres, entraînant un va-et-vient de camions et de camionnettes entre les ateliers de décors ou de couture. « À l’époque on ne pensait pas à la dépense de carburant ou aux émanations de CO2. Aujourd’hui, cela nous semble une aberration économique et écologique », poursuit-il. Ainsi, la dizaine d’ateliers va être regroupée à Montaudran, un quartier en pleine mutation urbaine, situé au sud-est de la ville. « Non seulement, tout sera sur place, mais le futur bâtiment sera desservi par le métro, ce qui limitera les trajets domicile/travail, qui représentent une part importante des déplacements effectués en voiture », complète l’élu.

Extinction des lumières
Pour freiner l’emballement de leur facture énergétique, les villes n’ont pas une infinité de leviers. « J’ai demandé au Syaden (Syndicat audois d’énergies et du numérique) de réaliser un bilan énergétique de l’éclairage public et des appartements communaux qui sont chauffés au fuel. J’essaie de faire des économies, 10 % par ci, 10 % par là. Ce qui évite d’augmenter les impôts, car les gens sont pressurés de toutes parts », observe Alfred Vismara, maire de Cailla dans l’Aude (50 habitants). Au Syaden, les appels de maires à la recherche de solutions affluent. Le syndicat insiste sur l’importance de rénover le parc de luminaires en remplaçant les ampoules au sodium et au mercure très énergivores par des LEDS. L’éclairage public, qui représente 37 % des factures globales d’électricité des communes, est un gisement d’économie d’énergie car plus de la moitié du parc de luminaires est totalement vétuste. Et le taux de remplacement, très lent : de l’ordre de 4 % par an. « Nous préconisons l’extinction des lumières la nuit et donnons aux maires une méthodologie. D’abord prendre un arrêté municipal et bien communiquer auprès de la population sur le bien-fondé de l’extinction », explique Pascal Mosti, responsable de l’éclairage public au Syaden.

Sentiment d’insécurité
De très nombreuses communes éteignent l’éclairage public, dont certaines depuis près de dix ans, dans le but de réaliser des économies mais aussi de préserver la biodiversité et le sommeil des habitants. Selon l’Institut national de la santé de la vigilance (INSV), 24 % des Français estiment que la lumière artificielle perturbe leur sommeil. La plupart des communes se disent satisfaites de leur choix, même si certaines, sous la pression de la population envahie par un sentiment d’insécurité, reviennent à l’éclairage. À ce jour, il n’existe pas d’étude corrélant le nombre d’agressions et l’extinction des lampadaires. Nombre de maires ayant observé au contraire une diminution des incivilités et du tapage nocturne, car il y a moins de monde dehors le soir. Toutefois, le sentiment d’insécurité domine. Dans un sondage Ipsos de 2015, 86 % des Français souhaiteraient être consultés si leur maire envisageait de couper l’éclairage public la nuit, 91 % estimant que l’éclairage sécurise les déplacements et renforce les conditions de sécurité. Dans un communiqué daté de juin 2020, à l’occasion du lancement national du plan Angela (constitution d’un réseau de commerçants destinés à accueillir des femmes victimes de harcèlement de rue), le gouvernement rappelle que huit jeunes femmes sur dix ont peur de sortir seules le soir. C’est ce sentiment d’insécurité, dans une ville jeune et étudiante où les jeunes sortent beaucoup, qui a poussé la Ville de Toulouse à faire le choix de ne pas éteindre l’éclairage la nuit. Elle préfère équiper les lampadaires de certains quartiers de détecteurs de présence. Le lampadaire s’allume lors du passage de piétons et se met ensuite en veille, éclairant seulement à 15 % de ses capacités.
Monique Castro

Région à énergie positive, acte II

La région Occitanie n’a pas attendu que le contexte international se dégrade et que l’urgence climatique devienne plus prégnante. Elle lance l’acte II de sa stratégie à énergie positive RéPOS, initiée en 2016, avec la création du « Plan pour le pouvoir de vivre et la souveraineté énergétique ». Avec dix mesures prioritaires portant notamment sur la mobilité des habitants, l’efficacité énergétique des entreprises et la participation citoyenne, la région Occitanie accompagne celles et ceux qui souhaitent s’engager dans la transition écologique. Quelques exemples : la Région propose un dispositif d’avance de subvention « permettant de limiter, voire de supprimer la nécessité d’avancer une partie du coût des travaux. Le montant de l’avance peut s’élever jusqu’à 20 000 €, sur une durée maximale de remboursement de 18 mois. » Pour les entreprises, elle permet également de « déléguer le financement des équipements nécessaires et les risques liés à la transition énergétique à un tiers-investisseur » doté de 10 M d’euros par an. Derniers exemples, la Région créera dès les prochains mois un outil de financement pour les projets de production d’énergie renouvelable « inférieurs à 500 kW et portés à 100 % par des citoyens et/ou des collectivités locales », alors que les projets autour de l’hydrogène et de l’éolien en mer de Gruissan-Barcarès devraient être opérationnels l’an prochain.
FM

La Déroute des routes

« Arrêtons sans délai les travaux du LIEN ». Dans un courrier adressé au préfet, le collectif SOS Oulala tentait une nouvelle fois de se faire entendre sur l’anachronisme de « ce vieux projet routier climaticide » porté par le Département de l’Hérault. Lors d’une manifestation devant la préfecture, mi-septembre, Hélène Libert, porte-parole du collectif, rappelait que « la question du pouvoir d’achat, de l’énergie, c’est la priorité de cette rentrée. Or, les camions, les voitures, ça consomme beaucoup d’essence, de pétrole. Et ce n’est pas parce qu’on va produire des véhicules électriques que les choses vont fondamentalement changer ». Par leur avocate, l’ex-ministre de l’Environnement du gouvernement Juppé, SOS Oulala poursuit en justice son combat « car le chantier se fonde sur une déclaration d’utilité publique caduque », affirment-ils. Portée désormais au niveau national par le collectif « La Déroute des routes », la contestation s’organise contre 55 projets routiers similaires, représentant 12 Md €. La sobriété énergétique n’exige-t-elle pas, a minima, de requestionner la pertinence de ces projets ? « À chaque fois qu’on fait une route, on augmente le trafic. On le sait désormais, les études de Héran notamment, l’ont parfaitement montré », insiste Hélène Libert. Avec cette mobilisation nationale, elle espère disposer de plus de moyens. Et pourquoi pas « pouvoir porter plainte contre toutes ces institutions qui nous mentent. À Montpellier, on a doublé l’A9 avec l’A709 en disant que cela allait fluidifier le trafic, et on voit bien aujourd’hui que c’est l’inverse, que l’A709 est bloquée tous les jours tellement il y a de monde ».
Côté Département, on se réjouit au contraire d’avoir emporté cet été une victoire, le Conseil d’État ayant « rendu une décision historique dans cette affaire et confirmé l’utilité publique de l’aménagement du LIEN ». Dans ce communiqué, l’institution argumente par ailleurs que « 2,4 M€ sont dédiés pour les mesures paysagères : 1 100 arbres et 60 000 arbustes prévus dans le programme de replantation. »
Fabrice Massé

 

NégaWatt : « C’est un enjeu d’équité sociale »

Le 6 octobre, le gouvernement a présenté un plan de sobriété énergétique destiné à faire baisser de 10 % la consommation d’énergie par rapport à 2019. L’objectif est d’inciter les Français à faire un effort pour éviter la pénurie d’électricité et de gaz due à la guerre en Ukraine, mais aussi pour se rapprocher de la neutralité carbone à l’horizon 2050.
Depuis vingt ans, l’association négaWatt dont le siège social est à Mèze (Hérault) préconise de telles mesures, qui, si elles étaient suivies, pourraient entraîner une diminution de 13 % de notre consommation énergétique. Que pense ses experts* de ce plan gouvernemental ? « Ces mesures vont dans le bon sens car elles couvrent un large périmètre et de nombreux postes de consommation, même si on relève une certaine faiblesse de l’approche incitative », indique Yves Marignac, porte-parole de l’association. Par exemple, alors qu’il faudrait baisser la vitesse à 110 km sur les autoroutes pour réaliser des économies d’énergie, réduire la pollution et les accidents, le gouvernement se contente de demander aux fonctionnaires de faire preuve d’exemplarité, en roulant à 110 km/h sur ces axes quand ils utilisent leur voiture de fonction. « Une réglementation à 110 km/h bien expliquée aux Français aurait pu être acceptée », regrette-t-il. Opposé à une approche coercitive, du moins dans un premier temps, négaWatt estime que pour qu’une approche incitative fonctionne, il faudrait qu’elle soit bien accompagnée. Autre point d’achoppement, négaWatt aurait également souhaité que tous les mécanismes de soutien soient proportionnés aux besoins des ménages : « C’est un enjeu d’équité sociale. Pour que chacun soit motivé à faire des efforts, il faut que ce soit de manière proportionnée, certains riches surconsommant », enchaîne-t-il.
Monique Castro
* Créee en 1999, négaWatt rassemble une vingtaine d’experts liés à l’énergie. Elle publie tous les deux ou trois ans des scénarios mis à jour de sortie des énergies fossile qui font référence.