En 2028, une ville française sera officiellement labellisée « capitale européenne de la Culture », titre qu’elle portera en même temps qu’une ville tchèque. Montpellier est en lice avec un projet fédérateur qui s’étend sur un vaste territoire d’Agde à Lunel en passant par Sète et le Pic-Saint-Loup. Un potentiel coup de projecteur international qui permettrait à la cité languedocienne d’impulser une nouvelle dynamique culturelle tout en réinvestissant l’espace public. Décryptage d’une candidature en construction.

Le 31 mars 2022. Montpellier entre officiellement dans la course à la labellisation « capitale européenne de la Culture » à l’occasion d’un lancement en grande pompe dans un opéra Comédie bondé. Plus de 500 personnes ont fait le déplacement : l’enjeu est de taille. À ce jour, quatre villes françaises ont reçu le titre de « capitale européenne de laCulture » depuis la création du label, en 1985, par Mélina Mercouri, ministre de la Culture de la Grèce : Paris en 1989, Avignon en 2000, Lille en 2004, et Marseille-Provence en 2013. Si on se rappelle peu des participations de Paris et d’Avignon, celles de Lille et de Marseille-Provence restent associées à une visibilité inédite et à un rayonnement européen intensifié. Neuf autres villes ont déjà annoncé leur candidature pour 2028 : Rouen, Clermont-Ferrand, Bourges, Amiens, Nice, Saint-Denis, Reims, Bastia, Roubaix. Toutes ont jusqu’au 1er décembre 2022 pour finaliser un dossier de pré-candidature, un processus de sélection (voir encadré) qui sera suivi d’une deuxième étape plus étoffée pour les quatre villes restant en lice l’année suivante. La ville française sélectionnée ne sera pas la seule à porter le titre de « capitale européenne de la Culture » : elle le partagera avec une ville de République tchèque. Car depuis 2009, le label est accordé à deux ou trois villes la même année : l’une dans un ancien pays de l’Union européenne, la deuxième dans un pays entré plus récemment, parfois une troisième dans un pays candidat.

Une candidature tardive
On se rappelle encore en 2017, quand le maire Philippe Saurel organise un point presse dans lequel il annonce notamment que son directeur de cabinet Fabrice Manuel est nommé DGA à la culture, au sport, à la jeunesse et a notamment « pour mission de monter l’opération Montpellier capitale de la culture 2028 ». Ce dernier a derrière lui une solide expérience de la culture à la Région. Mais rien ne semble bouger à Montpellier, les élections municipales arrivent. Michaël Delafosse est élu maire en juin 2020 en pleine crise du covid-19 qui ne ménage pas le secteur culturel. Le Clapas ne rêve plus d’Europe. En parallèle, Sète vise le titre de « capitale française de la Culture 2022 ». Le verdict tombe le 30 mars 2021 : l’Île Singulière échoue d’un cheveu face à sa rivale, Villeurbanne. Dans un contexte d’émulation locale stimulante, François Commeinhes, le maire-président de Sète-Agglopôle, décide de proposer à Michaël Delafosse une candidature conjointe pour bénéficier du label. Il en profite pour embaucher Fabrice Manuel comme chargé du développement et du suivi des projets culturels, et le met en charge de la partie sétoise du projet début 2022. Malgré tout, la candidature montpelliéraine semble bien tardive par rapport à d’autres villes françaises qui ont déjà commencé à travailler sérieusement sur la question bien avant la publication du décret d’avis de concours en décembre 2021, comme Clermont-Ferrand qui avait annoncé la sienne dès 2015.

Les chevilles ouvrières de la candidature : Adèle Charvet, mezzo-soprano, présidente de la candidature ; Nicolas Dubourg, directeur du théâtre de la Vignette, à Montpellier et président du syndicat national des entreprises artistiques et culturelles ; Fabrice Manuel, directeur-général adjoint à la Culture, ville de Sète. Photos DR

La force du collectif
En ce premier trimestre 2022, la candidature « Montpellier 2028 » se fonde sur une alliance jusqu’alors difficilement envisageable entre Michaël Delafosse, maire PS de Montpellier, et François Commeinhes, maire LR de Sète. Mais pas seulement. Sur la scène de l’opéra Comédie, ce 31 mars 2022, M. Delafosse affirme : « Si Montpellier porte officiellement la candidature, c’est tout un archipel de territoires qui se se réunissent à partir d’aujourd’hui et qui allient leurs forces, leurs compétences, leurs atouts pour défendre ce projet. » En effet, le projet de candidature de Montpellier s’est étendu, outre la ville de Sète, à la communauté de communes du Grand Pic-Saint-Loup, la communauté de communes du Pays de Lunel, la communauté de communes Vallée de l’Hérault, l’Agglo Hérault Méditerranée, ainsi bien évidemment Montpellier Métropole et Sète Agglopôle Méditerranée – Archipel de Thau. À l’opéra Comédie, François Commeinhes affirme qu’être « aux côtés de Montpellier pour gagner » était « une évidence ». Avant de préciser : « À deux nous sommes encore plus forts. Forts de nos complémentarités, de nos histoires communes, forts de nos engagements culturels connus nationalement et même internationalement. Mais aussi forts de nos différences. » Bien sûr, le Département de l’Hérault et de la Région Occitanie apportent leur soutien au projet présenté sous le slogan « Unis pour la culture ». « En quelques mois, on a réussi à mettre tous les acteurs du territoire autour de la table », se félicite Fabrice Manuel.

Un renouveau ?
Si la présidente de la candidature de Montpellier est Adèle Charvet, jeune et talentueuse mezzo-soprano de 28 ans plutôt que le peintre centenaire Pierre Soulages, ce n’est pas un hasard. La jeunesse est au cœur du projet. Elle porte aussi la symbolique d’un besoin de renouveau alors que le paysage culturel montpelliérain est en grande partie lié à son héritage frêchiste vieillissant. « C’est un territoire très riche d’un point de vue culturel, avec des atouts énormes et une proposition de niveau international. Mais la politique culturelle, les équipements et les grands festivals on déjà une quarantaine d’années, ils doivent être requestionnés au lendemain de la crise du covid au risque d’un essoufflement. Il nous faut un nouveau récit pour embarquer tout un territoire et au-delà », reconnaît Nicolas Dubourg. Directeur du théâtre de la Vignette, scène conventionnée de l’université Paul-Valéry, et président du Syndeac, syndicat national des entreprises artistiques et culturelles, il est « en charge de la rédaction du projet artistique à l’intérieur de la candidature qui est aussi un projet technique, financier, de territoire. L’artistique est ce qui relie tout ça ». Selon lui, c’est l’occasion d’écrire un nouveau chapitre de la structuration de la culture locale « en profitant de l’élan et du désir collectif », mais avant tout « un chapitre de coopération ». Outre Fabrice Manuel à Sète et Nicolas Dubourg à Montpellier, sont fortement impliqués dans la candidature Montpellier 2028 Régis Pénalva, à nouveau en charge de la Comédie du livre, et Pascal Lebrun-Cordier, tout juste de retour dans le Clapas où il avait créé les populaires ZAT (Zones Autonomes Temporaires) en 2010. Montpellier semble parier sur le sérieux de professionnels qui ont déjà fait leurs preuves sur le terrain et possèdent une bonne connaissance du territoire. Pour des propositions que l’on espère à terme novatrices et enthousiasmantes. Avec, de toute évidence, une part importante tournée vers l’international, l’Europe étant au coeur de la proposition de candidature de facto. L’appel à projet le stipule clairement : « Le programme proposé par chaque ville candidate doit avoir une forte dimension européenne qui doit se refléter dans les thèmes sélectionnés et se traduire par la participation d’artistes et d’opérateurs culturels originaires de différents pays. »

Retombées en vue
Qu’il s’agisse de Lille ou de Marseille-Provence 2013, les études sont unanimes : l’événement attire les touristes, la fréquentation des hôtels explose. L’événement marseillais a par exemple drainé 10 millions de visiteurs, dont 1,5 million rien que pour le MuCEM (musée des civilisations Europe Méditerranée). Fabrice Manuel confirme : « Les retombées économiques sont entre x8 et x10, ce n’est jamais neutre, elles sont un véritable atout pour une dynamique culturelle.» Mais toutes les études indiquent qu’elles sont le plus souvent éphémères. Selon l’appel à candidature, consultable en ligne sur le site du ministère de la Culture : « Les bénéfices attendus sont un renforcement du rayonnement international des villes sélectionnées, la valorisation de l’image de la ville auprès des citoyens, le renforcement des capacités et de la visibilité de leur secteur culturel, une sensibilisation et un accès à la culture favorisés, ainsi que la stimulation du tourisme culturel. » Fabrice Manuel précise : « La capitalisation d’une capitale européenne se quantifie à ce qu’on fait avant et après. La candidature est le socle d’une politique culturelle de long terme. » Et Nicolas Dubourg d’abonder : « 2028 est un rendez-vous dans un parcours. » Pour exemple, à Lille, l’association lille3000 organise des événements culturels thématiques de grande envergure, dont « Utopia » en 2022. Une saison Marseille-Provence 2018 avait tenté de relancer l’élan collectif de 2013, mais la dynamique semble s’être à nouveau essoufflée. Avignon projette quant à elle de fêter les 25 ans de son label européen. La candidature « Montpellier 2028 » inclut des chantiers d’urbanisme colossaux, une dimension très importante aujourd’hui dans le choix de la « capitale européenne de la Culture », dont le timing et les enjeux dépassent largement ceux du projet. Que ce soit l’aménagement de l’entrée est de Sète, une ZAC où se trouve déjà le nouveau conservatoire de la ville et où l’implantation d’autres lieux culturels est prévue, dont le nouveau MIAM (Musée international des arts modestes). Ou encore la requalification urbaine du quartier de la Mosson. Des opérations qui de toute évidence devraient voir le jour, peu importe si Montpellier gagne. Verdict début 2023 pour savoir si la course continue jusqu’en 2024… et donc 2028. En attendant, il est toujours possible de visiter les capitales européennes de la culture 2022 : Kaunas (Lituanie), Esch-sur-Alzette (Luxembourg) et Novi Sad (Serbie).

Jean-François Fourtou, Nanitos, 2022, un projet d’Utopia, pour Lille3000. © Maxime Dufour

Les Métamorphoses urbaines de Kim Simonsson font partie des festivités d’Utopia, pour Lille3000 . Jusqu’au 2 octobre, à Lille.© Jefunne Gimpel

« Une célébration de la ville pour la ville » ; le Festival Fluxus est un carnaval au programme de Kaunas 2022, deuxième ville de Lituanie, Capitale européenne e la Culture cette année. Tout comme Magenta, le festival du design paysager : « Est-ce une ville dans la nature ou la nature dans une ville ? Trouvons ensemble la réponse », suggèrent les organisateurs. © Copies d’écran kaunas2022.eu

Le Mucem a été créé grâce au titre de Marseille, Capitale européenne de la Culture en 2013. Le musée contribue désormais fortement à la vitalité de la ville. Un pont relie sa terrasse au fort Saint-Jean. © Cyrille Weiner, Mucem

Le projet de « Grand bal sur le Pont d’Avignon », initialement retenu par la Ville, Capitale en 2000, reste à être organisé. © Esquisse Fabrice Massé – Olivier Tétard

À Novi Sad, en Serbie, on fête le titre de Capitale européenne de la Culture 2022 en filant la métaphore, autour de quatre ponts. Ils représentent « l’idée de construire de nouveaux ponts de coopération et d’échange entre les artistes et les organisations de Novi Sad et de Serbie avec la scène culturelle européenne ». © Copie d’écran https://novisad2022.rs

 

Appel à projets

Ce n’est qu’en décembre 2021 que l’appel à candidature pour la ville française qui sera choisie comme « capitale européenne de la Culture » en 2028 a été officiellement publié par décret.
Les villes candidates ont jusqu’au 1er décembre 2022 pour déposer un dossier de pré-candidature de 60 pages en anglais et en français. Au premier semestre 2023, quatre villes sont ainsi sélectionnées : elles pourront peaufiner leur candidature grâce aux recommandations du rapport de présélection jusqu’en décembre 2023, date à laquelle elles doivent remettre un dossier complet de 200 pages. La ville lauréate retenue comme « capitale européenne de la Culture » sera désignée fin 2023-début 2024. Elle sera de principe lauréate du prix Mélina Mercouri financé par l’Union européenne d’un montant de 1,5 million d’euros. Pour l’heure, Montpellier prépare la première étape de pré-candidature. L’association de préfiguration de Montpellier 2028 est officiellement constituée depuis le 8 juin, alors tous les jeudis des séances de travail se déroulent entre Montpellier et Sète depuis le début de l’année. Une concertation publique est déjà en ligne sur montpellier2028.eu, permettant à chaque citoyen de s’exprimer sur la candidature de Montpellier jusqu’au 1er décembre, tandis que des ambassadeurs commencent déjà à arpenter les rues de la ville pour questionner les attentes des habitants. Un premier appel à projets artistiques pour l’année 2022 vient d’être lancé, se terminant le 27 juin, doté d’un budget de 700 000 euros. Avec une grande importance accordée aux partenariats entre les acteurs du territoire mais aussi bien évidemment la valorisation de la dimension européenne. Critère important : prévoir un autofinancement à hauteur de 20 % du projet, en sachant qu’il y a un plafond maximum de 50 000 € par projet. AR

 

Adèle Charvet, présidente

Certes, la mezzo-soprano Adèle Charvet a de qui tenir. Née à Montpellier en 1993, elle est la fille du compositeur Pierre Charvet (cf. chicxulub n°35) et de Nadine Éwanjé-Épée, dont la sororité sportive est célèbre. Petite-fille d’adoption côté paternel de feu le poète Frédéric Jacques Temple, elle a pour grand-mère la centenaire Madeleine Attal, ex. directrice de France Bleu Hérault et des programmes de France 3 Sud, à Toulouse. Côté maternel, son grand-père Charles Éwanjé-Épée est musicien, auteur et compositeur.
Pour autant, c’est bien à son propre talent qu’Adèle Charvet doit sa renommée précoce. Elle étudie la musique depuis ses six ans et participe à son premier Opéra à neuf ans, dans La Reine des glaces. Elle suit un enseignement de conservatoire, à Paris, dont elle sort diplômée en 2013, et enchaîne au Conservatoire national supérieur.
Elle y démarre professionnellement en cofondant un quator vocal, L’Archipel, enregistre plus tard avec la pianiste Susan Manoff, et, anecdote, fait sensation en 2019, en remplaçant au pied levé le contre-ténor David DQ Lee lors d’un concert, alors que celui-ci est contraint de quitter la scène à l’entracte.
Grace à sa culture cosmopolite – elle a vécu ses premières années à New York – et a un répertoire éclectique – du baroque à la mélodie – elle a au passage conquis le public du Royal Opera House de Londres dans le rôle de Mercedes dans Carmen de Bizet et remporté prix sur prix : ceux de la Mélodie du Concours International Nadia et Lili Boulanger, de Lied Duo du 51e Concours International de ’s-Hertogenbosch (Pays-bas), de l’Académie du Festival de Verbier (Suisse).
En 2020, elle obtient une Victoire de la musique.
Elle est aujourd’hui présidente de l’association « Montpellier 2028 – Capitale européenne de la Culture ». FM