Comment l’idée de cette lettre vous est-elle venue ?
La période de confinement a révélé des incertitudes mais aussi de nombreux questionnements individuels sur l’après Covid-19. Le constat est flagrant : on ne peut plus continuer comme avant ! Aussi, il nous est apparu primordial d’esquisser les premiers coups de crayon de notre avenir. Comme il nous fallait être généralistes, synthétiques et compréhensibles du grand public, nous avons imaginé cette tribune sous la forme d’une lettre écrite adressée à nos enfants. Le message se veut porteur d’émotion mais aussi de transmission pour embarquer tout le monde.

Quel rôle l’architecture a-t-elle à jouer ?
De nos années passées à concevoir de manière écoresponsable les habitats, les bâtiments publics, les usines, les quartiers qui composent les territoires, nous avons acquis une vision claire de la manière de construire les vi(ll)es d’après. Nous sommes plus que jamais convaincus qu’architectes et urbanistes ont un rôle important à jouer dans la transition écologique et sociale. Actuellement, nous sommes à la croisée des chemins : notre profession brasse à la fois des enjeux de constructions techniques, esthétiques, d’usages, de décisions politiques, d’évolutions comportementales, familiales… De fait, notre vision est systémique.

Qu’entendez-vous par là ?
Le premier postulat pour pouvoir engager des réflexions est de décloisonner pour mieux comprendre que nous sommes dans un écosystème où tout est lié. Si on veut changer de paradigme, on doit, en tant qu’être humain, se repositionner dans la biosphère, sortir de cette image de supériorité et donc réorienter toutes nos décisions. En se posant toujours la question de savoir si notre intervention, qu’elle soit à l’échelle du bâtiment, de la rue, ou plus largement d’un territoire, répond à ces enjeux-là.

Par où commencer pour repenser un urbanisme plus nature ?
La base est de revenir à des matériaux biosourcés, géosourcés ou issus du réemploi, comme le bois, les isolants de fibre végétale (paille), la terre crue ou la pierre. La solution ne viendra pas d’un seul système constructif, il s’agit d’ouvrir les champs car il n’y aura pas de matériaux suffisamment en abondance pour remplacer le béton. Or le sable extrait pour le fabriquer cause des dégâts dramatiques sur les fonds marins. La problématique de cette ressource est mondiale. Sans parler de supprimer l’utilisation du béton, matériau qui possède des propriétés techniques et esthétiques exceptionnelles, il faut l’utiliser à bon escient. Il peut très bien être mixé. Nous avons la chance en Occitanie d’avoir une diversité de matériaux. Prévaloir leur frugalité est une priorité.

On touche la problématique des ressources fossiles. Mais se tourner vers d’autres matériaux a un coût…
L’emploi de matériaux comme la terre crue, par exemple, a bien sûr un surcoût (en moyenne 10 %), lié notamment à la main-d’œuvre qui va devoir se réapproprier des techniques de mise en œuvre, souvent plus longues. Mais il faut bien comprendre que tant que le coût environnemental ne rentrera pas en ligne de compte, les solutions ne pourront être qu’occasionnelles. Là encore, nous avons la chance en Occitanie d’être dans une région qui pousse sur ces sujets-là, ce qui est loin d’être le cas partout.

Comment s’y prendre ?
L’idée de décloisonner, c’est aussi s’intéresser au volet économique. Il suffit parfois de changer l’angle de regard, en considérant ce coût comme un investissement. À l’image des classements de projets par performance énergétique, pourquoi ne pas intégrer dans les projets un niveau d’incidence écologique ? Ce serait un changement de mentalité très positif car il tendrait vers la recherche d’équilibre et d’écocompatibilité entre les territoires, voire entre les civilisations. Sans pour autant tomber, d’un point de vue architectural, dans les travers d’une monosolution constructive.

La période de confinement a révélé les impacts négatifs de la densité urbaine, avec ses logements trop exigus, sans terrasse ni balcon. Cette prise de conscience peut-elle ébranler les principes urbains en vigueur ?
Au prétexte de limiter l’impact sur le milieu agricole, nous en sommes arrivés à des zones où la notion de bien-être a disparu. L’univers minéralisé a pris le pas sur le rapport à la nature. Il reste heureusement un énorme potentiel sur les entrées de ville avec ces zones commerciales ou artisanales catastrophiques, complètement minéralisées autour d’immenses parkings. Il y a là un champ d’expérimentation pour transformer ces lieux, recréer de la mixité, ramener de l’emploi au pied des habitations, favoriser les échanges d’énergies, de services, de mutualisation d’équipements. Il est également temps de retrouver des espaces de respiration avec des jardins, des parcelles partagées, des potagers. Je préconise de retravailler à l’échelle du territoire, de mettre en place des gouvernances partagées (entre les concepteurs, les communes et les usagers) et d’arrêter cette course à l’attraction de la métropole de manière à agir en faveur d’un rééquilibrage.

C’est le concept de « ville du quart d’heure » avec des commodités accessibles à pied, prôné par l’ingénieur Carlos Moreno, adepte de la Smart City…
Lorsque je parle de rééquilibrage, ce n’est pas seulement pour évoquer l’habitat. Prenez l’organisation entrepreneuriale. Le développement du télétravail va certainement nous inciter à envisager autrement nos mobilités. Ainsi, on pourrait très bien imaginer, au sein d’un quartier, au pied d’immeubles ou dans des rues, la création d’espaces de coworking offrant des conditions de travail sereines tout en évitant 90 % des problématiques de déplacement… Ce serait un formidable levier de démantèlement des concentrations urbaines excessives. Tout est à réinventer.

Vous évoquez dans votre lettre la prospérité équilibrée. De quoi s’agit-il ?
Notre économie n’a que deux siècles, mais elle est basée uniquement sur la croissance du PIB qui n’est pas du tout distributive. Or chacun a un rôle à jouer dans cette nouvelle vi(ll)e pour recréer des écosystèmes favorisant la sobriété carbone, l’échange d’énergies, d’informations, de matières avec le vivant.

Avez-vous eu des retours de votre lettre, adressée également à Emmanuel Macron ?
Oui, la lettre a suscité pas mal de retours de notre réseau mais aussi d’acteurs régionaux qui, du coup, ont sorti de leurs tiroirs des réflexions intéressantes sur cette période. Une belle dynamique s’est mise en marche. Nous étudions la mise en place d’une plateforme pluridisciplinaire qui mettrait en avant toutes ces démarches, ces envies et ces décisions. Une sorte d’intelligence collective vertueuse pour définir un nouveau paradigme.

 

Prix architecture Occitanie

Adepte du collaboratif depuis sa création, en 2005, l’agence Seuil architecture (15 collaborateurs) a toujours été engagée sur des projets environnementaux et sociaux. Ses projets sont tous engagés bas ou zéro carbone. En 2019, l’agence a obtenu une distinction au Prix architecture Occitanie, au côté de son maître d’ouvrage la coopérative d’habitants Abricoop, pour la réalisation d’un immeuble de 17 logements implanté dans l’écoquartier de la Cartoucherie à Toulouse. Ce projet d’architecture bioclimatique, au coût maîtrisé, est une opération d’habitat participatif – tous les habitants participent au projet architectural, au montage juridique et financier, et à la gestion de l’immeuble. Pour cette réalisation en béton et bois, Seuil architecture s’est attachée à optimiser usages, coûts constructifs, technique, esthétique et écologie.