Le saviez-vous ? Dans une zone artisanale banale de Gigean, à 20 km au sud de Montpellier, un avion, un corbillard et même un tracteur, tous grandeur nature, ont été soigneusement rangés, parfois emballés dans du papier-bulles. Ils sont une partie des 1 365 œuvres des 512 artistes de 68 nationalités qui forment la collection par le Fonds régional d’art contemporain, Occitanie-Montpellier (Frac-OM). Et, non, elles ne sont pas signées de Jeanne-Claude et Christo (qui emballèrent de nombreux monuments comme le Pont neuf ou l’Arc de triomphe à Paris). Elles ont été peu à peu acquises par le Frac-OM depuis 1983 auprès des artistes ou de leurs galeries. L’avion est une sculpture de Fabien Giraud et Raphaël Siboni, constituée d’un véritable Cessna 150, découpé puis singulièrement reconstitué ; le tracteur est une œuvre en bois réalisée à l’échelle 1 par Pascal Rivet ; le corbillard est celle de Maurin et La Spesa, une installation qui montre les deux artistes tirant et poussant leur propre corbillard. « Le tracteur ira aux Abattoirs », indique Laurent Gardien régisseur de la collection à Éric Mangion, le nouveau directeur du FRAC. Comprendre au musée des Abattoirs-Frac Occitanie de Toulouse, dans le quartier St Cyprien ; il s’agit du second FRAC de la région qui lui-même se dote au 1er janvier 2024 d’une nouvelle directrice, Lauriane Gricourt, conservatrice et commissaire d’exposition aux Abattoirs depuis 2022.
Trois sites différents
Le musée des Abattoirs est né en 2000 de la fusion avec le musée d’art moderne et contemporain de la ville de Toulouse, et du FRAC Midi-Pyrénées. Depuis, une autre fusion, celle des ex-régions Languedoc-Roussillon et Midi-Pyrénées, aurait pu faire disparaître l’un des deux, et le FRAC de Montpellier potentiellement. Mais il n’en a rien été. Si les 22 régions sont passées à 13, le nombre de FRAC est resté à 22.
Il est vrai que les locaux de celui Montpellier, de par son unique fonction de Frac, s’insèrent dans une architecture nettement plus modeste que le spacieux bâtiment patrimonial du 19e siècle toulousain. En outre, ils se décomposent en trois sites différents, ce qui ne va pas sans poser problème, notamment de communication, explique Éric Mangion : « C’est schizophrénique de travailler comme ça. L’information circule mal. » C’est d’ailleurs un élément que le projet du directeur postulant pointait dans sa lettre de candidature, et qu’il se propose de contribuer à résoudre : « Aucun projet artistique et culturel ne pourra vraiment se développer tant que nous n’aurons pas résolu le problème des locaux », explique-t-il aussi dans la newsletter de Platform, le réseau des FRAC.
Composée du bâtiment rue Rambaud de 430 m2 en tout, repartis en dépôt, bureaux, atelier et galerie (181 m2), cette partie-là appartient à la Région. À 800 m, rue Castilhon, d’autres bureaux d’environ 150 m2 abritent le reste des 12 salariés de l’équipe. Loyer annuel de 12 000 €. Pour l’entrepôt de Gigean, 371 m2, il est de 46 000 €. On voit bien un autre intérêt qu’il y aurait à trouver un lieu plus adéquat : « Ce n’est pas très écoresponsable », constate l’ancien directeur de la prestigieuse Villa Arson de Nice, sise sur un jardin remarquable de 23 000 m² et classée monument historique. Pourquoi a-t-il quitté un tel écrin ? « Après dix-sept ans passés à la Villa Arson, j’avais tout simplement envie de travailler différemment, d’être confronté à des publics différents, avec de nouveaux enjeux, de nouvelles expériences », explique-t-il sur lesfrac.com.
Sensibiliser les publics
Pendant ses footings, Éric Mangion, ancien rugbyman, musarde du côté des plateaux sportifs de la friche militaire, parc Montcalm. Les vastes locaux immaculés du mess des officiers lui ont été signalés. Ils appartiennent à la Ville de Montpellier. Une piste ? Et l’éphémère Hôtel des collections du Moco, dont le concept imaginé par le précédent directeur du centre d’art de Montpellier, Nicolas Bourriaud, a fait long feu ? Il est désormais entièrement consacré à de grandes expositions temporaires, souvent remarquables, comme l’actuelle sous le commissariat du regretté Vincent Honoré (lire encadré). Un rapprochement du type Abattoirs, FRAC et Musée d’art moderne et contemporain, pourrait-il cependant s’envisager ? Éric Mangion, pour l’heure, noue des contacts observe et écoute, et ne manque pas de travail : « Dès mon arrivée, j’ai été sollicité dans le cadre de Montpellier 2028. Nous avons donc déposé un projet, qui a été retenu », répond-il à artdeville. Il y a aussi le quotidien : compte-il faire un récolement ? « On est en plein dedans. Ça se fait tous les dix ans. Il y a la numérisation de toutes les vidéos qui sont parfois anciennes. » Un travail sur la banque de données, aussi, même s’il existe déjà un onglet remarquable sur le site du FRAC Occitanie Montpellier. Il permet aux structures associatives, groupes scolaires, collectivités… qui souhaitent emprunter des œuvres de composer facilement leur choix. Car c’est là une des vocations des FRAC : faire circuler les œuvres qu’il acquiert. « Il y a un accompagnement systématique ; je ne veux pas prêter juste pour décorer un intérieur. C’est avant tout pour sensibiliser les publics. » Pour les logements de fonction des grands commis de l’État (préfecture, rectorat…), une exception est cependant coutumière… « Il manque des notices pour décrire environ 400 œuvres. Des étudiants des Beaux-arts et de l’université Paul Valéry ont été chargés de les réaliser. C’est un travail colossal qui va sans doute prendre plusieurs années. »
Organiser des bals
Outre les 777 œuvres prêtées, les dizaines d’expositions et résidences d’artistes co-organisées, Éric Mangion et son équipe planchent sur un « plan stratégique » et « inventif ». À ses autorités de tutelles (État 55 %, Région 45 %), il proposera par exemple un principe d’acquisitions participatives qui impliquerait les gestionnaires des lieux d’exposition. Sur la diffusion de la collection, ce plan s’intéressera aux arts vivants et ira jusqu’à proposer d’organiser des bals, à l’instar « des fêtes votives » pour lesquelles Éric Mangion confesse avoir toujours été sensible. Il propose « de lancer un programme de processions pensées et conçues par des artistes, en lien bien sûr avec des collectivités locales. » « Quoi qu’il en soit, ce plan ne passera pas par des rêves de grands bâtiments qui brillent de mille feux ni par des manifestations énergivores. Je rêve d’un FRAC à dimension humaine proche des gens, proche de tout », déclarait-il encore sur lesfrac.com. À artdeville, il confie : « La balle est dans mon camp. C’est à moi de redonner confiance à nos partenaires. J’espère que ça suivra. »
Quel trésor représentent ces 40 ans de collection ? « La valeur du fonds du FRAC Occitanie Montpellier est de 9 742 068 € au mois d’octobre 2023, » nous apprend Laetitia Thevenot Piris, chargée de la collection. Mais la cote d’un artiste, certes, varie. « Le temps fait et défait les gloires », commente philosophiquement Éric Mangion. Parmi ces trésors (en tout cas les œuvres les plus chères) : Antonie Tapies, Triptyque avec croix, 1981
Thomas Schütte, No respect, 1995 ; Maurizio Cattelan, Il Super-moi, 1992 ; Mike Kelley, Dialogue # 1, 1991
Pierre Soulages, Peinture 162 x 230, 1980 ; Paul McCarthy, Spaghetti Man, 1993
À découvrir en Occitanie
• Castelnau-le-Lez, Jardins publics – Pep Agut
Du 17 janvier au 29 février 2024
• Villeneuve-lès-Avignon, David Coste, artiste en résidence
De novembre 2023 à mai 2024
• Carcassonne, Feux sacrés, Edmond Aman-Jean, Marcel Broodthaers, Nicolas Daubanes, Pablo Garcia, General Idea, Ann Veronica Janssens, Henri Martin, Fiorenza Menini, Lucien Pelen, Niek van de Steeg
Du 23 novembre 2023 au 31 janvier 2024
Légendes photos :
• Laurent Gardien régisseur de la collection (à droite) fait découvrir l’entrepôt de Gigean à Éric Mangion, le nouveau directeur du FRAC.
© FM/artdeville
• Le tracteur en bois de Pascal Rivet.
© FM/artdeville
• Le 9 novembre 2023, la galerie du Frac est devient le foyer virtuel de Ziti & Orzo (les alter ego des artistes), deux entités (« hantités ») errantes issues de creepypastas, ces récits effrayants diffusés essentiellement sur Internet. L’exposition devait s’achever le 22 décembre. Ici, lors du vernissage de la performance.
© FM/artdeville
• Vue de l’exposition © DR