La fondation de Sète (1773) et de son port (1766) sous Louis XIV, au pied du mont Saint-Clair, fut une réponse aux enjeux de son époque : court-circuiter la péninsule Ibérique en offrant une issue au canal du Midi à des fins géopolitiques. 350 ans plus tard, les contingences auxquelles est confrontée la ville portuaire sont tout aussi colossales et dépassent plus amplement encore son périmètre. Contre l’inertie due à la grande Histoire, la transition écologique impose désormais son agenda existentiel ; le transport international des personnes et de biens étant plus que jamais aujourd’hui un redoutable pourvoyeur de pollution, la gestion portuaire semble tenir de la schizophrénie.

100 % de croissance
Le port de Sète-Frontignan concentre trois filières (commerce, pêche et plaisance) et doit ainsi composer avec des injonctions contradictoires : favoriser l’expansion des flux tout en réduisant l’empreinte de ses activités sur l’environnement. Sa feuille de route 2021-2025 se décline en quatre ambitions clés : « Définir une stratégie smart port, renforcer l’intégration territoire-port et assurer la pérennité des activités de pêche », résume Olivier Carmes. Et puisque « Les croisières, ce fléau écologique ambulant », selon Courrier international / Le Temps (28 juin 2021), font partie de l’équation, le directeur général de Port Sud de France s’oriente vers une « croissance raisonnée » pour ce secteur. Il limite l’accueil de paquebots inférieurs à 240 m de long et à un trafic de 70 000 croisiéristes par an, tout en s’attachant à séduire de nouvelles compagnies maritimes. 2023 a toutefois été marquée par le lancement d’une nouvelle ligne de Corsica Linea sur Bejaia et Skikda à raison de trois voyages par semaine du Kalliste qui devrait intensifier sa présence en 2024.
Avec la création en 2008 de l’établissement public régional Port Sud de France, le port a gagné en réactivité et en capacité d’investissement. Sur les dix dernières années, il enregistre 100 % de croissance et traite à l’année 6 MT de marchandises et accueille 220 000 passagers ferries et croisières. Une de ses plus grosses prises a été l’arrivée en juillet 2019 de DFDS, le « premier opérateur de ferry du monde 2023 », selon le World Travel Awards.

De 10 000 à 40 000 remorques
Également présent dans le fret et la logistique, l’armateur danois a quitté Toulon pour le port d’Occitanie avec comme ambition de créer en Méditerranée une deuxième plate-forme multimodale. À chaque escale, des centaines de camions débarquent. Afin de retirer les poids lourds à la route, Sète-Frontignan et SNCF Réseau ont signé en avril 2023 un accord pour développer le transport ferroviaire avec, à terme, l’ambition de passer de 10 000 à 40 000 remorques sur le rail chaque année. Avec la technologie actuelle de manutention des reachtakers, seulement 20 % des remorques peuvent être chargées sur le rail. 2 M€ investis dans l’aménagement d’une plate-forme ferroviaire à chargement horizontal passeront le ferroutage à 80 % des remorques. Dans le même temps, la liaison routière du port à l’autoroute A9 (D600), à la charge du Département, doublera sa capacité (2×2 voies) pour absorber les 20 % restant en dépit de l’empreinte écologique négative que ces nouvelles infrastructures routières représentent.

Nouvelle plate-forme ferroviaire
« Actuellement, nous opérons cinq à six services ferroviaires par semaine avec comme objectif de doubler la fréquence et d’opérer trois trains par jour, des trains chargés de remorques et de conteneurs. Nous exploitons des lignes régulières de vracs avec Toulouse et Laudun-l’Ardoise. Pour Cem’In’Eu, nous opérons quatre trains par semaine de clinker [un constituant du ciment dont l’usage explique en partie la contribution importante des cimenteries aux émissions de gaz à effet de serre – NDLR]. 300 000 tonnes arrivent par la mer et 100 % repartent en train ou barge », détaille Denis Igert, directeur du port de commerce de Sète et directeur adjoint de Port Sud de France.
À la mise en exploitation de la nouvelle plate-forme ferroviaire, en 2022, s’ajoute le lancement des travaux pour l’électrification des quais, au terme de 9 M€ d’investissement. L’ambition étant de réduire les émissions de gaz à effet de serre et les particules fines, trois quais seront connectés d’ici début 2024 pour les escales de ferries et de car-carriers. Le quai de la marina, dédié aux escales de la plaisance de luxe – controversée notamment au vu de son déplorable bilan carbone – est opérationnel depuis quatre ans déjà.

« Sète-Frontignan, port à énergie positive »
La stratégie bas carbone de Sète-Frontignan passe par le renouvellement de son parc de véhicules par une flotte électrique et le recours à l’énergie solaire grâce à l’équipement de la totalité des toitures en photovoltaïques, soit 46 000 m2 de panneaux. Conformément à l’ambition de son autorité de tutelle, la Région, sous peu « Sète-Frontignan [sera] un port à énergie positive avec une production de 2,5 fois la consommation annuelle des trois ports et l’opportunité d’installer 10 ha d’ombrières en autoconsomation », souligne Olivier Carmes. Au large du port, la première ferme solaire offshore développée par la société SolarinBlue contribuera à cet objectif. Tout comme une autre première, la drague à hydrogène « Hydromer » mutualisée entre Sète et Port-la-Nouvelle.
Sur la question du dragage, la direction du port recherche des financements, 100 M€ précisément, pour augmenter la profondeur du canal du Rhône à Sète. Mal entretenus depuis l’époque de Napoléon, les fonds du canal se comblent et remontent. Sète qui reçoit 250 escales fluviales par an (soit 250 000 tonnes) entend accélérer le report modal sur la barge en transférant des trafics vracs sur des péniches, aux coûts environnementaux trois fois moins importants que le routier. Outre le clinker, ce vrac concerne des tourteaux, majoritairement de soja, dont la culture participe à la déforestation en Amérique latine. Utilisés en alimentation animale – l’élevage étant responsable de 12 % des émissions humaines de gaz à effet de serre –, ils sont acheminés jusqu’à Châlons-sur-Saône. Si le port trouve des financements pour la mise au gabarit du canal du Rhône à Sète, une extension de la zone portuaire pourrait être envisagée dans le prolongement des travaux engagés de 2018 à 2020.

Pétroliers et éoliennes
Le port de Sète-Fontignan s’est en effet étendu de 18 ha en mer ces années-là dans la zone industrielle fluvio-maritime (Zifmar) avec la création d’un casier de stockage. Il est opérationnel depuis près d’un an. Le but : « Faciliter la création du nouveau poste pétrolier [en acceptant] le stockage et la valorisation des 860 000 m3 de sable à extraire […] pour permettre l’accès des navires pétroliers de 70 000 t. » Une solution jugée utile pour sécuriser la manutention des hydrocarbures de la société BP/GDH, gestionnaire des dépôts de Frontignan, dont l’installation est ancienne.
Par cette artificialisation du littoral, « on a pu constituer cette Zifmar à coût plus réduit, et pour demain on va recevoir des véhicules qui vont être chargés à l’énergie solaire via les panneaux solaires prévus », expliquait Olivier Carmes. Sur cette zone, ont débarqué véhicules utilitaires, remorques de camions et… pales d’éoliennes.

Autour du Port Sète-Frontignan, sur les berges de l’étang de Thau et au pied du massif de la Gardiole, deux sites Natura 2000, la transition écologique se fait plus visible.
L’ancienne cimenterie Lafarge a disparu ; une immense tente de 6 000 m2 témoigne des travaux de dépollution engagés sur le site pétrolier d’Exxon/Mobil jusqu’à au moins fin 2024 ; une vaste étude de requalification de tout ce secteur industriel vient de paraître, dégageant des horizons moins sombres et des ressources foncières…
Une piste cyclable le traverse désormais de part en part, jusqu’au nouveau pôle multimodal de Sète-agglopôle, proche d’une zone commerciale qui finalement ne sera pas étendue. Elle parachève celle du tour de l’étang : une révolution, en somme.

13es Assises des ports du futur

Après Paris et Lorient, les Assises des ports du futur* ont jeté l’ancre à Sète. Ce fut aussi l’occasion des 5es rencontres méditerranéennes de l’Association internationale des infrastructures portuaires et fluviales. Du 25 au 27 octobre 2023, les enjeux de la décarbonation et de la réindustrialisation ont été abordés, ceux de la transition écologique n’étant pas escamotés, loin s’en faut. Directement confrontés à la hausse du niveau de la mer, les villes portuaires et leurs territoires ont besoin de ces experts qui ont pu échanger sur leurs dernières recherches. La question de biodiversité, d’énergie renouvelable, de préservation de la ressource en eau, de déchets… Bref, tous les sujets qui remettent en question le modèle actuel ont été abordés, ou presque. La participation citoyenne par l’ouverture du port au public a été jugée essentielle ; aucune politique durable de transition écologique de son activité n’étant possible sans cela. « Il faut passer d’un port subi à un port aimé », a-t-on pu entendre. Un représentant de La Rochelle prophétisait : « Le port n’existera demain que s’il est décarboné. » Un autre appelait les croisières à « une décroissance raisonnée ». Depuis 1997, au Chili, la loi organise la relation port/ville et « permet d’aborder les questions qui fâchent ». Contre l’idée reçue, on a même appris que les ports représentaient de vrais écosystèmes, abritant des espèces hybrides, comme par exemple des petites moules (moules des docks) qui ont dû s’adapter à la pollution liée aux déchets et aux hydrocarbures.
* Organisées par la direction générale des transports, des infrastructures et des mobilités et le Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnement, la mobilité et l’aménagement.

40e journée du patrimoine

L’édition anniversaire des journées du patrimoine 2023 a fourni pour la première fois l’opportunité d’une visite guidée du port de Sète. Un événement attendu puisque le troisième car affrété en dernière minute n’a pas suffi à absorber la longue file d’attente de deux heures qui s’est formée quai du Maroc.
Nez collés aux vitres, sans pouvoir descendre – la zone portuaire est un espace réglementé, comme un aéroport –, nous étions donc nombreux à enfin pouvoir découvrir les hangars, grues et casiers sur les plus 200 ha du site. Après la démesure, ce qui frappe, c’est bien sûr la nature des produits entreposés : véhicules de toutes tailles, remorques et camions près desquels grignotent quelques chauffeurs ; tas de charbon, clinker, sacs de fertilisants chimiques par milliers, hangars à bestiaux et… yachts de luxe. À quelques ricochets, des cuves d’hydrocarbures, des pales d’éoliennes. Un panorama de ce qui forme aussi objectivement notre patrimoine et permet de mieux prendre la mesure du chemin qu‘il nous reste à parcourir jusqu’à la neutralité carbone.

Légendes photos :

• Port de Cette – 1891, par Robert Mols. Une commande de la Ville pour l’ouverture de son musée.
© DR – Musée Paul Valéry

• Port de Sète.  Image satellite 3D de Google Earth de 2014.
© copie d’écran de décembre 2023

• La nouvelle zone Zifmar du port de Sète, 18 ha gagnés sur la mer pour faciliter la création d’un ponton pétrolier. Des pales d’éoliennes y sont aussi stockées (à droite).
© FM/artdeville