Dans la cartographie des centres chorégraphiques nationaux, Christian Rizzo ne fait rien comme les autres.
Deux ans après son arrivée à la tête du CCN Montpellier, celui qui est passé par les arts plastiques, la mode, le rock, la mise en scène d’opéra avant de venir à la danse contemporaine, est longtemps apparu comme artiste iconoclaste : « Pendant longtemps, être pluridisciplinaire a été un handicap car la spécialisation prévaut en France. J’étais le trublion, l’enfant terrible. On ne me prenait pas toujours au sérieux. »
Livré à une pratique artistique plurielle, voire totale, le chorégraphe possède cette sagesse épicurienne inédite en danse contemporaine. Il résume cette singularité en évoquant une installation mystérieuse et mouvante créée en 2014 pour le Ballet national de Marseille : « J’avais utilisé les costumes de la compagnie pour en recouvrir le sol. Les danseurs y évoluaient toutes les deux heures pour une improvisation. Ils pouvaient même s’y endormir. Au début, ça les a un peu déstabilisés. Puis, on a commencé à voir des bras, des jambes, des silhouettes qui se détachaient de la masse textile au sol. »
Ces visions énigmatiques, singulières et plastiques constituent la signature de l’œuvre Rizzo.
Né à Cannes, formé à la Villa Arson, l’artiste revendique une appartenance méditerranéenne où le temps long façonne une mélancolie sublime de part et d’autre des rivages, tel que dans les pages de Braudel. Certes différente ici et là, mais semblable. « Je ne suis fait que de Méditerranée », souffle Christian Rizzo. « Ma mère, espagnole. Mon père, italien. Je porte quelque chose de flou du bassin méditerranéen. Quelque chose qui mêle le climat, la danse, la cuisine… une sorte d’identité culturelle. Au fond, la question méditerranéenne m’intéresse, car elle s’invente en diaspora. Il ne s’agit pas que de géographie, mais d’une culture qui infiltre autour de ce vide qui relie. C’est une frontière qui doit être traversée. En vivant à Montpellier, c’est une question qui m’occupe encore davantage. Au point que nous bâtissons actuellement au CCN des relations avec Marrakech et Casablanca. »
Deux années se sont donc écoulées depuis la nomination de Christian Rizzo à la direction du CCN Montpellier qu’il imagine comme un espace poreux, où ce qui se tisse à l’intérieur doit étendre son maillage à l’extérieur des murs.
à l’heure où d’autres artistes aussi à la tête de structure d’envergure nationale peinent à concilier temps de création et de direction, le chorégraphe a assimilé les deux missions, avec un entrain singulier. « Il m’arrive d’interpeller les gens qui regardent timidement le CCN. Je les invite à venir voir les expositions qui ont lieu à l’intérieur. J’estime qu’accueillir, c’est aussi être artiste à cet endroit-là. J’essaie de comprendre ce qu’est l’adresse publique. Un directeur doit être sur le terrain, accessible. » Sans faire table rase de l’historique constitué par Mathilde Monnier avant lui, Christian Rizzo défend le renouvellement des formes et l’hétérogénéité du projet artistique. C’est en ce sens qu’il a constitué l’identité nouvelle de ICI et notamment invité comme artiste associé Vincent Dupont, prompt aux esthétiques inédites.
« En arrivant à Montpellier, je ne voulais pas d’un lieu à mon effigie, mais à mon image. La différence entre les deux, c’est que ça ne m’intéresse pas de décliner du Christian Rizzo et de faire travailler des copains qui seraient de la même sensibilité artistique. Le CCN produit évidemment mon travail, mais également celui d’artistes émergents. Venant des arts plastiques, je tenais à ce que le développement chorégraphique intègre la question de la danse. » à mi-parcours de son premier mandat, l’artiste, qui ne pensait pas réussir à aller aussi vite dans le développement de son projet chorégraphique au CCN, se réjouit également de disparaître derrière un dialogue au travail.
Le temps et l’expérience semblent avoir donné raison à Christian Rizzo, venu à la danse par instinct. L’effet de vases communicants de son œuvre sans cesse renouvelée dégage, dans son champ de vision, de nouvelles perspectives auxquelles les nouvelles générations ne restent pas insensibles. Depuis l’ouverture des auditions de la nouvelle promotion du Master Ex.e.r.ce, ce sont plus de 1 400 candidatures qui ont afflué au CCN Montpellier.