Biocoop – L’aile du papillon

Aux premiers instants du confinement, Bruno témoignait d’« un peu d’anxiété d’être en première ligne. Les équipes ont baissé, ça créé de la tension ». Comme partout, le responsable de la communication de l’enseigne a d’abord constaté « une augmentation de la fréquentation, puis ça a fléchi, mais avec un panier double ». Les problèmes de réassortiments, délicats en la période, n’en ont été que plus complexes. Des « pare-brise » ont très vite été installés aux caisses, et après une réunion de crise, d’autres solutions ont été trouvées et l’approvisionnement a suivi : « Ça pousse à progresser », positive Bruno. Il déplore toutefois que le rapport aux clients se soit parfois un peu durci. « Il y a des demandes décalées, comme celle d’un client qui râlait parce qu’il ne trouvait pas son chocolat au gingembre, importé d’Équateur ! “C’est l’horreur !“ disait-il. Ben non, l’horreur ce n’est pas ça ! » Priorité est donnée aux producteurs locaux, « ils comptent vraiment sur nous », s’engage Bruno.

Les horaires ont été modifiés. Désormais, le créneau de 8h30 à 9h est réservé aux plus de 60 ans, aux immunauxdéprimés et aux femmes enceintes. Autre changement, jusqu’à présent, la supérette bio de la métropole montpelliéraine ne livrait pas. Un drive est désormais opérationnel ! « Un clic and collect plutôt. Les gens viennent chercher leurs sacs à la caisse et paient à ce moment-là. Un processus de test est en cours, mais c’est plus un service bénévole, indique André Kurzaj, le gérant. On ne gagne pas d’argent. »

Le gel hydroalcoolique, l’enseigne coopérative n’en avait plus depuis longtemps au début du confinement. Elle a fini par être livrée, tout comme en masques. « On a eu une personne malade, mais elle va bien. Et au fond, on est tous contents de travailler. Au moins, on sort. Le matin, il n’y a personne sur la route. On entend à la radio que des baleines ont été aperçues devant le port de Marseille… La nature reprend vite le dessus si on la laisse en paix ! » conclut André, espérant que ça dure. « Enfin, la prise de conscience, pas le confinement ! »

 

Carrefour City

Rue de Strasbourg, à Montpellier, même constat que chez Biocoop. Les clients se sont faits plus rares mais les volumes sont plus importants. Avec les problèmes de réassortiments qui vont avec. Dans les rayons, ni javel ni PQ. « On est livré en retard, alors il a fallu décaler les horaires d’ouverture pour pouvoir mettre en place », explique Claire Allard. La jeune gérante de Carrefour City a pris la suite de son père, il y a trois ans. Avec onze personnes et un chiffre d’affaires de 4 M, la supérette tourne bien. Mieux, même, depuis le début du confinement : « La proximité y fait », analyse Claire.

Quoique indépendante du groupe Carrefour, elle aussi devrait verser une prime à ses employés. Mais ce ne sera pas 1 000 euros. Dans le cahier des charges de la franchise, le gel hydroalcoolique est d’usage obligatoire en temps normal. C’est cependant un client dentiste qui leur a fourni les masques : « Ils sont arrivés ! » annonce dans la réserve une employée au reste de l’équipe.
« J’en ai commandé, on est un peu inquiets, oui. »
Pour le reste, le Groupe Carrefour n’a fourni aucune information particulière, « on se débrouille comme on peut, en regardant chez les autres ce qui se fait ».
Des bandes au sol ont très vite été tracées au ruban adhésif par intervalle de 1 m, une bâche en plastique tendue au-dessus des caisses et les chariots systématiquement désinfectés.
« Au début, il y avait des comportements un peu agressifs, des gens un peu paniqués ou chiants, qui ne respectaient pas les distances ou la queue. Il y a eu aussi plus de vols. » En témoignent les nombreuses copies de cartes d’identité, celles des indélicats, punaisées au mur de la réserve.
Mais ce qui préoccupe le plus Claire, c’est l’état de son père, malade, qu’elle ne peut pas aller voir. « Heureusement, avec l’équipe, ça se passe bien. Seule une personne à l’essai a pris peur et n’a pas souhaité prolonger son contrat. » L’équipe en question, également très jeune, accepte les heures supplémentaires. Insouciance de l’âge ou résignation ? Tous témoignent en tout cas de l’étrange chorégraphie qui se joue parmi l’exiguïté des rayons : « Quand on passe, les gens font quelques pas de côté. » Difficile, en effet, de respecter les gestes barrières dans ces allées si étroites. La livraison à domicile pourrait-elle limiter la fréquentation du magasin ? Au sol, dans le minuscule bureau de Claire, une dizaine de sacs attestent que le service est opérationnel, notamment auprès des personnes âgées.
« On a un peu peur, quand même. Si l’un d’entre nous l’attrape, il faudra fermer le magasin », s’inquiète Claire.

 

Les Pousses de Louise

Jean-Luc Coyère, agriculteur urbain, a connu solidarite-occitanie-alimentation.fr par la Chambre de commerce et d’industrie, qui l’en a informé par mail. Ce site, lancé par la Région Occitanie pour répondre à l’urgence face à la crise Covid-19, recense « les initiatives des professionnels de l’agriculture, de l’agroalimentaire et commerces alimentaires en Occitanie qui se mobilisent pour nous livrer à manger à domicile » (voir encadré). Une bouffée d’oxygène inespérée pour Jean-Luc, 48 ans, qui a créé sa société en 2018 ?
À quelques rues de la gare St-Roch de Montpellier et quasi voisin de l’auteur de ses lignes, nul ne connaissait l’existence de l’autre. Jean-Luc cultive des micropousses de capucine, radis, wasabi, oseille, moutarde, pois, shiso, toona, hysope anisée, etc. Sa clientèle principale : les restaurants aujourd’hui fermés ; une perte de près de 100 % de son chiffre d’affaires. Seuls quelques particuliers continuent de lui passer commande. Quant au site, mis en ligne l’avant-veille ? « Pour l’instant, je reçois des messages par mail de personnes intéressées et j’attends qu’elles passent commande ».

Visiter ses locaux ? Impossible. Non seulement les gestes barrières ne pourraient pas être respectés, mais se mouvoir tout court y est un problème constant, à partir de deux personnes : 10 m2 seulement de son propre appartement lui permettent de faire germer ses plants. « Grace à des étagères, la surface totale avoisine les 50 m2. Et la croissance est très rapide. Entre 8 jours et 3 semaines. » Suffisant pour se dégager un salaire, affirme-t-il. En temps normal.
Hyper concrentrés en goût – jusqu’à 40 fois plus de nutriments qu’une même variété adulte – les micropousses sont vendues en barquettes pour quelques euros. Pour la coriandre, les radis, la roquette ou les petits pois, comptez environ 3 euros. Idéal pour des recettes simples, comme des salades, sandwichs ou en accompagnements de plats. Jean-Luc aime quant à lui se préparer un cocktail de jus de blé et de pomme.
Aujourd’hui comme hier, les barquettes récupérées auprès des clients sont désinfectées à l’acide peracétique, un stérilisant à froid utilisé dans le secteur médical.
Ancien commerçant spécialisé dans la déco éthnique, Jean-Luc Coyère est sensible aux enjeux écologiques. Notamment au fait qu’une alimentation saine et variée est plus que jamais nécessaire. Et pourquoi pas en agriculture urbaine ? « Au départ, je voulais me lancer dans l’aquaponie*, mais les investissements sont très importants. » Dans un avenir proche, Jean-Luc Coyère espère s’installer dans des locaux plus grands, mais…
* système de production qui mêle la culture de plante et l’élevage de poissons

 

Je me fais livrer les produits d’ici

Sur le site régional solidarite-occitanie-alimentation.fr, près de mille producteurs se sont déjà inscrits. L’interface, évidemment créée à la hâte, est sommaire mais claire : une carte qui permet de géolocaliser chaque producteur présent à côté de chez soi alors même qu’on en ignorait parfois l’existence. Lancé pour venir en aide aux producteurs locaux privés de leurs marchés habituels, il s’adresse aussi aux particuliers simplement empêchés ou désireux d’éviter au maximum de s’exposer ou d’exposer les autres au virus en allant faire leurs courses.