Vé-gé-ta-li-sa-tion ! Le mot d’ordre a fleuri dans les bouches des candidats aux dernières élections municipales. Il est soutenu par les préconisations des autorités chargées d’informer et d’accompagner la transition écologique en France. Il est également une prescription législative, inscrite dans le Code de l’énergie français et dans la loi Climat et Énergie, en lien avec la loi sur les mobilités dite LOM également. Objectif : atteindre la « neutralité carbone » d’ici à 2050 et diminuer de 40 % la consommation d’énergie fossile d’ici à 2030.

Les collectivités territoriales et les villes, particulièrement les métropoles de plus de 20 000 habitants, sont en première ligne : la végétalisation peut agir en faveur du rafraîchissement urbain, de la réduction des taux de CO2 et de particules fines, de la sauvegarde de la biodiversité. À défaut de faire table rase d’un urbanisme légué par l’Histoire, les édiles planchent sur la transformation de l’existant et prônent la « désimperméabilisation » des sols. Si les voies de circulation conservent leur caractère utilitaire, en dessinant un espace qui cadre à la fois le logement et le déplacement des habitants, elles acquièrent des caractères nouveaux : plus vertes, plus belles et plus sociales.

Des premiers pas encourageants
Le mouvement n’est pas inédit. Les permis de végétaliser, assortis de chartes ou de conventions de financement, sont déjà autorisés par les municipalités telles que Toulouse ou Montpellier. Ils permettent à des particuliers de planter fleurs et légumes sur l’espace public. Ce premier pas, cantonné à des micro-espaces certes, renouvelle la fonction des rues et des boulevards, des places et des parkings depuis plusieurs années.
La création des coulées vertes, la multiplication des plantations d’arbres marquent également cette prise de conscience de la part des édiles ; assortie, faut-il le rappeler, à un impératif de mise en conformité des Établissements publics de coopération intercommunal (EPCI), à fiscalité propre de plus de 20 000 habitants et la métropole lyonnaise, avec la loi relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015. Les efforts sont sincères, même si les ambitions butent souvent contre des barrières législatives et réglementaires telles que la mise en sécurité des voies de circulation.
La critique, si elle demeure générale, trouve ses arguments dans la réalisation de projets concrets. Labellisé d’intérêt général, « Le devenir de la place Rondelet » à Montpellier laisse par exemple entrevoir le gymkhana législatif et réglementaire auquel les municipalités, les métropoles et les intercommunalités se frottent. La « désimperméabilisation » et la végétalisation de l’axe Saint-Denis, Rondelet et Nouveau Saint-Roch « découle d’un besoin urgent de valorisation de l’espace public », explique le comité de quartier Clérondegambe. Il s’agit alors d’articuler la problématique d’un meilleur partage de l’espace et d’une amélioration de la qualité de vie des habitants à celle des mobilités, prégnante sur cette liaison entre le centre-ville et les quartiers sud de la capitale héraultaise.

Vers une approche participative et collaborative ?
D’aucuns trouveraient que le projet de Clérondegambe déçoit les attentes. Végétalisation, il y a. Sera-t-elle suffisante ou seulement efficace si les sols ne verdissent pas davantage ? Si l’ombre portée en été sur les usagers n’est pas plus généreuse ? Partage de l’espace au profit des mobilités douces, il existe aussi. Sera-t-il prompt à réduire la part des véhicules motorisés si l’espace leur est encore majoritairement dédié ? Et maintien des zones cyclistes et piétonnes toujours séparées, en plein centre-ville ?
L’heure est toutefois au souci réaffirmé de ne pas laisser au rang de consultation l’expression des habitants qui participent aux enquêtes publiques, aux conseils ou aux comités de quartier ; ce que prévoient les lois et les règlements. La campagne des municipales a promu des projets globaux qui rassemblent les compétences d’architectes, d’urbanistes, de paysagistes et d’ingénieurs tout en ouvrant des laboratoires de démocratie participative. Zones à faible émission (ZFE) et corridors verts, rues enherbées et végétalisation des murs antibruit, maraîchage urbain et plantation d’arbres, réservoirs d’eau pluviale… Ils sont élaborés à l’échelle de la ville, intégrés à une équation dont les facteurs tiennent autant aux mobilités qu’à la santé et au lien social.
La réflexion semble d’avant-garde ? L’architecte et docteur en architecture Éric Alonzo rappelle qu’il n’en est rien. Lors d’une conférence à l’institut supérieur des arts de Toulouse, le 15 janvier dernier, il engageait à ce que la voie de circulation soit redécouverte pour ce qu’elle est depuis l’Antiquité : une architecture, dégagée d’un prisme strictement technique, qui relèverait à la fois du solide, de l’utile et du beau.

Une redécouverte déjà au travail
Elle peut l’être. À preuve avec un architecte-paysagiste, Julien Maïeli, et un designer, Germain Bourré. Le duo présentait Jardin à la rue dès 2011, à l’occasion du Festival international des jardins organisé au Domaine de Chaumont-sur-Loire (photo ci-dessus – artdeville n° 46).
Matériaux recyclés ou recyclables à base d’algues remplacent le bitume des trottoirs. Les lampadaires, équipés de cellules photovoltaïques, abritent des citernes destinées à récolter et stocker les eaux de pluie. Les branches agissent comme des stores végétaux qui, selon le cycle naturel des saisons, dispensent ombre et fraîcheur, lumière et chaleur.

Le projet, exposé dans le cadre des « Jardins d’avenir ou l’art de la biodiversité heureuse », propose un renversement de paradigme : le végétal ne serait plus un accessoire qui habillerait la rue de vert, mais l’élément préalable et déterminant à son tracé et/ou son aménagement. Les changements actuels et futurs rendent aux rues et boulevards, places et parkings, périphériques et routes une voix au chapitre nécessaire longtemps oubliée… Enfin !

 

INTERVIEW


Éric Alonzo : « Nos modes de vie peuvent radicalement changer »

Éric Alonzo est né en 1973 à Castres (81). Il est professeur à l’École d’architecture de la ville & des territoires Paris-Est, chercheur à l’Observatoire de la condition suburbaine et codirecteur du DSA d’architecte-urbaniste. L’auteur de « Du rond-point au giratoire » (Parenthèses, 2005) a reçu en 2017 le prix Manuel de Solà-Morales, qui récompense la meilleure thèse de doctorat dans le champ de l’urbanisme d’Europe, pour un travail intitulé « L’Architecture de la voie. Histoire et théories ». Éric Alonzo en tire un ouvrage éponyme, paru en 2018 aux Éditions Parenthèses. Il nous livre sa réflexion sur les conséquences possibles de la crise sanitaire et les enjeux écologiques actuels sur la conception et l’usage des voies de circulation.

Vous évoquez, dans votre livre, la « redécouverte d’une longue tradition architecturale de la voie ». La campagne des municipales semble confirmer votre hypothèse. Il est question de végétaliser les voies, de mettre fin à la ségrégation des flux, de destituer les véhicules motorisés au profit des déplacements doux… Quel regard portez-vous sur ce qui se fait jour ?
Cette redécouverte n’est pas nouvelle, on peut dire qu’elle fait suite, en France, à la décentralisation des années 1980 qui transfère les compétences en urbanisme aux communes. Portés par de nouvelles commandes d’aménagement d’« espace public » des grandes villes, beaucoup d’architectes, urbanistes ou paysagistes, inspirés par les réalisations pionnières de Barcelone, sont alors parvenus à renouer avec ce savoir-faire qui avait culminé à l’aube du XXe siècle. Aujourd’hui, nous sommes dans la poursuite de cette tradition, mais elle intègre bien davantage les questions écologiques qui se traduisent principalement, dans la conception des voies, par une place accrue à la « nature » (désimperméalisation des sols, noues, végétalisation, etc.) et aux modes de déplacements alternatifs à l’automobile. Mais, là aussi, les précédents historiques peuvent nous éclairer. Ainsi le Back Bay Fens aménagé à la fin du XIXe siècle à Boston par le paysagiste Olmsted, le créateur de Central Park, restituait les conditions originelles d’un marais d’eau salé en recevant les eaux assainies des quartiers environnants et formait le maillon d’un « parkway » conçu pour le déplacement différencié des piétons, des cavaliers et des calèches et relier les grands parcs de la métropole.

Diriez-vous que la pandémie du coronavirus pourrait bousculer cette redécouverte en (ré)affirmant le caractère sanitaire/sécuritaire des voies de circulation ?
Il est probablement trop tôt pour tirer les conséquences que nous vivons actuellement. Mais on constate que nos modes de vie peuvent radicalement changer. On va peut-être vouloir réduire nos excès de déplacements (notamment les plus polluants), pratiquer une plus grande « distanciation sociale », etc. Ce qui pourrait avoir comme conséquence d’accorder un plus grand confort aux piétons et aux cyclistes. Mais, plus généralement, il faut se souvenir que notre conception des rues est en grande partie l’héritière des réflexions du XVIIIe siècle et XIXe siècle, qui croisaient les préoccupations des hygiénistes, des médecins, des architectes et des ingénieurs. La crise sanitaire actuelle, et plus largement les enjeux écologiques majeurs auxquels nous sommes confrontés, appelle à réactiver cette tradition.

 

Le bitume verdit aussi

Sa recette et son procédé pour le moins. L’innovation est signée Eiffage Route, une structure intégrée à la branche Infrastructures du groupe de construction et de concessions français qui intervient dans de nombreux domaines des travaux publics. Recytal®-ARM est un procédé alternatif au bitume traditionnel, lauréat de la procédure nationale d’innovation routière portée par le comité innovation routes et rues (CIRR) en juillet 2017. Il associe une émulsion végétale 100 % biosourcée, obtenue à partir des déchets de la sylviculture et de l’industrie papetière, et un atelier de retraitement mobile (ARM) développé par Eiffage Route. Moins consommatrice en énergie, la poix affiche des taux d’émission de CO2 négatifs. Autre point positif, ce dispositif tout-en-un permet de réaliser sur place le chantier de régénération des anciennes chaussées. Alors que les chantiers expérimentaux se multiplient dans l’Hexagone, deux concernaient l’Occitanie : la RD26 dans l’Hérault en 2018 et la M65B en Haute-Garonne en 2019. Cette dernière expérimentation entrait dans le cadre du Plan climat air énergie territorial de Toulouse Métropole (PCAET).