Éditorial 81

Par Fabrice Massé

«

Peut-on défendre la cause animale et se montrer brutal, voire agressif ?

»

Être humain

De bouvine, il n’est pas question dans ce numéro. Non que le sujet, éminemment culturel, n’y aurait pas sa place – il a d’ailleurs déjà été traité dans ces pages (chicxulub/artdeville nos 27 et 30). On y questionnait au passage la pertinence d’entretenir en France la pratique de la corrida tandis que l’Espagne venait de l’interdire. Notre journaliste prédisait par ailleurs que la demande d’inscription de la bouvine au patrimoine culturel immatériel de l’Unesco, déjà en préparation, s’avérerait sûrement « un combat difficile ».

Non. Dans ce numéro, il est plutôt question de la zenitude qu’on cultive, de part et d’autre de la frontière catalane notamment. De cette recherche de paix intérieure que procure l’observation d’un paysage enchanté, à travers les vitres d’un véhicule lorsqu’on le traverse, une baie vitrée lorsqu’on le perçoit de l’intérieur d’une maison ou d’une architecture bien pensée, ou par le prisme de l’imagination lorsqu’on regarde une œuvre d’art, ou qu’on la conçoit.

Dans ce numéro, il est question de convivialité, de joie de vivre et de bien-être ; un art de vivre que nous rendent plus accessibles des nouveautés fabriquées sur notre territoire.

Il y est question d’un artiste qui a su conserver son âme d’enfant et la cultive pour notre plus grand bonheur.

D’un centre chorégraphique itinérant dont la vocation est de créer du lien entre le public et l’art quelles que soient les origines sociales ou territoriales des personnes concernées.

Il est enfin question d’un cirque qui met en scène des animaux, magnifiant la relation affective si particulière qui peut se nouer entre êtres humains et non humains.

Dans ces pages, pas d’article sur la bouvine donc, mais dans ces lignes une interrogation, alors qu’une tribune publiée dans Le Monde a mis le feu aux poudres et enflamme l’opinion à l’heure où nous bouclons. Peut-on défendre la cause animale, légitimement dénoncer la souffrance, le stress que certaines pratiques… et se montrer brutal, voire agressif, en appelant « l’UNESCO à ne pas accorder de reconnaissance » à la bouvine ?

Certes, contempler nos paysages, notamment ceux de Camargue et de Catalogne, ne suffit pas à adoucir instantanément l’âme, loin de là. Il faut déjà cultiver certaines dispositions. Tout comme la défense d’une cause juste ne saurait absoudre à l’avance de toute maladresse, voire malveillance. Militant et militaire ont racines communes.

Pas d’article, mais l’envie de rapprocher ici « contempteurs » et « contempleurs », à la manière du poète. « Dans l’univers de Pierre Tilman, les mots ne sont pas réservés à l’écoute ou à la lecture : ils s’ouvrent à d’autres modes de perception [par le truchement de l’artiste, chacun] participe à une forme de lecture humoristique et interactive, où le mot sort de son cadre conventionnel figé par la grammaire et le dictionnaire », expliquent les commissaires de son exposition, à Sérignan (34).

Réécrivons donc cette tribune qui a mis le feu aux poudres. Elle proposerait plutôt « le soutien inconditionnel des signataires à l’inscription de la bouvine au patrimoine culturel immatériel de l’humanité » et pointerait simplement « la contradiction qu’il y a à péréniser des pratiques cruelles (castration à vif, etc.), qui font obstacle à cette même reconnaissance ».