Éditorial 78

Par Fabrice Massé

«

veilleurs nous sommes là dans cette ville en creux comme au creux d’un sommeil 

»

Sur le pont d’Avignon

Lorsqu’on observe attentivement le plan d’une ville, on peut comprendre assez facilement les ressorts de son développement.

Prenez Avignon. Capitale européenne de la Culture en 2000, c’est une ville fortifiée, entourée de près de 4 km de remparts depuis le Moyen Âge. Son centre historique est aujourd’hui accessible principalement par les rues Jean-Jaurès et de la République, en enfilade. De part et d’autre de cet axe large et rectiligne, qui de la gare, au sud, traverse quasiment l’intra-muros jusqu’à l’entrée du célèbre pont St Bénézet, sont répartis les principaux lieux de pouvoir, d’influence et de culture.

Démarrons : la Chambre de commerce et d’industrie, le festival d’Avignon (rue du Portail Boquier, au cloître St Louis), la Collection Lambert (art contemporain, rue Violette, toute proche), les premiers grands hôtels et restaurants, les premiers théâtres et grandes salles de cinéma, l’office de tourisme, le musée Lapidaire, les banques, les grandes enseignes commerciales, le journal La Provence, Radio France Bleue, le Conseil départemental, l’hôtel de ville, l’Opéra, (l’ancien) Hôtel des monnaies, le Palais des Papes (sa cour d’honneur, son centre de congrès).
Pour que la démonstration soit définitive, manqueraient sans doute à cet inventaire l’Université, le Palais de justice, la Préfecture, l’Archevêché… Pas d’inquiétude, tout ce petit monde reste à deux pas, de part et d’autre des remparts, à l’est.

Placée entre deux régions et deux départements, longtemps la Cité des Papes ne fut rattachée à la France que par son rare pont entre Lyon et la Méditerranée. Il n’en reste aujourd’hui que 4 arches, ornées d’une petite chapelle, les 18 autres ont été emportées par les guerres ou les crues.

Dans Avignon, suite…, un recueil de poésie d’André Benedetto, le créateur du festival Off écrivait ceci : « veilleurs nous sommes là dans cette ville en creux comme au creux d’un sommeil et si on leur demande : que venez-vous chercher ? le ciel bleu disent-ils la chaleur du soleil et le pont d’avignon ils s’étirent comme des chats et ils sourient ne voient-ils pas ce qu’indique ce pont cassé ? la fin d’un monde et des contacts possibles le manque et l’appel d’air… »

Alors, avant même qu’il fût question qu’Avignon devienne Capitale européenne de la Culture, votre serviteur s’était senti en peine, lui aussi, face à cette promesse non tenue et l’avait fait savoir. Non, le pont d’Avignon n’était pas ou plus ce pont festif, joyeux, célébré par la chanson. Il fallait agir pour faire « sortir » à nouveau les Avignonnais-es de leur microcosme séculaire ; les inciter à aller vers l’Autre, franchir à nouveau ce Rhône désormais plus docile, comme ils le firent aux premières heures du Pont.

Et quoi de mieux pour les y inciter qu’organiser enfin ce bal mythique dont le monde entier connaît l’air ? Le projet fut retenu pour fêter la Culture européenne en ce passage formidable de l’an 2000.

À l’occasion de la célébration des 40 ans des Directions régionales des affaires culturelles, à la Chartreuse de Villeneuve-lès-Avignon (côté Gard/Occitanie), Jean-Marc Roubaud, maire (UMP) de la Ville, a une nouvelle fois loué la pertinence du projet, hélas, abandonné 17 ans auparavant par son homologue avignonnaise, Marie-Josée Roig (UMP) ; 2000 tombait à la veille des élections municipales de 2001. Sans doute espérait-il de son éminent auditoire quelque signe approbateur.
Oui, pour être possible, joyeux, festif et faire à nouveau prospérer le Grand Avignon, le Grand bal sur son Pont doit relier deux rives, droite et gauche.