Éditorial 86

Par Fabrice Massé

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Un modèle économique qui semble immuable, contournant une fois de plus l’esprit des lois

»

Via Europa

« L’analyse de 24 projets d’infrastructures (Weissberger et al., 2019) montre que, dans 80 % des cas, les mesures de compensation ne permettent pas d’éviter les impacts sur la biodiversité ; que seuls 20 % des sites choisis pour la compensation sont réellement des sites dégradés ; que les sites de compensation ne représentent que 577 ha alors que les projets impactent 2 451 ha. »
C’est le constat que dresse Sophie Bonin dans Infrastructures de transport créatives (éd. Quæ – p. 163 – Fév. 2024).

Les infrastructures dont il est question dans ce numéro d’artdeville ne concernent toutefois pas celles des transports, ou alors de façon indirecte. Et les seules qui soient créatives sont celles du Centre régional d’art contemporain, à Sète ; certes, elles transportent l’âme comme en témoignent la une et l’article dédié.

Les projets d’aménagements auxquels artdeville consacre son dossier sont donc a priori guère sensibles aux élans du cœur, puisqu’il s’agit des zones d’activités. Notamment, de la ZAE Via Europa à Vendres, dans l’Hérault, qu’il est question d’étendre selon un modèle économique qui semble immuable, contournant une fois de plus l’esprit des lois et les mesures d’une véritable transition écologique.

« Alors que la participation des citoyens aux projets d’aménagement affectant leur environnement est inscrite dans la Constitution depuis 2005, les dispositifs pour la mettre en œuvre pèsent peu dans les décisions », soulignait Claire Legros, il y a un an, dans le quotidien Le Monde (10/02/2023). Un journal qui ne cesse pourtant de relayer les appels à agir des scientifiques face à l’urgence climatique et à l’effondrement de la biodiversité.

2024 comme 2023, probablement, sera une année record de températures élevées, et tout se passe comme si de rien n’était : business as usual. Les associations qui tentent de traduire cette incroyable réalité dans leurs actions citoyennes locales, en participant notamment aux enquêtes publiques, sont trop souvent ignorées comme c’est encore le cas pour l’extension de Via Europa. Lorsqu’elles ne sont pas tout simplement méprisées, voire réprimées pour leur « radicalité », dit-on alors.
Pourtant, elles ont souvent raison. La radicalité de leurs propos ou actions, c’est plutôt l’air du temps qui l’inspire, voire l’impose, à l’aune de notre inertie à nous adapter. Le temps n’est plus au « compromis » comme il serait « raisonnable » de le faire croire à Via Europa comme partout, ou presque.

Mais peut-être certains promoteurs de grands projets inutiles sont-ils de bonne foi ?
« Il n’y a pas de culture du vivant et c’est un énorme manque », analysait ainsi Jean Viard, le 1er février 2024, sur France Inter. Le sociologue qui était l’invité de la matinale commentait ainsi la grève des agriculteurs pour une meilleure rémunération de leur travail. Il regrettait que leur rôle paysan, c’est-à-dire de protecteurs potentiels du paysage et de la biodiversité, ne soit pas valorisé.

Via Europa… Tandis que les élections européennes se profilent, est-ce un tel chemin que l’Europe doit emprunter ? Est-ce celui par lequel nous devons inviter le monde à nous suivre ? Dans ce cas, Poutine et autres despotes peuvent bien continuer à assassiner leurs peuples, détruire leurs pays et ceux de leurs voisins, cela ne changera pas grand-chose au bilan planétaire.

Pardon ? J’oublie les mesures de compensation ?