Un réveil cauchemardesque… À peine une semaine après l’évacuation du campement du Mas rouge, le préfet de l’Hérault Hugues Moutouh décide d’accélérer la cadence. Le 8 septembre dernier, au petit matin, le bidonville du Zénith est à son tour littéralement retourné au bulldozer sous le regard déboussolé d’une centaine de familles qui logeaient là. Brutalement et sans sommation, le préfet portait ainsi un coup fatal au travail de longue haleine sur lequel la Ville et les associations Area, la Cimade, ou encore 2 choses Lune s’étaient mises d’accord au mois de juillet. Une tentative parmi d’autres, que le préfet qualifie « d’échec ».

Un préfet « Bulldozer » et des bilans contradictoires
Ce sont aussi à chaque fois d’étranges incendies criminels, trois en l’espace d’un mois, qui ont précipité ces décisions. Comme pour justifier encore cet empressement, lors d’une conférence de presse organisée l’après-midi même, le haut fonctionnaire a brandi une série de chiffres censés rassurer les journalistes quant à la légitimité de son action. Sur les 75 personnes contrôlées par la PAF, dont 72 sont de nationalité roumaine, l’homme relève « 18 mineurs, dont 7 sont en partie scolarisés ». D’après lui, seuls « 11 adultes ont déclaré avoir travaillé ». Et l’homme d’enchaîner avec les casiers judiciaires des personnes évacuées : « Sur ce total de 75 personnes, 49 sont connus des services de police pour des délits allant du vol simple, de la conduite sans permis, au vol en réunion, recel, violence et agression sexuelle sur mineur de 15 ans », annonce-t-il. Un portrait en vrac, qui laisse peu de place à l’empathie pour l’ensemble des familles restées sur le carreau en somme. « La tendance à une économie parallèle, la multiplication de comportements délictuels, dont l’opération de ce matin vient apporter une preuve chiffrée, me conduisent à rappeler la nécessité d’une action volontariste, à la fois respectueuse des personnes – je rappelle que nous proposons des hébergements à chaque personne – mais respectueuse des lois de la République dont je suis le garant dans le département de l’Hérault », conclut Hugues Moutouh qui, lors d’une conférence de presse, avait assuré à son arrivée sur le territoire mi-juillet qu’un préfet devait savoir « jouer le rôle d’un bulldozer ». Et c’est désormais chose faite.

Des décisions radicales et quelque peu « schizophrènes », concède Sylvie Chamvoux, de la Fondation L’Abbé Pierre. « L’État dit qu’il faut diminuer les places en hôtels sociaux pour privilégier l’habitat pérenne. Dès la fin de l’année 2021, un nombre de chambres ne seront plus financées. Et en même temps, on expulse 300 personnes de deux bidonvilles sans autre solution, dans une ville où le marché de la location est saturé ! C’est ce qui nous surprend et nous fait réagir », confie la responsable. Ce qui trouble le monde associatif également, ce sont les chiffres et les situations exposées par le préfet. Car les données dont ils disposent sont tout autres : « Le Mas rouge, premier bidonville à avoir été évacué, était le lieu où le travail était le plus avancé. 70 % des personnes étaient en emploi, assure Christophe Perrin, de la Cimade. La situation en matière de logement est extrêmement tendue sur Montpellier, mais toutes ces personnes étaient en capacité d’entrer dans du logement public ou privé. » De plus, contrairement aux données du préfet concernant le campement du Zénith, le militant estime que, globalement, la scolarisation est bonne. « 70 % des gamins des bidonvilles de Montpellier vont à l’école. C’est une situation unique en France, notamment parce que nous travaillons avec le rectorat et des médiateurs scolaires. » Un chiffre confirmé par le rectorat, dont une source indique que ce taux a chuté à 50 % depuis les expulsions.

Un suivi social en miettes
Pour l’heure également, rien ne prouve qu’évacuer un bidonville par la force éradique le recours à l’économie parallèle. Et dans les faits, de nombreuses familles se sont retrouvées à la rue sans aucune solution de relogement. D’après Area, le Zénith regroupait 130 personnes au total. Donc la moitié des habitants seulement ont été abrités en hôtel. Catherine Vassaux, responsable de l’association, déplore également une perte de contact désastreuse. « Petit à petit, on est en train de perdre des gens. C’est dramatique. »
Aux premières loges pour en témoigner, un travailleur social confirme un suivi bien plus complexe qu’auparavant. « Aujourd’hui, il y a beaucoup de petits camps d’appoint. Des familles s’installent sur des parkings, d’autres sont sorties de Montpellier pour s’installer dans la cambrousse, sans eau ni électricité… » En plus de ce sentiment de « peur » partagé par l’ensemble des foyers dispersés ou relogés, ils ont rompu les quelques liens tissés au fil des ans avec leur bassin de vie. Exit les petits jobs, fini l’école… Le travailleur social observe une « déscolarisation massive » des enfants qui avaient réussi à prendre le chemin des classes, et pointe des situations sociales aggravées. « En ce moment, je suis le cas d’une dame seule avec ses 4 enfants, dont un épileptique. Le 115 n’arrive pas à lui trouver un logement adapté, et comme son plus jeune fils a environ 5 ans, elle n’entre plus dans le cadre de l’hébergement lié à la protection de l’enfance proposé par le Département. Donc elle tombe pile-poil là où il ne faut pas. La situation est ubuesque. C’est le risque des expulsions rapides, sans relevé précis des familles. Cette précipitation a généré des effets indésirables », regrette-t-il. Un constat partagé par l’association Area. « Aujourd’hui, on se retrouve à mendier des mises à l’abri, alors que ce n’est pas ce qu’on souhaite. On pense qu’il faut du logement pour tout le monde », confie Catherine Vassaux. En bref, non seulement l’évacuation brutale a bousillé le suivi social des familles, mais elle n’a pas réglé le problème de l’habitat précaire et illicite. À peine l’a-t-elle éparpillé, comme on cacherait un peu de poussière sous le tapis en somme.

Désormais, le monde associatif et la préfecture tentent de renouer le dialogue. Hugues Moutouh a évoqué l’idée d’un groupe de travail impliquant toutes les parties prenantes dans le but de fixer un nouveau calendrier d’évacuation. « On va relancer le préfet sur la mise en place rapide de ce groupe pour avoir une visibilité sur la suite », argue Christophe Perrin, de la Cimade. Peut-être l’occasion d’un meilleur dosage entre réponse sécuritaire et réponse sociale. Au total, près de 900 personnes seraient concernées dans les multiples campements de la ville ; leur sort le dira.

 

Légendes photos :

1 – Des caravanes réduites à un tas de tôle, le résultat édifiant de cette décision préfectorale comme désigné par cette main tendue.
2 – Au campement d’Euromedecine. Que sont devenus Iona, Camilia, leurs parents et les compagnons d’infortune ? Archive artdeville (2010)
3 – Daniella et sa fille au campement de la Mogère. Archive artdeville 2011
4 – Un de leurs voisins et sa fille. Archive artdeville 2011