La vision d’une cité régénérée par la nature… Voilà le projet qui imprègne la plupart des programmes des candidats aux élections municipales de 2020, même si elle reste parfois encore cantonnée à certains secteurs. Mais, loin de ces projections, la biodiversité en ville fait plutôt de la résistance. En Occitanie, la région est certes confrontée à une forte croissance démographique, en particulier dans les grandes agglomérations et les communes côtières. « À Montpellier, les grues ont envahi le paysage. Des collectifs d’habitants se montent dans tous les quartiers pour s’opposer à des constructions », déplore Nathalie Poupon, membre des Gardiens de Montcalm. L’association se bat depuis des années contre la création de six cents logements comprenant la réalisation de bassins de rétention des eaux pluviales dans le parc Montcalm, espace vert de vingt-six hectares situé en bordure du centre-ville de la préfecture héraultaise.
Progression de l’artificialisation
Certains indicateurs semblent bien montrer au contraire que le végétal a encore sa place en ville. Ainsi, Montpellier et Toulouse atteignent respectivement les première et seconde positions du classement « Nos villes vertes », élaboré par la start-up rennaise KerMap en juin 2019. « Nous nous appuyons sur des photos aériennes de l’Institut géographique national (IGN) pour calculer le taux de végétation arborée, ce qui correspond à l’emprise de la canopée vue du ciel », explique Antoine Lefebvre, fondateur de KerMap. Ces chiffres sont déclinés en pourcentages (25 % de patrimoine arboré en ville à Montpellier et 19 % à Toulouse) ou en m2 par habitant (43 m2 de surface arborée/habitant à Montpellier et 42 à Toulouse). Mais les bons scores des deux métropoles régionales masquent certains biais. Bertrand Desailly, maître de conférences à l’université Jean Jaurès de Toulouse, spécialisé en géographie de l’environnement et des paysages, note que « dans le cas de Toulouse, la superficie de la commune est importante. Et si le centre historique comporte assez peu de parcs publics, on trouve à sa périphérie des quartiers pavillonnaires avec des jardins et même quelques restes de terres agricoles ». Alors que la bonne place de Montpellier est notamment due à son vaste zoo « qui fait exploser son pourcentage de végétation arborée », confie Antoine Lefebvre. Une observation attentive des cartes révèle également la présence de nombreux jardins privés souvent invisibles depuis la rue. « Nous avons souhaité les intégrer à nos calculs, car ils procurent des bénéfices, aussi bien pour la biodiversité en ville que pour lutter contre les îlots de chaleur urbains », poursuit le responsable de KerMap. De ce fait, d’aucuns se demandent « s’il ne faudrait pas parler de l’importance des espaces végétalisés plutôt que des espaces verts, expression qui de façon générale renvoie le plus souvent à des espaces publics », complète Bertrand Desailly.
Mais de nombreux terrains privés sont impitoyablement grignotés par l’artificialisation des sols qui ne cesse de progresser, notamment dans les attractives communes littorales. À Villeneuve-lès-Maguelone, commune côtière de 10 000 âmes située au sud de Montpellier, des habitants se sont rassemblés pour dénoncer « l’urbanisation anarchique » que subit selon eux la localité. « Depuis trois ans environ, des immeubles de deux étages poussaient du jour au lendemain à leurs portes. Rien que dans ma rue, 150 logements répartis dans sept constructions doivent être réalisés », témoigne David Cassim, membre du collectif. Un mouvement allant de pair avec la destruction de jardins arborés. « Les promoteurs sont à l’affût de grands terrains attenants à des maisons anciennes. Certains propriétaires peuvent être poussés à vendre, car une fois à la retraite ils ne peuvent plus payer les taxes foncières », poursuit David Cassim. Ironie : une résidence a même pris le nom de Domaine des pins, « alors que presque tous les arbres présents avant son aménagement ont été coupés », assure le Villeneuvois.
Vers plus de vert ?
L’artificialisation est aussi le fait de l’étalement urbain qui marque la périphérie des agglomérations. Présentée comme une réponse à ce phénomène, la densification des villes induit parfois la disparition de friches et de jardins. Autant d’espaces de respirations défendus par certains habitants. À Toulouse, dans le quartier des Pradettes, des citoyens s’opposent à la réalisation de 300 logements sur un terrain de deux hectares et plaident pour la création d’un parc « agro-urbain ». À Montpellier, près de la gare Saint-Roch, des riverains protestent contre l’aménagement de l’îlot non bâti « Du Guesclin » par un promoteur.
Toutefois, densifier pourrait aussi rimer avec végétaliser. « Je ne perçois pas cette densification comme une menace », indique pour sa part Bertrand Desailly. « À mon sens, les problématiques actuelles sont surtout liées au fait que la végétation occupe rarement une place majeure dans les grands projets d’aménagement urbain. Elle est encore trop souvent conçue comme un simple décor rajouté après coup. Les menaces ne pèsent guère sur les parcs et jardins publics existants, mais des espaces urbains en devenir pourraient accueillir bien davantage le végétal. » Le chercheur cite par exemple l’emblématique projet toulousain « Grand Matabiau » dont les vues présentent surtout « des arbres d’alignement associés à la voirie ». Alors que, selon lui, on aurait pu aussi intégrer au projet « par exemple, la création d’une forêt urbaine jouant le rôle de climatiseur naturel et favorisant la présence de la biodiversité, notamment de l’avifaune. »
Pour Emmanuelle Parache, fondatrice de Biocenys, société toulousaine qui aide des entreprises à intégrer la biodiversité dans leurs projets, certains acteurs du BTP commencent à être sensibles à ces sujets. « Cela peut leur permettre de conquérir des marchés, car les collectivités vont choisir la structure la plus à même de l’aider à construire la ville de demain », défend-elle. Biocenys a notamment accompagné le promoteur Icade dans le cadre du projet immobilier La Boiseraie d’Arduenna, à Toulouse. Cet ensemble de 280 logements organisé autour d’un ancien centre de tri postal réhabilité a été livré en 2018. Ruches, hôtels à insectes, nichoirs, toitures végétalisées, plantes locales peu gourmandes en eau et nourricières pour les oiseaux sont destinés à favoriser le développement d’éléments culturellement associés au sauvage.
« L’architecture doit elle-même être un support pour le vivant », dans le but d’abolir les frontières entre la nature et une approche minérale de la ville. C’est ce que défend depuis vingt ans l’architecte montpelliérain Jean-François Daures. « Intégrer le végétal à l’architecture n’a pas que des fins décoratives. Cela doit être aussi utile pour absorber les bruits aériens et améliorer le bilan thermique que pour le maintien de la biodiversité. » Ce spécialiste de l’« architecture végétale » crée des bâtiments où les plantes font partie du bâti. À l’image de l’office de tourisme de Saint-Privas-de-Champclos, dans le Gard, petit bâtiment circulaire dont la structure en bois et en bambou, qui supporte une couche de substrat sur lequel s’épanouissent environ 850 plantes méditerranéennes. « Les espèces que j’utilise sont locales, parfois sous leur forme sauvage, pour être acclimatées », explique l’architecte. Bon pour les insectes pollinisateurs. Et agréables pour les usagers de cette construction qui ne nécessite ni climatisation ni chauffage. Créateur de murs végétaux, mais aussi de toitures et de routes végétales (cf. article d’artdeville n° 67, Des rues plus vertes, plus sociales, plus saines, plus belles) certifiés et brevetés, Jean-François Daures rêve de la ville de la biodiversité. Il prouve, avec d’autres, que 100 % de l’environnement urbain pourrait être gagné par la nature.
Un « poumon vert » bientôt détruit ?
La signature d’un permis de construire trouble la paisible commune de Clapiers, 5 500 habitants, dans la métropole montpelliéraine. Près de mille pétitionnaires, soit 1/20e de la population, s’opposent à la construction d’une résidence de 2 bâtiments en R+2 et 28 logements. Les parcelles concernées, de 2 650 m2 en tout, sont situées au cœur du village. Ils ne veulent pas de la « destruction d’un parc paysager, poumon vert de [leur] quartier, de la source Teulon ».