Danse et Théâtre
La crise du Covid-19 est-elle l’occasion pour le spectacle vivant de se réinventer ? C’est en substance ce que le chef d’État Emmanuel Macron a proposé lors de son allocution du 7 mai 2020 en faveur d’un plan de soutien de la culture. L’annonce a provoqué de nombreuses réactions, à commencer par celle de Jean-Michel Ribes, directeur du Théâtre du Rond-Point à Paris : « Répéter 550 fois qu’on doit inventer ! Mais on fait quoi depuis quarante ans ? » Le débat est tentaculaire, les convictions multiples. En Occitanie, des personnalités de la danse et du théâtre évoquent l’après. Tour d’horizon.
Christian Rizzo, directeur ICI-CCN Montpellier
« Je n’ai pas envie de participer à une paupérisation du champ chorégraphique »
Une fois digérée la question du confinement et l’état de stupéfaction de devoir tout arrêter en pleine course, Christian Rizzo explique avoir dû gérer les enjeux prioritaires : préserver l’équipe, être proche des intermittents et régler la problématique des tournées programmées.
La question de la nécessité, ou pas, de créer est venue ensuite. « La crise étant sociétale, il est difficile d’évaluer la place d’un acte créatif en étant encore dans un rapport émotionnel global. Les questionnements font naître des doutes mais aussi des pistes délirantes qu’il faut le temps de comprendre. J’ai trouvé incroyable de voir que certains avançaient déjà plein d’idées. Personnellement, je trouve qu’il faut laisser la pensée se mettre en place. On n’a pas besoin de pansement ni de gadget, je n’ai pas non plus envie de participer à une paupérisation du champ chorégraphique. Cela m’a demandé un certain temps pour enclencher, d’autant qu’à cette période, j’aurais dû être en répétition sur une nouvelle création, un projet solo. Je me suis alors aperçu que le désir était maintenu dans ce travail en face-à-face. J’ai imaginé la notion de « correspondance » avec le danseur. Je lui ai envoyé des pistes de travail : le projet traitant de la fragmentation du corps et du mouvement, j’y ai inclus la question de la distance, non pas comme quelque chose qui sépare mais comme un potentiel de rapprochement. »
Avec cette nouvelle création intitulée En son lieu, Christian Rizzo renoue avec les soli (dernier solo en 2012), ce rapport privilégié du « un à un ». Programmé le 17 novembre au Théâtre des 13 Vents, ce solo devrait avoir une résonance très particulière dans ce contexte de Covid-19. Par ailleurs, depuis le 3 juin, l’institut chorégraphique international accueille 16 artistes en résidence.
Jean Varela, directeur du Printemps des Comédiens
« Je continue à rêver de ce théâtre de la fête »
Le Printemps des Comédiens aura été le premier festival de théâtre de l’été à être supprimé. Pour autant, pas question pour Jean Varela de rester inactif. Pendant le confinement, le Printemps des Comédiens a donc lancé sa radio web, une émission quotidienne d’une heure rassemblant des souvenirs de théâtre de spectateurs, des dialogues mixés d’universitaires, d’acteurs. « On a essayé de faire résonner ces voies dans ce silence assourdissant de confinement, pour garder du lien », explique Jean Varela qui n’a jamais cessé de rêver théâtre. « Le théâtre au sens large et antique du terme nécessite un esprit présent de fête, de rassemblement. Entendre les cœurs palpiter ensemble. Lorsque j’étais étudiant, un de mes maîtres de commedia Dell’arte disait que les acteurs arrivaient à faire varier la pulsation cardiaque de la salle. Quand on va au théâtre, on a envie d’être dans une émotion partagée. Cela doit recommencer par là… Pour cette édition, nous avions prévu de nous déployer dans le parc du domaine d’O pour en faire un jardin d’Épicure, un lieu qui respire avec le monde, la nature, et y faire poésie. Réinventer des formes pour le jardin comme Goethe l’a fait à Weimar ou Rousseau dans son jardin à Ermenonville… Le théâtre c’est l’art d’ici et maintenant, de la proximité, du point de contact où le regard du spectateur rencontre l’émotion par les artistes sur le plateau : comment voulez-vous que cet art survive à la distanciation ? On peut inventer des choses provisoires, mais je continue à rêver de ce théâtre de la fête, de la joie, d’épopées avec de nombreux comédiens au plateau, en équipes artistiques. Le renouveau théâtral dans notre pays s’est toujours fait par les équipes plus que par les institutions. À nous d’être inventifs, à l’image des Gosselin, Pommerat, Ariane Mnouchkine qui ont fédéré des équipes ou Katia Ferreira de La carte blanche. Je travaille sur ce moment où le contact sera possible. Le reste n’est, pour moi, que de l’attente. »
Mathilde Monnier, chorégraphe
« Les microrésidences sont des réponses pragmatiques appropriées au moment présent »
En mai dernier, Mathilde Monnier lançait le projet « micro-halle », six microrésidences d’artistes à la Halle Tropisme, Montpellier. « Face aux nombreuses incertitudes, je ne suis pas en mesure d’extrapoler et de réfléchir sur la culture de demain. La danse, dans son ADN, est internationale, c’est un art d’invitation, de rencontre, de dialogue entre les cultures différentes. Si je devais arrêter de voyager et de travailler avec des artistes internationaux, cela n’aurait plus aucun sens. Je ne le ferai jamais. D’ailleurs, je ne pense pas que ce soit possible, dans de moments de crise, de réorienter son travail d’artiste. C’est pour cette raison que je propose ces résidences qui me semblent des réponses pragmatiques appropriées au moment présent. »
Jusqu’au 3 juillet 2020, une équipe artistique (pas plus de 3 personnes) est invitée chaque semaine à travailler une création au format court dans le studio La Menuiserie, puis à la présenter devant un public à la jauge réduite. Danse, arts plastiques, spectacle circassien… les projets sont volontairement multidisciplinaires. « Pour remettre les artistes au travail, il fallait trouver des solutions temporaires, repenser les formats, le lien au public. La danse est un art de l’espace mais aussi d’intériorité : tant que ce ne sont pas des danses de groupe, on peut imaginer plusieurs formes. Ces microrésidences sont aussi une manière d’être ensemble. »
Pour inaugurer ce cycle, la chorégraphe montpelliéraine a joué le jeu d’une mini création solo avec la danseuse I-fang Lin. « Nous avons travaillé sur une pièce du compositeur Ligeti, Le Grand Macabre (opéra en deux actes). Nous présentons un extrait de 8 minutes de cette pièce contemporaine complexe, abstraite, que nous avons retranscrite dans le corps, avec beaucoup de bruit, d’espace, d’émotion. »
Ernaud Vivien, directeur de la Comédie du Mas, Théâtre d’humour de Montpellier
« Je n’imagine pas de créativité particulière pour les comédies de boulevard »
« Cela n’a aucun sens de pratiquer la distanciation sociale dans une salle de spectacle. L’essence même d’un lieu vivant est de rassembler, de véhiculer des émotions, des échanges, or c’est tout ce que remet en cause cet épisode. La réflexion est donc limitée par l’essence même du spectacle vivant. Réinventer un modèle me paraît plausible dans le cadre de théâtres contemporains où des réflexions artistiques peuvent être engagées. En revanche, dans les comédies de boulevard, je n’imagine pas de créativité particulière, sinon intégrer quelques jeux de mots, tout au plus des clins d’œil liés à la situation », explique Ernault Vivien qui prépare seul en scène Le Petit Prince minuscule traitant de la différence : une plongée en apnée dans le cerveau d’un déficient mental.
En vue d’une réouverture dès que possible, la Comédie du Mas travaille sa programmation. Pour rappel, chaque saison, ce sont 250 à 280 levers de rideaux, une cinquantaine de spectacles avec des comédiens /auteurs de la région, une jauge de 200 places.
François Noël, directeur du Théâtre de Nîmes
« J’ai décidé de prendre le temps de la réflexion »
« J’ai vécu le confinement comme une retraite, un moment d’introspection, de réflexion… On est tellement happé par le travail, les réunions, les milliers de mails, et là tout s’est arrêté ou presque ! Je vais sans doute organiser mon mode de vie différemment. J’ai décidé de prendre le temps de la réflexion », confiait récemment François Noël. Ce qui n’empêche pas le directeur du Théâtre de Nîmes d’imaginer l’avenir. « Nous avons la chance d’avoir deux salles, l’une de 800 places et l’autre de 240. Dans cette dernière, nous travaillons sur des hypothèses de jauge réduite, de multiplication du nombre de représentations. En revanche, je ne suis pas fan de l’idée que le public soit masqué et que les acteurs soient à plus de 10 m du premier rang.
La difficulté dévolue aux artistes et metteurs en scène est d’intégrer ces nouvelles données ; tous n’auront pas envie de le faire et c’est tant mieux. Ce serait une ingérence d’imposer de la distanciation sociale à un metteur en scène. Il va falloir être plus malin, trouver des subterfuges dans l’habillage, le costume. On peut très bien détourner l’usage du masque en objet de mise en scène, dans la scénographie, imaginer des sortes de zones différentes sur le plateau. Le travail d’artiste est justement d’être inventif, j’échange beaucoup avec eux et tous brûlent d’impatience de remonter sur les planches. Il y aura forcément un élan artistique fort pour aborder le sujet. Et s’en défendre aussi. »
Dès la mi-juin, le Théâtre de Nîmes accueillera deux équipes artistiques en résidence. L’une, composée de cinq personnes, doit travailler sur l’écriture d’un spectacle dont la thématique, en prise avec notre réalité, est le trop de tout. L’autre est une création solo de danse. SV
Art contemporain
L’art a bien été impacté par la crise du Covid-19. Mais contrairement au secteur des arts dits « vivants », auquel le statut d’intermittent apporte une certaine protection, l’inscription à la Maison des artistes n’ouvre que peu de droits comparables, si ce n’est via son bureau d’aide sociale alimenté par une maigre partie des adhésions annuelles. La précarité financière des jeunes artistes, notamment, étant souvent la règle, la période Covid n’a donc guère changé leur quotidien. Un job d’appoint leur est donc souvent indispensable, mais vu la conjoncture, certains en sont privés. À leur intention, l’école des beaux-arts de Montpellier a lancé une cagnotte via une plateforme en ligne dédiée. Au niveau national, Les amis des artistes, « un collectif d’acteurs du domaine de l’art d’horizons variés et complémentaires » tel qu’il se présente, ont mis également en place un dispositif de soutien efficace de ventes solidaires. Pour les artistes à la notoriété plus assise, le retour à l’atelier fut la règle. Mais le trou d’air pendant lequel les expositions d’art contemporain ont été suspendues voire annulées, fera-t-il fatalement, à terme, suffoquer artistes et galeristes ?
Jean Denant, artiste
Jean Denant n’a pas même interrompu les coups de gouge qui ont contribué à sculpter sa réputation pour répondre par téléphone aux questions d’artdeville. Pour lui, ce moment a été l’occasion d’un retour à l’atelier, « une pause relationnelle » qu’il continue donc de mettre à profit pour travailler intensément. Les commandes en cours n’ont pas été interrompues. « Je reçois même des coups de téléphone de gens que je n’ai pas l’habitude d‘avoir. Des novices en art parfois. Quand je leur donne les prix, ils disent “Ah quand même ! “. » Le confinement a donné le temps à beaucoup, en effet, pour reconsidérer les murs de son espace intime. Mais Jean Denant se dit inquiet pour le moyen terme. « Les galeries, les foires sont de plus en plus tentées par le virtuel. Ce qui à ses yeux s’inscrit en contradiction avec ce qu’on enseigne dans les écoles d’arts. « L’art reste un bien, plutôt qu’un questionnement », constate-t-il. Sous l’influence d’une culture plus anglo-américaine, l’exposition comme « mise en espace d’une pensée sociologique, philosophique… » risque selon lui d’être une victime collatérale du Covid.
Claude Bauléry, galerie Vue sur cours
C’est pourtant le choix auquel s’est résolue la galeriste de Vue sur cours, à Narbonne. Dans cette ville en perdition pour l’art contemporain (lire Haut et bas de la culture à Narbonne – artdeville n° 57), Claude Bauléry fait certes office du dernier des Mohicans en tant que gérante de sa « galerie-boutique » – Vue sur cours vend en effet également de l’artisanat d’art. Après avoir lancé un SOS, via une opération de financement participatif, l’artiste Libby Page, dont le vernissage était calé ce printemps, lui souffle l’idée d’organiser un vernissage virtuel. Ce à quoi Claude Bauléry se refuse dans un premier temps : « L’émotion ne peut pas passer par la vitre froide d’un écran d’ordinateur. » Mais elle finit par se laisser convaincre. Et l’opération est une franche réussite ! L’organisation a pris du temps, il a fallu traduire en anglais les textes de présentation pour chaque œuvre, « Je suis sortie de ma zone de confort, mais la contrainte a été inspirante. » Le 15 avril, à l’heure dite, un « Facebook live » permet au duo, l’une à Berlin, l’autre à Narbonne, de présenter les œuvres côte à côte virtuellement pendant 52‘. Et de vendre, notamment une grande toile. « Ça a remis en question ma manière de voir les choses car l’acheteur est américain et ne serait pas venu à la galerie. » Sauvée in extremis par la cagnotte et ces ventes, Vue sur cours espère désormais que les vacances franco-françaises de cet été lui amèneront des visiteurs.
Marie-Caroline Allaire-Matte, galerie AL/MA
Dans ce contexte si particulier lié aux mesures de confinement, la galerie AL/MA a souhaité « maintenir le contact avec les artistes, collectionneurs, soutiens institutionnels et amis solidaires ». Ainsi, la galeriste Marie-Caroline Allaire-Matte a-t-elle aussi songé à des expositions en ligne. Sur Facebook et Instagram, mais sans dispositif live, ses « expositions corona » telles qu’elles les surnomment à propos n’ont malheureusement pas eu le même succès. « J’ai reçu beaucoup d’encouragements, de félicitations, mais de ventes, zéro ! » regrette-t-elle. La solide notoriété des artistes Arnaud Vasseux, Tjeerd Alkema, Eve Gramatzki, Susy Lelièvre et Max Charvolen n’aura pas suffi. « Je sais qu’il y a eu des foires en ligne, mais les ventes ne viennent que valider celles déjà prévues. Je ne crois pas qu’elles puissent se décider si on ne connaît pas déjà l’artiste et si l’intention d’achat n’est pas déjà présente. » Selon Marie-Caroline Allaire-Matte, la question du prix pose également un problème : « En France, on ne sait pas parler d’argent en ligne, afficher les prix. Ou alors, il faut que cela se passe dans le cadre d’une vente solidaire, caritative. » Mais pour elle, s’il fallait que ce type de relations virtuelles se développent, voire se généralisent, « cela ne m’intéresserait plus. Le rapport à l’œuvre, au lieu, la présence de l’artiste sont indispensables. » Elle craint par ailleurs que « l’absence des foires fasse de gros dégâts ».
Fabien Boitard, artiste
Dans son atelier d’Aniane, Fabien Boitard avoue être resté « abasourdi » par la décision du confinement, et l’avoir vécu « d’abord au ralenti, un peu comme tout le monde. Il m’a fallu comprendre ; c’est un peu le rôle des artistes de regarder le monde dans lequel on vit ». Mais après ce temps de latence, Fabien Boitard s’est remis à peindre au même rythme. Présent dans les collections du Fonds régional d’art contemporain et dans celles de nombreux collectionneurs privés, il travaille justement sur des visages masqués ou « bâillonnés » (cf. photo). Une évolution logique de sa série de quinze « grimaces » présentée à la Galerie Tokonoma, rue Chapon à Paris, en juin. Qualifié d’« artiste passionnant » par Nicolas Bourriaud, directeur du MoCo, ses œuvres figureront dans l’exposition « 100 km » organisée par le centre d’art contemporain montpelliérain du 30 janvier au 2 mai 2021.
Microclimax, artistes
À Sète, le couple d’artistes Benjamin Jacquemet et Carolyn Wittendal qui forment Microclimax déclarent eux aussi avoir été « chamboulés » par la déclaration de confinement. Leur travail a été réduit « quasi à zéro. Il a fallu aussi s’occuper des enfants ». Microclimax est également une agence de design urbain et d’architecture et leur projet à Lectoure (Gers), une commande publique autour d’un jardin écologique, a été mis en stand-by ; leurs interventions dans les collèges de l’Hérault aussi. Carolyn et Ben se sont donc attelés à la confection… de masques et de « tartes de distanciation » ! Leur façon ironique et sublime de commenter l’actualité (cf. photo). « Notre travail consiste à concevoir habituellement des architectures qui réunissent les gens ; là nous avons imaginé ce qui pouvait représenter le contraire. » Une machine à serrer les mains est aussi en cours de création ! Cet été, Microclimax participera à la manifestation Horizon d’eau, organisé dans un format allégé par le musée d’art contemporain Les Abattoirs (Toulouse) et le Fonds régional d’art contemporain Occitanie (FRAC Toulouse et Montpellier).
Emmanuel Latreille, directeur du FRAC
Au FRAC justement, dont la fonction est aussi d’acquérir auprès des galeries et des artistes les œuvres qui constituent la collection publique de la Région, pas d’achat solidaire supplémentaire prévu « Le budget est identique. On ne peut que poursuivre ceux en cours. Nous faisons en sorte que les commissions se réunissent pour qu’il n’y ait pas de retard », expliquait à artdeville Emmanuel Latreille, directeur du FRAC Montpellier, le confinement n’étant pas encore levé. Qui plus est, la politique d’achat du FRAC ne doit pas, par principe, avantager tel ou tel artiste sous prétexte qu’il habite la région. Le propre de la démarche des FRAC est d’acquérir aussi des œuvres d’artistes étrangers qui enrichiront d’autant les collections. « Mais il faut faire attention aux deux. 35 à 50 % de dossiers régionaux sont de bon niveau. Il y a ici un vivier d’artistes de grand talent ». Le FRAC Occitanie s’inscrit toutefois dans différents dispositifs mis en place pour le secteur des arts plastiques en région à l’ère du COVID, avec pour objectif premier : « maintenir une offre culturelle dans le Sud cet é́té pour tous les publics ». S’y sont joints également le Carré́ d’art (Nî̂mes), le MoCo (Montpellier), le CRAC (Sè̀te)…
Et comme un clin d’œil au destin, l’artiste montpelliérain Jimmy Richer sera l’invité du FRAC pour une premiè̀re exposition personnelle nommée… CASA. Son évocation de la « maison » dans le contexte postconfinement n’en prend que plus de pertinence.
Hervé di Rosa, artiste
Depuis le Portugal où Hervé di Rosa réside, le célèbre artiste du mouvement Figuration libre avoue que la crise « n’a pas changé grand-chose. Ça m’a permis de peindre un peu plus. Les réunions ont été reportées ». En mars, il devait rendre un travail pour l’Institut Pasteur sur le thème… du virus ! Une commande passée bien avant que le Covid-19 soit même nommé. Hervé di Rosa est le cofondateur, avec Bernard Belluc, du Musée international d’art modeste de Sète. Pour l’espace d’exposition, il a créé une signalétique originale qui guide le visiteur selon les gestes barrières désormais en vigueur. « J’avais la liste : flèche droite, gauche, au sol, file d’attente, etc. ; il fallait les tourner en énergie positive. Mais je ne suis pas naïf, je sais bien que tôt ou tard, on va le payer. » Hervé di Rosa tient à souligner « le super travail » de l’équipe du Miam malgré la période, notamment les ateliers pédagogiques de la Petite épicerie, et l’exposition Mondo Dernier cri, une internationale sérigrafike, visible jusqu’au 20 septembre.
Mathieu Argaud, directeur artistique
« à la Halle, les choses rentrent peu à peu dans l’ordre. » La Halle dont Mathieu Argaud parle est la Halle Tropisme, à Montpellier. Un espace culturel et de coworking où le producteur d’événements artististiques dispose de bureaux. Bipolar, l’agence artistique qu’il a cocréée avec Grégory Diguet, est inspirée par les liens arts-sciences-technologies et société auxquels la conjoncture donne un écho particulier. L’exposition en cours entre Lyon et Arles a en effet pour titre BigTorrent et évoque la culture du risque, ici celle liée aux inondations. Elle réunit des artistes qui imaginent des dispositifs singuliers d’observation du fleuve sous des formes plastiques, visuelles et sonores. « J’ai la sensation que les gens ont gagné en compétence sur la notion de risque », analyse Mathieu Argaud au regard de la pandémie. Sa vision pour l’avenir reste cependant bien sombre. « On est en mode tsunami ; la mer se retire, et on risque de se prendre la vague en 2021, prophétise-t-il. Et si on regarde les annonces [de l’État], il n’y a rien. Les artistes sont les grands oubliés. » Selon Mathieu Argaud, à cela s’ajoutent les incertitudes liées aux échéances électorales : « L’échelon municipal est important et, en cette période, on ne voit rien non plus. » FM
Musique
Pendant le confinement, les concerts en « visio » et autres live Facebook se sont succédé pour le plus grand plaisir des spectateurs. Un mouvement auquel même la musique classique n’a pas échappé. Quand l’orchestre du Capitole, à Toulouse, proposait du Berlioz, l’Orchestre national de Montpellier concoctait une version zoom de Roméo et Juliette, de Prokofiev. Autant d’initiatives empreintes d’humour et d’enthousiasme, pour crier envers et contre tout : the show must go on ! Oui, le spectacle continue. Mais dans les mois à venir, pas tout à fait comme avant…
Des stars du jazz à portée de clic
« Il faut vraiment s’attendre à ce que les choses changent », lâche le trompettiste Franck Nicolas, encore essoufflé par une forme sévère du fameux virus deux mois après l’infection. « La roue a tourné, le monde a changé. Cela serait complètement inconscient de penser que tout redeviendra comme avant. On a appris plein de choses, et la manière d’aborder la musique et la pédagogie doit aussi changer. » Cet enseignant du Jam a profité de cette pause forcée pour offrir à ses élèves une autre façon d’affiner leur jeu, via la page Facebook « Master class jazz et jazz K ». « Au départ, j’envoie à mes élèves un standard de jazz à travailler le lundi soir. Cela peut être un morceau de Dizzy Gilespie ou de Charlie Parker. Ils se filment en train de jouer le mardi soir, puis à partir de mercredi, des musiciens de renommée internationale postent à leur tour leur version du morceau. Le truc a un succès fou. » Parmi eux, le batteur Jean-Philippe Fanfant, qui officie notamment dans Taratata et The Voice, ou encore le batteur Félix Sabal Lecco, connu pour avoir accompagné Prince, Manu Di Bango et Sting…
Alors que la pandémie annulait concert après concert, ces artistes « habituellement super pris » avaient soudain tout leur temps. Et ils ne se sont pas fait prier pour partager leur créativité avec les élèves du Jam. Une aubaine pour Franck Nicolas, qui espère pouvoir poursuivre cette aventure numérique avec les promotions à venir.
« Est-ce que Youtube fera un effort ? »
Nathalie Lajara, directrice du Jam, aimerait aussi pouvoir explorer la piste web durablement, mais en cas de deuxième vague, elle ne permettra pas à elle seule de faire tourner la boutique. « C’est la problématique financière qui va influencer nos décisions. Pour nous, les recettes, c’est le bar, la billetterie et l’école. Faire du streaming toute l’année, c’est bien mais je ne sais pas si on peut se le permettre », avance-t-elle.
Louis Martinez, directeur du festival Jazz à Sète, s’est posé les mêmes questions ces dernières semaines. Et s’il s’est lui aussi prêté au jeu du concert vidéo, il en appelle à un meilleur cadrage de la diffusion et à la création sur le web. « C’est peut-être une nouvelle ère qui s’ouvre. J’ai vu que la Sacem allait faire un effort, est-ce que Youtube fera un effort aussi ? C’est quand même important, le droit à l’image ! Je trouve que les artistes sont assez peu protégés par rapport à ça. »
Si Jazz à Sète ne fera pas vibrer l’île singulière cet été, Louis Martinez proposera des concerts tout au long de l’année. « Notre souhait le plus cher est de reprendre. On donnera la priorité aux groupes français dès cet automne, et ce jusqu’au printemps prochain. Il faut les soutenir, la situation est catastrophique pour eux. »
L’aéroport pour terrain de jeu
Même rengaine pour les grands ensembles de la région. « Pour nous, le confinement a été un vrai coup de massue », souffle Thierry d’Argoubet, délégué général de l’Orchestre national du Capitole, à Toulouse, contraint d’annuler 42 concerts entre mi-mars et fin juillet. Depuis, l’homme fourmille d’idées pour que la musique ne cesse jamais. « Le maître-mot, c’est être agile, flexible et essayer d’inventer un nouvel avenir et de nouveaux projets », argue-t-il.
Au cœur de la majestueuse Halle aux grains, qui accueille traditionnellement les concerts de l’orchestre, seules 600 des 2 200 places pourront être rouvertes au public. Mais qu’importe : « L’Orchestre de Toulouse est un orchestre d’excellence, il faut qu’on vive ! » Dès la fin du mois de juin, de nouveaux projets se dessineront dans les belles cours de Toulouse. Airbus et l’aéroport pourraient aussi devenir de véritables terrains de jeu « covid-compatibles », insolites et vastes, pour faire de la musique autrement. « Si on peut mettre 50 personnes dans le public on en mettra 50. La musique, c’est l’incarnation d’un partage physique et émotionnel. Le public veut écouter, regarder voir, sentir, c’est totalement physique. Donc il va falloir être inventif », détaille Thierry d’Argoubet, en pourparlers avec Mezzo TV ou encore France Télévisions pour de nouvelles captations en ces lieux atypiques.
À l’Opéra de Montpellier, les jeunes talents à la rescousse
La saison prochaine, l’Opéra de Montpellier devrait quant à lui miser sur la jeunesse. « Nous avons eu 46 événements annulés et ça a un coût. Nous avons dû dédommager les artistes. Donc pour la rentrée, nous aurons besoin d’artistes superflexibles et capables de s’adapter à une situation qu’on ne maîtrise pas encore », confie Valérie Chevalier, directrice générale de l’Opéra de Montpellier. En bref, plutôt que de brader les grands projets que l’Opéra avait l’habitude de programmer, ils seront reportés à l’année d’après. « On ne va pas leur demander de massacrer une œuvre parce qu’on sera limité en termes de budget », poursuit la directrice. Telle une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, le spectre d’une deuxième vague les contraint à jouer la prudence. Pour l’année 2020/2021, Valérie Chevalier donnera donc aux jeunes artistes et aux étoiles montantes « une superbe opportunité de se lancer. On attend beaucoup d’eux ». Valérie Chevalier l’annonce, les tarifs devraient aussi être revus à la baisse pour inciter tous les publics à reprendre le chemin de la culture.
Cirque
Imaginons un instant la piste baignée de lumière. Un clown triste, masqué et perfusé au gel hydroalcoolique, des trapézistes à la queue leu leu résignés à ne plus se faire voler l’un l’autre, et ces jongleurs gantés dont les balles ne voltigeront plus à quatre mains… Rassurons-nous, ce scénario « covid-compatible » n’aura pas lieu !
« On ne peut plus créer aujourd’hui comme il y a cinq ou dix ans »
Par définition et quelles que soient les circonstances, le spectacle vivant sera organique ou ne sera pas. « Pratiquer le cirque sans se toucher, c’est absurde », souffle Stéphane Fillion, jongleur et cofondateur de la compagnie Lapsus, à Toulouse, qui a repris les répétitions depuis juin. « On ne limitera pas nos échanges sur les plateaux, mais nous serons plutôt vigilants à l’extérieur. Je ne sais pas si ça a une pertinence sanitaire ou pas mais nous y réfléchissons, parce que nous avons aussi une responsabilité d’employeur », explique-t-il. Donc, pour le jeune homme, pas question d’ignorer le contexte de crise. Lui et ses compagnons semblent même s’y préparer depuis un certain temps, du moins artistiquement parlant. Dès le mois de septembre, ils travailleront leur nouveau spectacle sur la thématique de l’effondrement en résidence au Pôle national cirque d’Alès.
Un sujet prévu depuis de nombreux mois déjà, mais qui prend un sens nouveau au regard de l’actualité sanitaire. Les artistes tenteront d’explorer ce qu’il peut y avoir de beau et de poétique « dans l’effondrement à venir ». Un programme pour le moins visionnaire…
Au quotidien, Stéphane Fillion et ses camarades ont d’ores et déjà adopté des réflexes durables dans le fonctionnement même de la compagnie Lapsus. « Il me semble qu’on ne peut plus créer aujourd’hui comme il y a cinq ou dix ans. Nous nous sommes engagés à ne pas faire de déplacement en avion, nous proposons des scénographies épurées pour éviter des matières premières polluantes et réduire les déchets. Nous refusons de faire des centaines de kilomètres pour une date isolée. Nous partageons des repas végétariens, nous n’utilisons que des lumières led… Tout ceci n’est pas une vitrine, mais une nécessité. Nous considérons que nous n’avons plus le choix. Et la crise nous conforte dans ce sens ! »
Si le public est réduit, qu’il entre dans la danse !
De leur côté, les hauts lieux de la création circassienne d’Occitanie sont sur le qui-vive. Sylviane Manuel, directrice de la Verrerie d’Alès, Pôle national cirque d’Occitanie, planche actuellement sur la façon dont elle pourra désormais convoquer le public. « Cela ne se fera pas dans l’immédiat, mais on a réfléchi à faire un drive in. Le public pourrait venir voir un spectacle en extérieur, mais depuis sa voiture… »
À court terme, en ces premières semaines de reprise, le nombre de spectateurs devrait être réduit au strict minimum, distanciation sociale oblige. Et si la problématique des conséquences financières n’est pas close, il n’est pas exclu que cette étrange situation entraîne, là encore, une émulation artistique nouvelle. « Sur des jauges réduites d’un tiers, nous réfléchissons aussi à la manière dont on pourrait intégrer le public à la chorégraphie. Nous avons par exemple pensé intégrer des mannequins entre les gens, c’est quelque chose que nous avons déjà évoqué », raconte Sylviane.
À la rentrée prochaine, la programmation du Pôle cirque sera bel et bien chamboulée. « Nous savons que nous pouvons nous développer en local. Dans un premier temps, nous allons surtout travailler avec des compagnies régionales. Nous avons une conduite à tenir vis-à-vis des programmations plus internationales vu le contexte », souligne encore la directrice. Faire la part belle au local, une autre conséquence « Covid-compatible » qui pourrait bien essaimer aux quatre coins de l’Hexagone. Autant d’interrogations qui animent aussi le pôle national CIRCa, à Auch, dans le Gers. « Se toucher, être ensemble, c’est les fondements des arts du cirque. On ne peut pas faire l’un sans l’autre, lâche Laure Baqué, secrétaire générale. Je pense aux portés ou aux spectacles aériens… On parle de jours meilleurs, mais aujourd’hui il va falloir composer avec. »
« Se toucher va devenir une forme de résistance »
Composer avec, mais ne pas s’y résoudre éternellement… Les artistes ont échappé au port du masque obligatoire de justesse. « Au début, on nous en avait parlé, mais les autorités se sont rendu compte qu’il y avait des risques. Le masque est incompatible avec une activité physique de haut niveau », confie Pauline Bardoux, de la compagnie l’Envolée cirque, qui a participé à un groupe de travail chapeauté par le ministère de la Culture pour établir la marche à suivre du déconfinement « artistique ». Au sein de la compagnie franco-catalane Baro d’evel, Camille Decourtye trépigne : « Si les artistes ne peuvent pas se toucher, ça va devenir un enfer. On peut suppléer ces contraintes car nous avons très envie de revenir vers la poésie. Donc on développe des choses, sous forme de cellules plus petites. Mais si on n’a pas les tests et les moyens de retravailler en collectif, c’est terrible. C’est une contrainte qui anéantit tout », souffle-t-elle. Depuis le début du déconfinement, Baro d’evel travaille sur le spectacle d’ouverture du Festival grec de Barcelone, prévu le 1er juillet. « Ils ont réussi à le maintenir, mais on doit créer quelque chose qui réponde aux normes sanitaires. Nous allons être dans des actions de groupes. Des artistes vont incarner des choses seuls sur scène. Nous allons proposer quelque chose de très simple, avec des adresses individuelles et isolées sur un grand plateau. » Un bricolage d’appoint mais qui ne satisfait personne sur le long terme. Car en effet, s’ils restent vigilants, par essence les circassiens font acte de résistance. « Se toucher va devenir une forme de résistance ». PB
Le coût : 2,3 Mds d’euros
L’annulation de la plupart des festivals des mois de juillet et août, estimés à 4 000 aux quatre coins de l’Hexagone, a évidemment un impact financier direct pour les territoires. D’après l’étude du politologue montpelliérain Emmanuel Négrier, initiée par France Festival, celui-ci serait compris entre 2,3 et 2,6 milliards d’euros. Cette somme comprend toutes les dépenses liées à la manne économique que représente un festival : les entrées, les consommations, les salaires, sans oublier la suractivité habituelle de l’hôtellerie et de la restauration autour de l’organisation d’un événement. Concernant les artistes, le nombre d’engagements annulés serait compris entre 152 816 et 237 939.