Exit les Disney-land pour acheteurs compulsifs ! En votant le projet de loi Climat et résilience le mardi 4 mai, les députés de l’Assemblée nationale ont donné un coup d’arrêt à l’empiétement irrationnel et anarchique des centres commerciaux sur les espaces naturels. Les modèles qui ont inspiré les groupes Klépierre, Mercialys et les autres lorsqu’ils dessinent les contours d’« Odysseum » (34) ou de l’Espace Fenouillet (31) appartiennent désormais au monde d’avant. Certes, la France détient encore le triste record du plus grand nombre de grandes surfaces à échelle européenne (plus de 10 000 au total), mais il est un fait que plus personne ne nie : ses conséquences sont désastreuses.
Une autre vision de l’urbanisme
Poussé par les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, le gouvernement a décidé d’agir. Concrètement, l’article 52 de ce nouveau projet de loi prévoit un principe général d’interdiction de toute nouvelle surface commerciale qui entraînerait une artificialisation des sols. Le but affiché : « diviser par deux le rythme de bétonisation des sols d’ici dix ans », sanctuariser les terres agricoles jusqu’ici en proie à l’appétit des promoteurs, et protéger les commerces de proximité… Mais si certains observateurs jugent ce texte « révolutionnaire » (voir l’entretien de Franck Gintrand ci-après), pour d’autres, celui-ci est encore bien trop souple. En effet, le texte prévoit des dérogations pour les extensions ou les constructions de centres commerciaux de moins de 10 000 m2 si les porteurs de projet démontrent « leur nécessité selon une série de critères précis et contraignants », explique le gouvernement. Et au-delà des 3 000 m2, les demandes d’autorisation devront passer par la commission nationale d’aménagement commercial, et ne dépendront plus de l’échelon départemental donc.
« En dix ans, on a artificialisé une surface de l’ordre d’un département en France, explique Jean-René Cazeneuve, député du Gers et rapporteur du projet de loi. Avant d’artificialiser une nouvelle terre, les élus seront dans l’obligation de montrer qu’ils n’ont pas d’alternative. Cela n’a l’air de rien, mais quand vous décidez collectivement de réduire de moitié l’artificialisation sur les dix prochaines années, c’est quand même une manière de regarder les projets qui va être très différente. » Actuellement entre les mains du Sénat, le projet de loi devrait être définitivement validé d’ici l’automne prochain et entrer en application dans la foulée. Dans un premier temps, les Régions renégocieront chaque Scot (Schéma de cohérence territoriale) et PLUI (Plan local d’urbanisme intercommunal) « pour savoir s’il faut implanter telle ou telle zone, à quel endroit, et pourquoi. On parie sur la capacité des collectivités territoriales à travailler ensemble. Ce sont les collectivités territoriales qui vont gérer cette déclinaison », précise le député. Pour harmoniser les décisions et tenir les comptes, le projet de loi prévoit également la création d’observatoires de l’habitat et du foncier à échelle intercommunale. « Ils feront des bilans annuels de ce qui se passe », ajoute l’élu, qui assure qu’en contrepartie, les territoires seront épaulés « pour densifier et pour inciter à aménager les friches ». « C’est toute une réflexion globale sur l’urbanisme qu’il faut revoir. »
Coup d’épée dans l’eau ?
Avec 40 % de surfaces commerciales de plus que la moyenne nationale*, et des projets parfois totalement inadaptés aux besoins des locaux, le département de l’Hérault illustre à lui seul le malaise. Comme à Pézenas, où un collectif citoyen était en lutte depuis 2009 contre l’implantation du centre commercial Bonne Terre. Un projet aux contours gargantuesques, avec ses 90 000 m2 de surface pour 8 500 habitants, retoqué par le tribunal administratif de Montpellier… De la même manière, aux quatre coins de l’Occitanie (voir ci-après), nombre de projets ont suscité l’ire des habitants, à l’image de Val Tolosa, près de Toulouse, d’Oxylane, près de Montpellier, ou encore de Rocadest, à Carcassonne… Autant de galeries XXL autorisées in extremis ces dernières années, alors même qu’un vent contraire les propulse déjà au rang de verrues péri-urbaines. Mais la loi n’étant pas rétroactive, la plupart de ces gros projets finiront par sortir de terre.
« Au début on s’est dit : formidable, ça va peut-être amener des solutions… Et voilà, il n’en est rien », souffle Françoise Hélary, du collectif Oxygène, opposé au complexe ludico-commercial Oxylane, à Saint-Clément de Rivière (34). Et quand bien même le projet de loi semble aller dans le sens de l’histoire, son époux Jean-Michel Hélary relativise sa portée : « 80 % des projets de nouveaux centres commerciaux font moins de 10 000 m2. Donc 80 % des projets sont susceptibles de dérogation. Cela sera à la CNAC (commission nationale d’aménagement commercial) de juger. Mais qu’elles soient nationales ou départementales, ces commissions ont toujours été plutôt laxistes », déplore le militant, craignant en outre que les promoteurs abusent désormais de la pratique du « saucissonnage ». « Ils pourront toujours scinder leur projet en deux surfaces de 8 000 m2 chacune par exemple… Et les deux parties seront éligibles aux dérogations », ajoute l’homme.
Membre du collectif Non à Val Tolosa et de la Fédération « Des Terres, pas d’hyper ! », Patrick Gaborit abonde : « On a eu raison avec quelques années d’avance… Mais finalement, cela ne va pas contrarier grand monde. » Pour lui, si la fin des grandes surfaces est une évidence, les combats citoyens sont en passe de se déporter vers les plates-formes d’e-commerce, exclues du projet de loi. Car non seulement elles ne subissent aucune restriction, mais la majorité gouvernementale les appelle de ses vœux. « Le gouvernement ménage la chèvre et le chou, poursuit Patrick Gaborit. Les collectifs vont devoir se battre pour bloquer de nouveaux projets qui n’ont aucune utilité et qui avancent de manière cachée, comme le fait Amazon… »
« Lutter contre Internet… à la limite du ridicule »
Un nouveau combat que le député Jean-René Cazeneuve qualifie de « démagogue » et « dogmatique ». À la question de savoir pourquoi ces entrepôts n’ont pas été pris en compte par le projet de loi, il répond tout de go : « Parce que c’est idiot ! (…) Pourquoi c’est idiot ? Quand vous construisez un centre commercial en périphérie, vous appauvrissez vos centres-villes, mais avec les entrepôts logistiques, rien à voir ! Si vous ne mettez pas les entrepôts sur le territoire, ils seront à la limite, à Barcelone ou à San Sebastian, et ils vont desservir tous les consommateurs français. De plus, plus il y a d’entrepôts, moins il y a de camions. Vous massifiez les échanges… », argue le député. À cet endroit du débat, l’artificialisation des sols ne semble plus être une priorité. « Que la France soit le seul pays à lutter contre Internet, c’est à la limite du ridicule », lâche encore l’élu LREM.
Pourtant, dans les rangs mêmes de son parti, cette omission dérange. « On ne peut pas mettre 5 milliards pour revitaliser les centres-villes et laisser des géants comme Amazon et Alibaba s’installer ici. Au départ ils créent des emplois, mais bientôt ils n’auront plus que des robots. Je n’ai pas envie d’ubériser la société », confie Patrick Vignal, député LREM de l’Hérault et président de l’association d’élus « Centre-ville en mouvement ». En bref, s’il se dit « ravi » des nouvelles restrictions concernant les centres commerciaux, le déploiement anarchique du e-commerce l’inquiète. L’Héraultais s’avoue d’ailleurs bien plus enclin à « piquer leur stratégie et l’adapter à la France », qu’à les laisser s’imposer sur le territoire.
Même consternation chez les militants écologistes. « On nage en plein dans les contradictions de ce gouvernement, estime Simon Popy, président de France Nature Environnement pour le Languedoc-Roussillon. (…) Nous regrettons que le projet ait fait du e-commerce une exception. C’est là qu’il aurait fallu traiter en priorité, car nous sommes en plein dans le développement de ces entrepôts. Est-ce qu’il faut attendre d’en avoir partout pour légiférer sur le sujet ? », questionne-t-il. Si l’objectif « zéro artificialisation nette » d’ici 2050 laisse penser que l’ambition gouvernementale va dans le bon sens, pour l’heure, les moyens mobilisés pour y parvenir semblent encore faibles aux yeux des militants écologistes. Simon Popy acquiesce : « Il va falloir aller plus loin. »
* Une donnée citée dans le livre de Franck Gintrand, Le jour où les surfaces commerciales auront dévoré nos villes, Thierry Souccar éditions, 2018.
En Occitanie, des mastodontes tentent de passer entre les mailles du filet
Près de Montpellier, le projet Oxylane perturbe l’entrée nord de la ville
Voilà près de dix ans que le projet mûrit dans les cartons du groupe Mulliez, empire de la grande distribution. Sur la commune de Saint-Clément-de-Rivière, au nord de Montpellier, Décathlon rêve d’investir un secteur de 24 hectares pour y implanter un « lotissement multi-activités ». L’enseigne spécialisée dans les accessoires de sport pourrait y côtoyer un supermarché bio O’Tera, une jardinerie Truffaut, une autre société de loisirs dont le nom n’a pas encore été dévoilé, ainsi qu’une dizaine de constructions pour la restauration, les activités en salle et l’implantation de cabinets médicaux et paramédicaux… D’après le collectif Oxygène, qui regroupe de nombreuses associations opposées au projet, sur les 24 hectares, « il ne restera que 6 à 7 ha d’espaces ‘libres’ ». Plusieurs recours sont encore en cours d’examen pour contrer ce projet XXL, en inadéquation totale avec les ambitions du projet de loi.
« Pronostic vital engagé » pour Val Tolosa
Initialement prévu sur la commune de Plaisance du Touch, à 10 minutes de Toulouse, le projet de centre commercial Val Tolosa a du plomb dans l’aile. Fait rare pour un chantier de cette envergure, la mobilisation des citoyens semble avoir payé. Pensé au début des années 2000, ce dernier affiche dès le départ des proportions pharaoniques : il devait s’étendre sur 115 000 m2, dont 90 000 m² de surfaces bâties. Mais pour accéder à ses 150 boutiques, ses 15 restaurants et son parking de 4 500 places, le projet devait engloutir 44 hectares de terres naturelles au total. Un ravage auquel les citoyens du collectif « Non à Val Tolosa » n’ont jamais voulu se résoudre. Depuis 2005, douze jugements ont été prononcés en défaveur du projet. En 2013, José Bové en personne s’y oppose et pointe son inutilité. Même constat du côté du Conseil d’État en 2019, qui donne encore raison aux citoyens, et refuse d’y voir un « intérêt public majeur ». En février dernier, le troisième permis de construire, qui courrait depuis 2016, est annulé par le tribunal administratif de Toulouse. « Avis aux adeptes du bulldozer et de la bétonnière, les temps changent et les magistrats retiennent désormais les arguments des collectifs et citoyens qui s’opposent aux projets inutiles. Unibail (le promoteur NDLR) et ses amis doivent comprendre que les citoyens ont définitivement une longueur d’avance dans la prise de conscience des enjeux de notre époque ! », prévient le collectif. Pour l’heure, Unibail a fait appel.
À Carcassonne, Rocadest s’impose sans entrave
À la différence de Val Tolosa, le bras de fer qui opposait les citoyens et les petits commerçants aux projets Rocadest n’a pas provoqué sa chute. En 2022, la capitale audoise comptera donc une nouvelle structure commerciale XXL située à quelques encablures du centre commercial Cité 2, tombé en désuétude et voué à la friche… Une situation à l’exact opposé des recommandations du projet de loi Climat et résilience en somme, mais à laquelle les municipalités de gauche et de droite ne se sont jamais opposées ces dix dernières années. Aujourd’hui, malgré les retards provoqués par les multiples recours, le chantier de Rocadest a atteint son rythme de croisière. D’ici une année, le nouveau centre commercial s’étendra sur 27 000 m2, et regroupera un hypermarché, une galerie, et un ensemble de boutiques à ciel ouvert, sur une emprise totale de 40 000 m2.
À Balaruc, l’espoir renaît
Dans l’Hé́rault, la communauté d’agglomération Sète Agglopôle Mé́diterranée vient à peine de boucler la commission d’enquête publique sur le projet de requalification et d’extension de la zone commerciale de Balaruc. Un avis favorable a été rendu ce printemps qui, sur le papier, permet de bâtir sur une superficie de 144 000 m2 d’espaces naturels et agricoles. Situé́ entre le massif de la Gardiole, classé au titre de sa valeur paysagè̀re, et l’étang de Thau, classé Natura 2000, le site abrite notamment deux espèces protégées : le lézard ocellé et la bugrane sans épines. À̀ cheval sur les communes très touristiques de Balaruc-le-Vieux et de Balaruc-les-Bains, le projet dit saisir l’opportunité du doublement de la route départementale RD600 et de la requalification de la RD2, pour résoudre un problème d’évasion commerciale sur Montpellier. Rocade, centre commercial, un couple redoutable depuis des décennies.
Pourtant, « avec la crise du Covid notamment, les habitudes de consommation ont changé », dit-on à Sète Agglopôle. À la faveur du nouveau contexte politique et sanitaire, le projet sera prochainement « réinterrogé ». La prise de conscience de l’opinion sur l’urgence écologique semble ne plus échapper aux élus. Il serait désormais « acté de revoir le projet à la baisse et de le cantonner sur des surfaces déjà artificialisées. » Une potentielle bonne nouvelle pour les collectifs d’opposants qui, à la veille des élections municipales, ont obtenu de trois maires concernés, Michel Arrouy, maire de Frontignan, Georges Canovas, maire de Balaruc-les-Bains, et François Commeihnes, président de Sète Agglopole, qu’ils s’engagent « à mettre fin au développement de grandes surfaces commerciales sur le territoire. » Des problèmes de partitions foncières resteraient certes à résoudre, liés notamment à la requalification des accès, mais on serait sur la bonne voie. Et pas une rocade, donc ?
Amazon : un entrepôt géant à Fournès
Le 30 janvier dernier, près de 1 000 personnes se sont réunies à Fournès, dans le Gard, pour s’opposer à l’implantation future du géant du e-commerce. Rebelote le 29 mai. Situé à deux pas de l’autoroute A9 et du célèbre Pont-du-Gard, ce projet de hangar XXL, censé s’étaler sur 38 800 m2, a été imaginé pour desservir tout le sud de la France. Sur le papier, les dimensions sont gargantuesques : non seulement celui-ci devrait culminer à 18 mètres de haut, mais il provoquera un va-et-vient quotidien de 600 poids lourds et 1 200 voitures, 7 jours sur 7. Soutenue par les associations Adere, Prima Vera, ANV Cop 21 ou encore Attac, la contestation a permis de cumuler treize recours contre le permis de construire, ainsi que deux signalements pour conflit d’intérêts. Néanmoins, le projet de loi pour le climat, actuellement en route pour le Sénat, ne prévoit aucune mesure pour freiner les gros bonnets du e-commerce malgré une artificialisation des sols importante, et la destruction de vignes classées en AOC Côtes-du-Rhône. Pour mémoire, contrairement aux grands centres commerciaux, le moratoire sur l’implantation d’entrepôts logistiques exigé par la convention citoyenne pour le climat a été retoqué à plusieurs reprises devant l’Assemblée nationale.
Interview de Franck Gintrand, auteur de l’essai « Le jour où les zones commerciales auront dévoré nos villes »
Le modèle économique des zones commerciales est sérieusement mis à mal par cette loi ?
Ces zones commerciales de périphéries voient aujourd’hui clairement un frein important à leur developpement. C’est en effet tout leur modèle économique qui est remis en cause. Il reposait avant tout sur le foncier agricole pas cher : la ville achetait 1 € à l’agriculteur, le revendait 100 € à la foncière type Frey, et Frey valorisait à 1 000 € une fois son retail park terminé. Ce modèle est aujourd’hui directement menacé par la loi.
Les promoteurs de ces zones commerciales justifient parfois leur extension par le fait qu’elles financent ainsi leur transition écologique. Qu’en pensez-vous ?
La loi tranche le débat. Aujourd’hui, les promoteurs ne pourront plus justifier d’artificialiser du foncier au motif de mettre des panneaux solaires ou planter des arbres. Clairement, cet argument ne tient pas la route. La première transition écolo, c’est d’éviter d’artificialiser. C’est la réponse du législateur. Au moins la réponse a le mérite d’être claire.
Désormais la seule façon qu’auront ces centres commerciaux de se développer sera de se densifier sur place ?
Effectivement. Comme ils ne pourront plus s’étendre sur de la terre agricole, la logique pourrait consister à densifier. C’est une hypothèse. Mais elle n’est absolument pas certaine car, aujourd’hui, on a un excédent de stock en m2 de commerce sur un certain nombre de départements. L’Hérault est dans cette situation. La progression du nombre de m2 est plus forte que la progression de la population. En fait, il y aura un écrémage par le vide des zones les moins pertinentes.
Ça risque d’amener à la faillite certaines d’entre elles, à la création des friches commerciales qu’il faudra requalifier ?
Oui. c’est quasi inévitable. Sachant que le terme de friche commerciale est un terme un peu faux puisqu’une zone commerciale ne meurt jamais complètement. Et c’est bien le problème. En réalité, il reste toujours des magasins qui ne ferment pas et, sauf à avoir un propriétaire unique qui décide de plier bagage – un cas de figure peu fréquent –, vous avez de très grandes difficultés à reconvertir ces friches pour la simple et bonne raison qu’il y a une multitude d’interlocuteurs. Certains veulent vendre et d’autres pas. Requalifier peut prendre des années, sachant que les zones connaissent des cycles qui donnent le sentiment qu’elles déclinent, puis il y a une reprise économique, et des cellules rouvrent. C’est très compliqué.
C’est pourtant ce qu’a tenté Ode à la mer, sur Montpellier, aujourd’hui arrêté.
Ce projet n’avait des chances de réussir que parce qu’il y avait la puissance publique derrière. S’il n’y avait eu qu’un promoteur face à des commerçants, clairement il ne s’en serait jamais sorti. Là, effectivement, il y avait une volonté politique, celle de la métropole, et ça simplifiait considérablement les tractations. Mais dans le cas présent, le débat repose moins sur la possibilité de reconvertir une zone que sur la pertinence d’en créer une nouvelle, alors même que vous avez déjà un mastodonte, Odysseum, qui constitue une concurrence forte pour le centre-ville de Montpellier. Y rajouter 60 000 m2 comme c’était prévu, c’était déséquilibrer complètement le paysage commercial.
C’est en effet là que le bât a blessé. Là encore, pour justifier cette transition écologique, il fallait augmenter la surface commerciale. Les opérateurs ont-ils été trop gourmands ?
Ce n’était rentable pour eux que s’ils augmentaient le nombre de m2. À chaque fois, le même problème. On ne modernise une zone commerciale qu’en augmentant la surface. C’est le principe du modèle économique, ce n’est pas une question de gourmandise mais d’équilibre de l’opération.
Le modèle économique de Polygone (Montpellier, Béziers) n’est-il finalement pas meilleur ? Il y a un propriétaire, en centre-ville, sous forme de rue… ?
Oui, des centres commerciaux de centre-ville, vous en avez dans toutes les grandes villes et, clairement, ce sont des atouts, des locomotives. Les villes qui souffrent aujourd’hui sont des villes qui ne disposent pas de centres commerciaux de centre-ville ou qui ont vu partir les Galeries Lafayette. Ces centres de villes moyennes n’ont plus de locomotives qui leur permettent d’affronter la concurrence de la périphérie.
Le modèle Amazon est aussi montré du doigt…
Amazon, c’est rien en termes de surface : c’est 1 million de m2 à tout casser aujourd’hui en France, là où ce chiffre représente plutôt la progression sur une seule année pour les zones commerciales. On n’est pas du tout dans le même ordre d’idée.
Le problème, ce sont surtout les drives ?
Aujourd’hui, ce qui génère de la pollution, des bouchons, ce sont toutes les zones de périphérie dont le modèle repose sur la voiture et des parkings gigantesques. C’est avec ça qu’il faut arriver à rompre. Mais que vous fassiez vos courses dans l’hypermarché ou que vous vous contentiez d’aller les prendre au drive, la mécanique est la même, vous prenez votre voiture dans les deux cas.
Pour les maires qui ont planifié des zones commerciales ou des extensions, cela ne va-t-il pas être politiquement compliqué de les mener à terme ?
Non, car il n’y a pas de rétroactivité de la loi et ils n’ont pas le choix. L’exemple du maire de Valbone, écologiste, qui s’est fait élire contre le projet sur Sophia Antipolis doit aujourd’hui l’accepter, après avoir certes négocié une diminution du nombre de m2, sans quoi le promoteur le menace d’exiger une indemnisation de plusieurs millions. Ces millions-là, une petite ville comme Valbone ne les a pas.
À Montpellier, Ode à la mer a été arrêté pourtant.
Là, c’est différent parce qu’il y a une clause de revoyure. Pour Frey, ça va être sans doute un peu plus compliqué d’obtenir une indemnisation élevée. Mais il n’en reste pas moins que tous les projets qui étaient dans les tuyaux – et que tous les élus vont s’efforcer de faire annuler – feront l’objet de recours pour obtenir des indemnisations à la hauteur de la perte que le promoteur estime avoir subi.
Et Val Tolosa ?
Val tolosa est un projet absurde au regard du métier d’Unibail qui est spécialisé dans les centres commerciaux de centre-ville. Il était dans le portefeuille de la société qu’ils ont rachetée, mais ce n’est pas du tout le métier d’Unibail de faire du retail park. Le projet est sur le fil et il pourrait effectivement faire l’objet d’un abandon de la part de Unibail qui a d’autres soucis aujourd’hui.
Propos recueillis par Fabrice Massé
En Occitanie, 9 centres commerciaux parmi les 100 plus vastes de France
D’après le classement du magazine LSA, neuf centres commerciaux d’Occitanie figurent parmi les 100 plus grands de France en termes de superficie. Répartis entre la 16e et la 85e place, et datés des années 60 pour les plus anciens, ils sont les têtes de proue du monde d’avant. Mais a priori, jamais plus de tels projets ne sortiront de terre…
• 16e : Créée en 1978 par le groupe Mercialys, la Galerie Espace Fenouillet (31) près de Toulouse, compte 87 000 m2 et 130 boutiques.
• 22e : En 1993, le groupe Klépierre inaugurait les 120 boutiques du centre commercial de Blagnac (31), sur une superficie de 72 878 m2.
• 23e : C’est encore Klépierre qui est à la manœuvre lors de la fondation d’Odysseum (34), à Montpellier, en 2009. Le centre commercial à ciel ouvert regroupe 125 boutiques sur 72 324 m2.
• 39e : À Grand Portet, à Portet-sur-Garonne (31), les chalands peuvent écumer 86 enseignes sur 60 709 m2. Un espace signé Klépierre, et daté de 1972.
• 67e : Créé deux ans plus tard, en 1974, le centre commercial de Roques (31) dénombre 120 boutiques pour 53 194 m2.
• 69e : Mêmes proportions pour l’Espace Grammont, à Toulouse (31), avec ses 52 000 m2 et ses 100 boutiques, créées en 1969 par Altareacogedim.
• 78e : En 2003, les 80 magasins de Cap Costière (30), étendus sur 45 600 m2, ouvraient leurs portes à Nîmes, dans le Gard.
• 83e : Seul dans cette liste à être implanté en centre-ville, le Polygone de Montpellier a été créé par le groupe Socri en 1975 sur une surface de 42 000 m2. Le centre commercial abrite 120 boutiques au total. Il est plébiscité par les autres commerçants du centre-ville qu’il aide à concurrencer Odysseum.
• 85e : L’espace Carré d’or Château Roussillon, à Perpignan (66) est quant à lui bien plus récent. Réparties sur 45 000 m2, ses 30 boutiques ne sont sorties de terre qu’en 2015.
Légendes photos :
À Balaruc, dans l’Hérault, un projet de centre commercial menace ces prairies. Situées au pied du massif de la Gardiole, sur les rives de l’étang de Thau, elles abritent une biodiversité
remarquable, dont le lézard ocellé et la bugrane sans épines, des espèces protégées. © FM-artdeville
Sur les anciens courts de tennis de Balaruc-le-vieux, où l’extension du centre commercial est prévue, la nature reprend provisoirement ses droits.
© FM-artdeville
En imperméabilisant les sols, le centre commercial a occasionné par le passé d’importantes inondations dans le village de Balaruc-le-Vieux. Un problème a priori résolu aujourd’hui.
© FM-artdeville
Sur ce délaissé du centre commercial de Balaruc, où vivent la bugrane sans épines et le lézard ocellé, l’Autorité environnementale pointe un «manque de description des caractéristiques du projet» d’extension du centre, qui « ne permet pas d’évaluer correctement ses impacts et de définir précisément les mesures appropriées » à la préservation de ces espèces.
© FM-artdeville
Chocoscape
Sous l’œil malicieux du duo artistique Microclimax, l’espace foncier devient une gourmandise en chocolat, offerte à l’appétit de tous. Intitulée Chocoscape, la série d’œuvres « croque » ainsi 4 sites de l’agglomération sétoise : un échangeur routier, une zone conchylicole, un lotissement et, ici, la zone commerciale de Balaruc.
© Courtoisie Microclimax
« Dans quel monde vivons-nous ? »
L’artiste sétois Frédéric Périmon propose sa « grille de lecture » au Festival d’Aurillac 2010 dans le volet Art performance de la programmation officielle.
Cinq bannières monumentales d’une esthétique totalitaire et siglées d’un inoffensif logo de la grande distribution, campent un décor entre la quinzaine commerciale et la visite officielle d’un dictateur. Parmi la foule, l’artiste s’est mué en animateur de supermarché et psalmodie le texte intégral d’un prospectus promotionnel tiré d’une boîte à lettres quelques jours auparavant. À son bras, un inquiétant brassard dans la même esthétique totalitaire.
Une exposition des bannières a également été présentée au carré St-Anne de Montpellier sous le titre « Dans quel monde vivons-nous ? » © DR
Le livre de Franck Gintrand, Le jour où les surfaces commerciales auront dévoré nos villes, Thierry Souccar éditions, 2018.