L’art de la tchatche est un pilier du patrimoine toulousain. Dans cette ville multiculturelle influencée par l’immigration espagnole et nord-africaine, forgée par l’esprit rebelle de son histoire cathare et adoucie par sa « convivencia »*, la poésie en langue d’oc est un mème comme le rose la couleur de ses rues. Au début du 17e siècle, Pierre Goudouli fut l’un des plus grands poètes occitans d’Europe ; le jardin de la place Wilson porte son nom et la sculpture du bassin lui rend hommage. Mais la poésie chantée en langue d’oc dépasse les frontières de l’Hexagone dès le Moyen Âge, et jusqu’en Amérique latine. Au 14e siècle, à Toulouse, les Jeux floraux sont un concours de poésie très en vue. L’occitan passant au rang de langue secondaire en France et il faut attendre les Fabulous Trobadors pour lui redonner de son aura internationale. « Je ne trouvais rien pour m’éclater musicalement », raconte Claude Sicre cofondateur du groupe, « alors j’ai cherché du côté des joutes poétiques. Je me suis mis au tambourin du nord du Brésil et j’ai récupéré des refrains en occitan. Ange B [autre cofondateur du groupe] a apporté la modernité avec le beatbox ». Aujourd’hui, Claude Sicre est « exilé » dans le Tarn-et-Garonne, mais reste à la tête de deux associations culturelles d’Arnaud Bernard, le quartier de Toulouse devenu mythique où le groupe est né en 1988.
Dans leur sillon, les Fabulous Trobadors ont entraîné les Femmouzes T (de « famous trobairitz », qui signifie « les femmes troubadours célèbres »), des slameurs et les premiers rappeurs en langue arabe au début des années 1990, dont Chiko. À cette époque, Chiko rappe sur sa clandestinité et le passé colonial de l’Algérie. « Personne ne me prenait au sérieux sauf Bernard Lubat et les Fabulous Trobadors. » L’artiste fréquente Zebda, le Takticollectif et les rappeurs de KDD, mais aussi le poète Serge Pey (lire interview). Aujourd’hui, il participe aux scènes ouvertes de la Kasbah le lundi, les bals festifs sur des musiques algéroises du restaurant de la place Arnaud Bernard. Autour de cette place, la convivencia se vit aujourd’hui dans les cafés associatifs : contes et chansons Chez ta mère, scènes ouvertes également à Maison blanche…

Tchatche party
L’esprit des troubadours se cultive aussi chez le musicien de 32 ans Manu Galure, qui a entamé en septembre une tournée à pied de deux ans et demi, sa guitare en bandoulière, pour jouer chez l’habitant, dans une prison, une usine ou un collège, tel un « troubadour vagabond ».
Côté slam, les scènes sont certes moins nombreuses qu’il y a dix ans, mais Captain Slam, Saïd Nifeur, Rajel, SebSeb et Mine2rien restent des références. Le collectif l’École du magret d’argent organise des scènes ouvertes au Caméléon, au Manding’art, au Boudu Pont. Chris Taal gravite elle aussi dans ce milieu, et nourrit, dans son deuxième album « Êtres », une poésie humaniste, un brin mystique. « Les mots me viennent parfois en messages cachés, comme la langue des oiseaux des troubadours. »
Ange B et Rita Macedo des Femmouzes T ont fondé un groupe de chant et beatbox, mêlant tradition brésilienne, occitan et français. « Avec Marseille, qui a eu Massilia Sound System et I Am, Toulouse est la seule ville à avoir réussi à s’affirmer musicalement en dehors de Paris », estime l’ancien des Fabulous Trobadors, qui organisait des « tchatche party » sur radio FMR dans les années 1990. Aujourd’hui, les rappeurs BigFlo et Oli arborent également sans pudeur leur accent toulousain. Les talentueux frangins de 24 et 21 ans, qui ont grandi dans le quartier des Minimes, ont décroché un double disque de platine avec leur deuxième album « La vraie vie ». En août dernier, ils se sont offert le luxe de détrôner Eminem sur le podium du rap le plus rapide, en 7,2 mots à la seconde ! Une vidéo qui fait encore le buzz.

Significatif enfin, le compositeur et interprète néerlandais Dick Annegarn a élu domicile dans le piémont pyrénéen pour « se rapprocher, dit-il, de la tradition occitane portée par Nougaro, les Fabulous Trobadors, et Zebda ». Après avoir fondé Les Amis du verbe qui organisent depuis quinze ans des joutes verbales à Toulouse de mai à octobre, il a ouvert en septembre 2016 une « Verbothèque » à Saint-Martory dans de vieux murs de pierre qu’il a retapés. 700 ouvrages de littérature orale y sont consultables : des joutes sardes à la poésie de Raymond Queneau, en passant par les polyphonies corses, les poèmes de la dynastie Tang, la transe berbère, les chants populaires du Languedoc… « Comme les Occitans, je considère la parole comme sacrée. »
* Mot occitan signifiant « vivre ensemble » et renvoyant à la tolérance, un art de la convivialité.