Quelques jours avant les consignes de confinement, Christophe Héral confiait ne pas avoir le temps de procrastiner. Depuis, le compositeur montpelliérain, pourtant habitué à travailler chez lui, avoue que si les impératifs de santé publique n’ont pas fondamentalement changé sa façon de travailler, il ne compose plus de manière aussi intense. « Je consacre plus de temps à l’apprentissage du violoncelle, à la lecture, à cultiver mon jardin secret. C’est un peu comme si certaines choses avaient moins d’importance par rapport à ce que nous vivons, comme s’il flottait un parfum de dérisoire… Ce confinement ne nous permet-il pas de nous recentrer sur le sens que l’on tente de donner à notre existence ? Je regrette seulement que les réunions avec l’équipe d’Ubisoft se fassent désormais par messagerie, voire par Skype. J’ai parfois l’impression d’être plongé en retraite dans un monastère cérébral. »

3 ans pour un film de 3 mn
Biberonné mélodiquement par ses deux grands-pères, l’un baryton et l’autre joueur de mandoline, Christophe Héral ne cesse d’explorer les infinis possibles de la musique, du son. Jeune déjà, après un essai peu convaincant au piano « méthode Rose, à la règle », il s’entraînait à faire des accords barrés sur la guitare de son frère avant de prendre des cours. Tout en apprenant l’harmonie et le contrepoint. « Il fallait que j’appréhende la musique de manière horizontale et verticale, que je comprenne les lois mais aussi les codes à transgresser. » Tout est presque dit… Une tournée avec un chanteur occitan, des habillages sonores pour des émissions de radio, un taf déterminant au studio VAL (Vidéo Association du Languedoc) avec découverte des prises Midi et du DX7, l’un des premiers samplers. Puis la rencontre avec Paul Coudsi et Federico Vitali, deux réalisateurs de films d’animation. « J’ai pris ma voiture direction Saint-Laurent-le-Minier où il y avait la Fabrique, dirigée par Jean-François Laguionie. Je ne connaissais rien aux films d’animation, j’ai découvert une famille capable de travailler 3 ans sur un film de 3 mn… À des années-lumière du productivisme ! » souligne Christophe Héral. Recruté comme sound designer sur L’île de Black Mór (2004), il compose une partition superbe pour ce récit contant les aventures d’un gamin en quête d’identité. « Jean-François m’a expliqué les grands axes tout en me laissant énormément de liberté. Je suis parti sur une thématique rythmique évocatrice des états d’âme adolescents. Une musique intime composée pour violoncelle solo, quatuor et piano avec un petit orchestre de cordes ». Quinze ans plus tard et pléthore de compositions pour de longs ou courts métrages d’animation (Kerity, la maison des contes, La queue de la souris, Peripheria…), Christophe Héral retrouve Laguionie pour le Voyage du Prince (2009). Là encore, la complicité opère, avec l’écriture d’une partition décalée pour les 75 musiciens de l’Orchestre national d’Île-de-France. « Jean-François est très mélomane et je comprends où il veut aller. Avec le coréalisateur Xavier Picard, nous avons énormément travaillé sur le sens et la place de la musique dans le film. »

Un soundtrack historique
Alors que la frontière entre le cinéma d’animation et le jeu vidéo n’a jamais été aussi perméable, Christophe Héral navigue avec aisance entre les deux univers. À la fin des années 90, son approche musicale singulière, créatrice, onirique, ainsi que sa maîtrise des technologies séduisent Michel Ancel, le père de Rayman, jeu vidéo célébrissime de la société Ubisoft. « Pour son nouveau jeu vidéo Beyond Good and Evil, Michel cherchait un œil candide, un compositeur qui venait de la narration linéaire ; il était très intéressé par le fait que j’aie fait du documentaire, une très bonne école soit dit en passant », raconte Christophe Héral. Pour ce jeu mettant en scène une jeune femme en prise avec une entité tyrannique, il signe une composition fascinante imprégnée de multiples influences – reggae, rap, funky, gipsy… mêlant sonorités orchestrales et électroniques. Le jeu sera multiprimé et le soundtrack « home sweet home » est encore aujourd’hui considéré comme l’un des plus beaux thèmes de l’histoire de la musique du jeu vidéo. Repéré par Steven Spielger, Christophe Héral récidivera ses prouesses musicales avec l’adaptation vidéo ludique de Tintin et le secret de la licorne, puis avec Rayman Origins et Rayman Legends. Depuis, il travaille sur Beyond Good and Devil 2. « La technologie ne cesse de se surpasser, cela permet d’être plus souple dans l’écriture, de prendre le temps de travailler la texture. » Dans son studio envahi par des instruments rapportés de ses voyages (flûte, guimbarde, ukulélé, t’rung, saz…), ce fasciné de sonorités expérimente. « Je viens de recevoir un violoncelle électrique Yamaha avec lequel je vais m’efforcer de bidouiller », dit-il. Difficile de faire plus modeste !