
Bijou d’animation aux couleurs fluo pop très eighties, signé Loïc Espluche, Beurk ! a remporté le César du court-métrage 2025 ; il était également nominé aux Oscars. Deux ans auparavant, 27, réalisé par la Hongroise Flora Anna Buda, était reparti avec la Palme d’Or. Le lien entre les deux : Miyu, une maison de distribution qui ne cesse d’accumuler les prix. Rencontre avec Luce Grosjean, cofondatrice ultra-inspirée de la société montpelliéraine.
Comment en êtes-vous arrivée à cofonder et diriger une société de distribution qui domine aujourd’hui le marché mondial de l’animation ?
Par hasard. Je rêvais de travailler dans la fabrication de films, j’ai donc fait une licence gestion de la production audiovisuelle aux Gobelins (Paris), puis je suis entrée en alternance chez TeamTo. Mais cette expérience en studio de production ne m’a pas du tout convaincue. C’était trop industriel alors que, ce qui me plaisait, c’était de voir des films d’art et d’essai. J’ai ensuite travaillé à un poste de coordination au sein de l’AFA (association française de cinéma d’animation) et du REKA (réseau des écoles de cinéma d’animation) où j’ai découvert l’animation avec une vraie vision artistique. En parallèle, j’ai donc commencé à distribuer des courts-métrages étudiants en freelance, pour les Gobelins, Artfx (école Montpellier) et j’ai créé Sève Films. En production, j’ai lancé mon premier court-métrage qui a fait un flop, alors j’ai décidé de me recentrer sur la distribution, ce qui me permet au final d’assouvir mon envie d’être très créative pour accompagner au mieux les artistes dans le développement de leurs œuvres.

Quels blocages avez-vous rencontrés dans le domaine de la production ?
Le temps de production d’un film d’animation est très long et induit un coût supérieur aux films en prises de vues réelles. Cela demande de la préparation, de nombreuses lectures et relectures du scénario, puis la mise en place d’un budget. Je n’étais douée pour aucun de ces critères (rires). J’ai bien tenté de produire de jeunes réalisatrices, mais il est très difficile de mettre en confiance les partenaires financiers lorsque vous n’êtes pas connue dans le métier.
Emmanuel Alain-Reynal, le fondateur de Miyu Productions, studio à la réputation d’orfèvre, vous a alors contactée…
Ce fut la bascule. J’étais installée à Montpellier, lui à Paris ou en Charente, et il souhaitait ouvrir un département distribution. Il m’a proposé de nous associer et nous avons créé, en 2017, Miyu Distribution.
Vous avez évoqué la créativité du métier. À quel niveau s’exerce-t-elle ?
J’ai toujours souhaité être aussi créative que peut l’être une productrice, mais au lieu d’être dans « l’accouchement » de l’œuvre, il s’agit là de la vendre au mieux en restant en adéquation avec la vision des artistes. D’une certaine manière, cela ressemble à du lobby : trouver les bons mots, proposer un concept marketing qui prolonge l’expérience du film, créer du contenu intéressant sur les réseaux… Pour 27, par exemple, nous avions créé des pins. Pour Elektra, film assez dur sur l’inceste, nous avons imaginé un photobooth et des kakemonos pour apporter une forme de légèreté, emmener le public plus loin dans ses émotions.

Depuis 2017, vous avez récolté une foison de prix…
Tout a même démarré en 2016 avec Garden Party puis Negative Space. Les deux courts étaient très différents – le premier plein d’humour réalisé en 3D par le studio montpelliérain Illogic et le second très poétique, en 2D avec une réalisation américaine – mais ont été sélectionnés ensemble aux Oscars. Cela nous a propulsés sur la scène internationale. À ce jour, nous en sommes à notre 10e nomination aux Oscars, nous accompagnons 35 courts-métrages et deux longs par an.
Comment se porte le secteur du court-métrage ? Est-il dynamique ?
Oui, depuis cinq ans, tout s’est accéléré. Nous recevons entre trois et dix films par semaine à visionner. Des pays comme le Mexique se révèlent être des foyers de création incroyables. L’évolution de la technologie a beaucoup aidé, même si cela pose des questionnements autour de l’IA. La France reste le pays qui coproduit le plus d’œuvres à l’international, en court ou long-métrage.
Quelles raisons vous conduisent aujourd’hui à aller sur des formats longs ?
La filière du court est très belle, les œuvres sont sublimes mais financièrement cela reste compliqué. Le passage au long nous permet de nous développer sur d’autres compétences, d’explorer de nouveaux univers, de générer des recettes plus importantes. Tout en restant sur notre ligne, entre artistique et commercial. J’ai cette possibilité de travailler avec des œuvres diverses capables de séduire aussi bien mes parents que des cinéphiles plus pointus.
Avez-vous des regrets de ne pas avoir fait carrière dans la production ?
J’adore mon métier. Je voyage, mon travail a un côté très sociologique et j’ai une foi immense envers les artistes. Je ne retournerai jamais en prod. À 36 ans, j’ai plein de plans B et, si un jour il devait y avoir un effondrement écologique, je deviendrai conteuse de films disparus.