Quinze ans de métier et, depuis près de vingt-sept mois, sur les routes de l’Hexagone. Après des dizaines de milliers de kilomètres et un millier de concerts, Manu Galure revient chez lui, à Toulouse, sac au dos et chaussettes aux pieds, précisément là où ce natif de la ville rose a démarré ce qu’il nomme son « compagnonnage ». C’était un soir d’équinoxe d’automne 2017. La boucle presque bouclée, le trentenaire effectue un dernier zigzag en direction de Brive-la-Gaillarde, en Corrèze. Il est sur le point de réaliser un projet qui lui trotte dans la tête depuis dix ans : reprendre l’étendard des troubadours pour fabriquer des images qu’il dépose et partage depuis le 22 septembre 2017, à l’instar d’un artisan qui se met à l’ouvrage pour éprouver son métier chaque jour. À artdeville, il livre sa condition d’artiste itinérant et d’activiste de la scène sous un gros nuage gris des Causses du Quercy, à Saint-Jean-Lagineste dans le Lot.

Quel est le quotidien d’un troubadour à l’heure du 2.0 et des réseaux sociaux ?
Celui que j’avais en tête lorsque j’ai fait ce pari d’une tournée à pied et en chansons, un projet vieux de dix ans : aller chanter partout et n’importe où mes chansons pour dire les histoires que je croise et les imaginaires qui m’inspirent au gré de mes promenades. Je me suis beaucoup renseigné sur les troubadours, un mouvement littéraire né en Occitanie voilà mille ans ; les premiers auteurs en langue vulgaire et les premiers à faire de la chanson française. Je me suis nourri de textes anciens, rédigés en occitan, et ça fait lien avec ce qui définit ma condition d’artiste : inventer chaque jour un spectacle, au hasard des chemins et du temps, pour continuer à apprendre pas après pas mon métier d’auteur-compositeur-interprète.

Concrètement, ça donne quoi ?
Un mélange très chouette de routine et d’imprévus. Un contraste, aussi, de solitude et de partage ; un truc dont j’avais envie par ailleurs. J’arrive avec mon bardage vers midi, après avoir marché pendant quatre heures le matin. Vient ensuite le temps d’un repas partagé avec celles et ceux qui m’accueillent, avant une sieste. Puis vient le soir et le spectacle, toujours singulier et particulier : le piano que je demande n’est jamais le même, pareil pour le lieu et les gens qui me reçoivent. J’ai joué dans des salles de spectacle bien sûr, aussi dans des librairies, chez un fleuriste, sur une péniche, dans une prison, un hôpital psychiatrique, un EHPAD, des bistrots, des granges, des écoles… Je suis parti rempli d’envies, avec cette intuition que les gens viendraient par curiosité. Celle-là s’est vérifiée et j’en suis content. Cette rencontre de deux désirs, le mien et celui d’un public, c’est une jolie histoire.
Est-ce à dire que vous êtes parti sur un coup de tête ?
Non, ça ne le pouvait pas et ça ne le pourrait pas. Une tournée, même à pied, ça ne s’improvise pas. Le travail à fournir est dense et intense si l’on veut que ça fonctionne. Voilà pourquoi je préfère parler d’un pari, celui de jouer énormément jusqu’à cinq ou six concerts par semaine ; sachant que je n’étais pas certain de le réussir. Je ne débarque donc pas toujours par hasard. La tournée a été préparée pendant deux années avant son démarrage ; avec un itinéraire général, qui sillonne le pays dans le sens des aiguilles d’une montre. Puis s’ajoutent des escales, au gré des propositions. Certaines dates et certains lieux sont connus au moins trois mois à l’avance, mais les conditions de la tournée laissent aussi la porte ouverte à l’aventure.
Comment avez-vous trouvé le pays, les gens, tandis que la France se donne à voir sur les ronds-points depuis un an ?
Des gilets jaunes, j’en ai croisés ; même si je retiens surtout avoir croisé le chemin de gens qui essaient d’inventer, chacun à leur façon, une manière de recréer le lien social. Je suis touché que ma tournée à pied puisse porter cela, permettre à celles et ceux qui m’accueillent de trouver dans mes textes et mes compositions un miroir aux causes qu’ils défendent et aux injustices qu’ils dénoncent ; le reflet d’eux-mêmes en quelque sorte. Tout cela me traverse, jusqu’à se retrouver dans mes chansons, même si mon objectif originel demeure plus simple : raconter une histoire en chantant mes chansons et en marchant. Je me définis avant tout comme un artisan, un compagnon de la chanson : je fabrique des images qui, in fine, ne m’appartiennent plus et c’est tant mieux.
Vous jouez sur les mots : artiste, artisan. Lequel des deux êtes-vous ?
(Rires) Ça, c’est une question philosophique complexe ! Je ne sais pas encore moi-même de quel côté je balance. En fait, tout dépend comment chacun définit la nature et la fonction de l’artiste. Si l’artiste est entendu comme un génie guidé par l’inspiration, alors je me situe clairement dans le camp des artisans, du savoir-faire. Cette condition d’artiste telle qu’elle me définit requiert beaucoup d’engagement, de travail aussi. Mais la comparaison avec le compagnonnage me plaît. Elle sous-tend la tournée à pied que j’ai entrepris, un peu comme un tour de France. Je continue d’apprendre mon métier et j’ai le sentiment, après deux années à jouer chaque jour, que je fais différemment plein de choses. Je les réapprends aussi parce que je les avais oubliées. Je suis surpris à nouveau. C’est déroutant et très chouette en même temps.
Vos carnets de route en chansons sont-ils disponibles ou s’inscrivent-ils dans l’éphémère des concerts ?
Ils sont disponibles, soit en écoute soit en achat libre sur mon site. Je livre quatre carnets de bord de manière brute, enregistrés sur la route, à chaque changement de saison depuis le début de ma tournée. Le dernier viendra logiquement avec le solstice d’hiver, le 22 décembre. La recette permettra de financer l’enregistrement studio du prochain album et la tournée suivante, déjà en préparation ; ce qui revient à salarier dignement toutes les personnes qui travaillent sur ce projet, affranchi de toute maison de disques et porté par Le Cachalot Mécanique.

Biographie en 7 temps

8 février 1985, naissance civile à Toulouse
2004, naissance artistique avec le groupe Les P’tits T’Hommes à Toulouse
2006, début de carrière solo
2016, finaliste, à la 3e place, de la saison 12 de Nouvelle Star, sur la chaîne D8
2017, création du Cachalot Mécanique, sa propre structure de production et de diffusion
22 sept. 2017, départ du tour de France à Toulouse
21 déc. 2019, clôture du tour de France à Toulouse

www.manugalure.com
Au Sorano, le 21/12 – 11 €/22 €, theatre-sorano.fr