« Mat ? Il doit être en bas… » Le Théâtre de la Cité, à Toulouse, grouille au petit jour ce 26 mars. Tandis que les vitres et les murs affichent les revendications, le hall voit le réveil de la troupe que la direction accueille entre ses murs depuis le 11 mars. Fruit d’une convergence des revendications portées par la CIP Midi-Pyrénées (Coordination des intermittents et précaires), le SAM-MIP (Syndicat des artistes musiciens Midi-Pyrénées – CGT Spectacle), Sud Culture 31 et le collectif Aux Arts Etc., l’occupation s’inscrit dans le sillage du mouvement initié le 4 mars au Théâtre de l’Odéon, à Paris. Toulouse donc, mais aussi Montpellier, Perpignan, Sète, Mende, Albi, Auch, Nîmes, Alès, Millau, Narbonne… Les bastions se multiplient, une vingtaine en Occitanie, avec l’entrée en scène de nouveaux rôles rassemblés sous la bannière des précarisés de la Covid.

Quelque chose se prépare…
« Afin de faire entendre les revendications du secteur culturel, le Théâtre de la Cité reste mobilisé et est occupé à son tour (…), explique la direction du Centre dramatique national de la Ville rose, dans un communiqué publié le 11 mars. Cette lutte nous concerne tout.e.s, elle nous est commune, nous sommes donc ensemble dans le dialogue et l’action pour obtenir des réponses et des droits. » Ce matin-là du 26 mars, l’action prévaut ; portée par Aux Arts Etc. qui fédère des artistes, professionnels et amateurs, pour « amener le sensible sur le terrain du politique », précise Mat pour le collectif. Une opération coup de poing intitulée « J’aurais voulu être un artiste Acte II » et un format : un film, « La Cour des Miracles 2.0 », dont une séquence sous-titrée « La Colère » est tournée à l’agence Pôle Emploi, dans le quartier Saint-Michel à Toulouse. « Le collectif ne se positionne pas seulement sur la réouverture des lieux culturels, mais davantage pour le retrait de la réforme de l’assurance chômage, explique le compositeur et musicien. Parce que l’on dresse le constat d’une ultraprécarité généralisée. »

« Ce que nous défendons, nous le défendons pour toutes et tous »
La question sociale devient centrale et Toulouse ne fait pas exception. En Occitanie, théâtres et salles de concert deviennent des agoras où se rencontrent artistes et professions, privés d’emploi et salariés, étudiants et retraités que les directions accompagnent. Leur point commun ? Refuser la précarisation que la pandémie et les choix politiques qui l’accompagnent contribuent à installer ; notamment le maintien des réformes telles que celles de l’assurance chômage et des retraites qui risque de supprimer l’aide sociale aux plus précaires, dans la culture et ailleurs. « Près d’un million de personnes va basculer en France, appuie Gérald Gimenez pour la SAM-MIP. Beaucoup sont déjà sans droit ou voient leurs droits très amputés. Plus que la réouverture des lieux de spectacle, qui impacte les seuls travailleurs de la culture, c’est la prolongation des droits pour tous les intermittents de l’emploi, tout secteur confondu, et l’arrêt de la réforme de l’assurance chômage que nous revendiquons. »

Un mur de silences
La culture et la société font résidence dans les lieux de spectacle vivant désormais. Ce nouvel acte provoque des rapprochements, des résistances parfois, lorsqu’il s’agit d’organiser les espaces mis à disposition ; des outils de travail qui accueillent toujours des activités artistiques : répétitions, ateliers de recherche, tournages… « Nous n’avons ni la capacité ni la volonté de clore les occupations, même si l’arrivée de nouvelles revendications et de nouvelles personnes nous questionnent, déclare Sandrine Mini, la directrice du Théâtre Molière, qui témoigne cependant du dialogue constructif et de la tonalité bon enfant qui règnent à Sète. Tandis que l’expression du gouvernement tend à un statu quo, renforcé par la convalescence de notre ministre de tutelle Roselyne Bachelot, et nous renvoie la responsabilité des occupations, le danger est de laisser mettre le feu à nos maisons. Or des propositions existent qui pourraient apporter des réponses rassurantes. À la place, on assiste à un drôle de bazar. »

Qui sème le mépris, récolte la colère
Ouverture illégale comme au Théâtre du Grand-Rond à Toulouse, pour trois courts spectacles programmés le 20 mars ; assemblée générale accompagnée de performances d’artistes comme au théâtre municipal de Mende ; occupation tournante comme à Perpignan, Peyrestortes et Alénya où repas en extérieur et réunions rythment les rendez-vous organisés en journée… Voilà donc le « drôle de bazar » qui se joue en Occitanie depuis un mois, en France aussi, alors que le huis clos se prolonge pour le monde de la culture et qu’il est restauré pour la population depuis le 5 mars. « Pourquoi ne pas nous permettre d’anticiper la réouverture des lieux culturels ? Pourquoi ne pas nous faire confiance ? conclut Sandrine Mini. Ne serions-nous donc ni essentiels ni sérieux ? Or, aujourd’hui, nous avons besoin d’un plan de sortie de crise ; c’est urgentissime. » Dont acte ?

 

De Neruda à Socrate, en passant par… Bachelot
« Je sais aussi, avec Pablo Neruda, que le printemps est inexorable. » Ainsi parlait Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, le 14 décembre dans une allocution. Inexorable, comme inévitable. C’est ainsi que les acteurs de la culture et du spectacle vivant comprennent le mot du poète chilien lorsqu’ils lancent les 20 et 21 mars un appel aux ouvertures des lieux culturels en contravention des restrictions sanitaires en vigueur et des consignes de fermeture des lieux culturels. Non pas que blanc-seing soit donné à la locataire de la rue de Valois, au regard du mouvement social qui se joue autour et dans les théâtres ou les salles, car Pablo Neruda dit autrement autre chose dans « J’avoue que j’ai vécu » : « La vie des vieux systèmes a éclos dans les énormes toiles d’araignée du Moyen Âge… Des toiles d’araignée plus résistantes que l’acier des machines… Pourtant, il existe des gens qui croient au changement, des gens qui ont pratiqué le changement, qui l’ont fait triompher, qui l’ont fait fleurir… Mince alors !… Le printemps est inexorable ! » N’aurait-il pas mieux fallu à Roselyne Bachelot, à l’instar de Socrate, énoncer qu’elle savait aussi qu’elle ne savait rien ?

 

Légendes photos :

1 – Théâtre Molière de Sète : depuis la veille, la Scène Nationale Archipel de Thau est occupée. Pour tenir, un ciné-club organisera des projections les mardis et jeudis vers 17h30, grâce à l’écran qui arrive. Deux pompiers veillent scrupuleusement au respect du protocole sanitaire.

2 – A l’issue de l’AG, qui a voté à l’unanimité l’adhésion au mouvement national Vendredi de la colère, on discute des actions de communication en plus petit comité.

3 – Vincent Moulier, « citoyen, musicien et poète – des gros mots ! », est venu avec son sac de couchage, sa flûte à bec et son ampli.

4 – 17h30, le ciné-club va démarrer.

© FM/artdeville

5, 6 et 7 – Le 26 mars, à Toulouse, le collectif Aux Arts Etc. frappe les trois coups d’une scène qui vise à élargir le mouvement et favoriser la convergence des luttes sociales.
Tandis que Quasimodo incarne la cour des miracles qui se déplace jusqu’à l’agence Pôle Emploi du quartier Saint-Michel à Toulouse, les personnages donnent la voie aux revendications de tous les intermittents de l’emploi.
© Alain Pitton

8 – Le CCN-ICI, à Montpellier, est occupé depuis le 12 mars et figure parmi les tout premiers lieux de la mobilisation.

9 – CCN-ICI, à Montpellier : une assemblée générale se tient tous les jours à 14h, sur le parvis de l’Agora. Juste après, quelques participant-e-s se sont attardé-e-s et acceptent de poser.

10 – CCN-ICI, à Montpellier : Julien, comédien, et Maud, musicienne, chevilles ouvrières du mouvement d’occupation.

© FM/artdeville