
La mairie de Toulouse n’en voulait pas. Vraiment pas. Pourtant, ce projet prévu dans le quartier de Lardenne n’avait rien d’extraordinaire. Quinze appartements avec combles aménagés, un bâtiment collectif d’un étage comme on en trouve des centaines dans l’agglomération. La Ville s’y est opposée par deux fois, ne lui accordant pas le permis de construire. Face à ces refus qu’ils ont considérés infondés, les porteurs du projet, M. Martin (*), propriétaire de la parcelle à construire, et son agence My Architectes ne s’en sont pas laissés compter. Il ont mené un front judiciaire plutôt rare contre la collectivité. Et cinq ans plus tard, le 15 septembre 2023, les juges du Tribunal administratif de Toulouse leur ont donné raison, imposant à la Ville de délivrer le permis. « La mairie a usé d’arguments abusifs pour rejeter notre projet. Cela lui est facile car elle est en position de force ; la saisie de la justice administrative est très longue et coûteuse. Il est difficile de contrer ce type de décision. Mais nous avons malgré tout choisi de saisir la justice pour aider le propriétaire, proche d’un membre de notre cabinet », explique Yvan Lacombe, dirigeant du cabinet My Architectes. « La première demande de permis de construire, déposée en octobre 2018 par notre client, a été rapidement mise en suspens par la mairie. »

Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?
Cette affaire a démarré le 9 janvier 2019, date d’un arrêté dit de « sursis à statuer » de la mairie de Toulouse sur la première demande de permis de construire. Autrement dit, la Ville a décrété qu’elle ne pouvait examiner ladite demande alors qu’approchait le vote sur le PLUiH (Plan local d’urbanisme intercommunal tenant lieu de programme local de l’habitat de Toulouse Métropole). Les services d’Urbanisme ont considéré que le projet porté ne serait pas autorisé dans ce nouveau cadre. Et si le document d’urbanisme fut entériné quatre mois plus tard, ledit sursis à statuer portait sur… deux années. Soit la durée maximale autorisée par la loi. De quoi tuer un projet immobilier.
artdeville a pu consulter ce document. Sur le fond, la Ville reprochait au projet sa mauvaise inscription dans un périmètre dit « Élément bâti protégé » défini dans le futur PLUiH. Cette zone recouvrait une large partie du quartier de Lardenne. Plus précisément, les services d’urbanisme prêtaient au projet « une volumétrie massive, hors d’échelle et sans cohérence avec les entités bâties avoisinantes qui structurent la qualité du paysage urbain, ne garantissant pas le maintien d’une forme urbaine similaire à celle déjà existante […] ». Les concepteurs prévoyaient-ils un bâtiment « massif » ?
La décision est étonnante quand on sait que la mairie n’a pas eu ces pudeurs avec une autre demande de permis de construire, concernant une importante résidence senior située à proximité immédiate : « Les bastides de Lardenne ». Cet établissement privé comporte un pôle associatif géré par la Ville.
Construite en 2021, une grande partie de cette résidence se situe à seulement 60 mètres de la parcelle de M. Martin, sur le chemin Salinié. Or, l’ensemble est nettement plus volumineux, avec pas moins de 138 logements ! Le permis de construire a été délivré par la Ville le 26 septembre 2018, soit quelques jours avant le dépôt de la demande de permis pour le projet porté par M. Martin et l’agence MY Architectes, datée du 19 octobre. Faites ce que je dis, pas ce que je fais ?
L’arroseur arrosé
Objet supplémentaire des récriminations communales : l’édification du petit immeuble nécessiterait la démolition de la maison appartenant au propriétaire foncier. Datant du 19e siècle, cette bâtisse est constituée de « plusieurs corps, qui, de par les matériaux présents (brique et tuile notamment), la composition de ses façades (ouvertures, rythmes, travées) et les éléments qui les composent (corniches, …), est caractéristique de l’architecture traditionnelle Toulousaine », expliquait la mairie en 2018 dans son arrêté de sursis à statuer.
Six ans plus tard, cette argumentation fait encore sortir de ses gonds Yvan Lacombe. « Depuis quand une commune interdit-elle à un propriétaire de disposer de sa maison à sa guise, dans la mesure où celle-ci n’est pas classée ? A-t-on encore la possibilité d’exercer notre droit du sol ?! », s’insurge-t-il.
Dans une première phase judiciaire, le propriétaire a contesté le sursis à statuer devant le Tribunal administratif de Toulouse, mais il a été débouté de sa demande. Un événement imprévu est venu lui redonner de l’espoir. Car deux ans après le gel forcé du projet, patatras ! Le PLUiH a été invalidé. C’est l’arroseur arrosé. Les principaux arguments s’opposant à son projet sont dès lors devenus caducs. M. Martin a alors décidé de déposer une nouvelle demande de permis, avec l’appui de son cabinet d’architecture. « Au vu de la ferme opposition affichée en 2018 par la mairie à notre projet, nous avons estimé qu’une nouvelle demande risquait malgré tout d’être retoquée. Nous avons anticipé, si tel était le cas, de saisir à nouveau la justice. Or, l’architecte signataire d’un projet ne peut faire de recours au Tribunal administratif s’il n’est pas lui-même demandeur du permis. Pour aider M. Martin, nous avons dès lors choisi de devenir co-déposant. En outre, nous avons fait le choix de ne pas nous inscrire dans la « revue de projet » coordonnée par la mairie en amont des demandes de permis, de par son caractère souvent chronophage et arbitraire. Avec là aussi un risque élevé d’un refus au bout du processus. Nous craignions également que le projet soit minoré ou dénaturé. Ce qui aurait lésé sa valeur et donc le propriétaire. Nous avons ainsi déposé la demande de permis directement », détaille Yvan Lacombe.


Une décision cinglante
Les craintes de l’architecte se sont avérées justes : le 8 octobre 2021, la mairie a rejeté la nouvelle demande, déposée trois mois plus tôt. Le nouvel arrêté était marqué par une nouvelle litanie de motivations négatives, justifiant de la mauvaise inscription du projet dans son environnement proche. Ces arguments reprenaient l’esprit des récriminations du sursis à statuer trois ans plus tôt.
Une bataille d’avocats s’est alors engagée pour deux ans. Le 15 septembre 2023, le Tribunal administratif a finalement tranché en une décision cinglante : « Le présent jugement censure l’ensemble des motifs par lesquels le maire de Toulouse a refusé de délivrer le permis de construire ». Les juges de la rue Raymond IV ont notamment argué que « […] Le projet consiste en la réalisation d’un bâtiment collectif en R+1 avec combles aménagés […], similaire en termes de gabarit aux constructions avoisinantes. […] La toiture du projet, composée de tuiles rouges toulousaines, ainsi que les façades, traitées en enduit clair et partiellement recouvertes de briques toulousaines, correspondent aux teintes et matériaux visibles dans le secteur ». La mairie, obligée de délivrer le permis de construire, n’a pas interjeté appel.
L’affaire ne s’est pas pour autant complètement terminée là. Début 2024, des riverains, ayant eu vent de cette décision judiciaire, ont formé huit recours gracieux auprès de la mairie pour obtenir l’annulation du permis de construire. La Ville nous a toutefois confirmé ne pas avoir donné suite à ces demandes. Est-ce cette pression des riverains qui a motivé le refus initial ? Ou est-ce le refus du cabinet d’architectes de participer à une « revue de projet » en amont de la demande de permis qui a pu être sanctionnée par la mairie ? C’est une « accusation infondée », répond la Ville, qui ajoute que « ce qui est incompréhensible, c’est le refus de s’inscrire dans un dialogue avec la collectivité en amont du dépôt de permis de construire, au bénéfice de la qualité des projets. Si les architectes conçoivent les projets, la collectivité conçoit la ville. Il est logique que ce dialogue s’instaure sur les projets importants ». Ces pré-instructions de projet, hors cadre légal défini, étaient toutefois fortement décriées par l’Ordre des architectes d’Occitanie l’an dernier (« Les architectes de la Ville rose voient rouge » – artdeville n°84 – Déc. 2023).
Chemin Salinié, les travaux vont enfin pouvoir être engagés, près de dix ans après la première esquisse. Le premier coup de pioche est prévu pour 2025. Reste toutefois encore une ultime étape juridique : l’agence My Architectes a récemment fait une demande de permis modificatif pour améliorer les fenêtres des toitures ! « Si jamais il nous était refusé, nous pourrions néanmoins construire selon les bases du permis accepté», se rassérène Yvan Lacombe. « Si ce combat a pu nous coûter quelques milliers d’euros en frais divers, notamment d’avocats, nous l’avons mené aussi pour montrer à nos consœurs et confrères qu’il est possible d’obtenir gain de cause face à l’arbitraire de la mairie », souligne l’architecte. Le meilleur conquérant est celui qui sait attendre, disait Lao-Tseu.
* Nom d’emprunt
Légendes
– « Le projet consiste en la réalisation d’un bâtiment collectif en R+1 avec combles aménagés […], similaire en termes de gabarit aux constructions avoisinantes » ont dit les juges. Qui n’ont pas estimé qu’il y avait lieu d’interdire la démolition de la maison. – Image du projet : MY Architectes
– Quoique bien plus massive, cette résidence qui abrite un pôle associatif de la mairie se situe à seulement 60 mètres de la parcelle de M. Martin, cerclée en rouge. Elle a été construite en 2021 en lieu et place d’une très belle maison (ci-dessous, en 2018)