Attenante au Pôle d’Échange Multimodal inauguré en 2020, l’ancienne gare en pierre de Lunel, avec son double escalier majestueux, a retrouvé une belle visibilité. « Fermé depuis 2014, le bâtiment était caché derrière un rideau d’arbres et avait été oublié dans la mémoire collective, raconte Mathilde Tournyol du Clos, architecte en charge de la permanence du lieu. Après avoir servi de logement de chef de gare, de centre de formation et d’appartements de cheminots, l’ancienne gare a ré-émergé dans le conscient des habitant(e)s et connaît aujourd’hui une quatrième vie ! »

La Preuve par 7
Ouvrage d’art et de soutènement aux voies de chemin de fer encore en activité, l’ancienne gare, datant du XIXe siècle, ne peut être ni vendue ni cédée. À l’instar de 6 000 bâtiments désaffectés en France, elle est la propriété de SNCF Voyageurs (le groupe détenant cinq SA).
Dès lors, s’est posée la question : que faire d’un bâtiment public qui coûte de l’argent mais fait partie de l’héritage immatériel ? Comment le remettre en état, le rouvrir aux habitants et lui trouver de nouveaux usages ?
« Mon métier, c’est de remettre de la vie dans des friches industrielles, là où elle a disparu », exprime Gilles Thomas, responsable des sites stratégiques à la Direction immobilière territoriale Grand Sud de SNCF Immobilier. Sa rencontre avec La Preuve par 7*, qui a déjà à son actif plusieurs expérimentations de ce type, lui ouvre alors de nouvelles voies.
Le projet de permanence architectural devient central et fin 2019, la SNCF met à disposition une convention d’occupation précaire pour un petit local vacant dans le bâtiment voyageur de la gare actuelle où s’installe l’architecte Jacques Garnier. Cette pré-permanence permet de tisser les premiers liens, puis en 2021, le projet se met en place sur le long cours avec l’installation de Mathilde Tournyol du Clos, cette fois dans l’un des appartements de l’ancienne gare. « Le soutien du ministère de la Culture, de la Cohésion territoriale et la Fondation de France a donné de la crédibilité à ce projet dont sont parties prenantes SNCF Immobilier, la Ville, la Communauté Communes du Pays de Lunel et la Banque des Territoires, précise l’architecte. J’ai pu alors constituer une équipe de cinq personnes (dont deux étudiants en architecture) et, après quelques travaux d’embellissement, nous avons occupé l’un des quatre appartements (70 m2). »

Du lien social
Très impliquée dans l’habitat participatif, Mathilde Tournyol du Clos souhaitait faire émerger une programmation et des usages répondant en temps réel aux besoins du territoire. « Pour ce projet, il m’a semblé primordial d’étudier la mémoire passée mais aussi la mémoire vivante du lieu, dit-elle, d’autant que Lunel est une ville très stigmatisée. D’anciens cheminots sont venus nous voir et nous ont raconté leur vécu. Il fallait aussi créer un lieu qui ne soit pas intimidant et dans lequel émane une capacitation, où les gens pourraient se réapproprier leur citoyenneté. En accord avec nos cofinanceurs (le projet est de l’ordre de 90 K€ HT par an), nous avons identifié quatre axes : l’accueil, la mobilité, la création artistique et la formation. »
En 2022, la permanence a rencontré plus de 400 personnes ou associations, engendrant l’organisation gratuite de divers évènements : apéros mensuels autour d’une carte et d’une maquette, expositions, journées bien-être, café associatif et dégustation de soupes avec l’association Au p’tit rendez-vous, ateliers de réparation de vélos sur le parvis, ou encore formations pour les jeunes éloignés de l’emploi. « La seule consigne était la solidarité intergénérationnelle. À chaque projet s’ouvre une page blanche qui fait naître des moments précieux de partage, d’émotion. »

Contraintes juridiques et administratives
Loin d’être un long fleuve tranquille, l’expérimentation s’est souvent heurtée à des imbroglios juridiques. À commencer par la mise à disposition d’une partie de l’ancienne gare. « Lorsque je suis arrivée, le terrain venait de changer de domanialité et n’était plus un terrain public ferroviaire mais un domaine privé ferroviaire, se rappelle l’architecte. Il a donc fallu imaginer un autre outil issu du Code civil : le prêt à usage qui n’avait jamais été utilisé par SNCF ! Cette expérimentation a ainsi ouvert de nouvelles voies quant aux démarches à adopter selon chaque typologie de patrimoine. De même, l’ouverture de fenêtres dans la permanence a été un véritable casse-tête, très frustrant pour un architecte car il a fallu faire appel à une entreprise habilitée par SNCF. J’espère que ces expériences feront école. »
Après deux ans d’expérimentations, l’architecte vient de terminer sa mission. À l’heure ou nous bouclons artdeville, rien ne garantit que la permanence soit reconduite.
« Inertie politique, manque de vision stratégique… nous n’avons pas pu remplir complètement notre feuille de route, regrette Mathilde Tournyol du Clos. Le projet a pourtant remporté une vraie adhésion citoyenne, ce serait dommage que l’histoire s’arrête ! » Réponse dans le prochain numéro.

La Preuve par 7

Démarche expérimentale d’urbanisme et d’architecture et de paysage, La Preuve par 7 est un projet initié par Patrick Bouchain, pionnier du réaménagement de lieux industriels en espaces culturels (Le Lieu Unique à Nantes, La friche de la Belle de Mai à Marseille, la Condition publique à Roubaix ou encore le MIAM, à Sète). Alors que le contexte est très normé, La Preuve par 7 promeut le recours à des approches inédites, à de nouvelles manières de construire la ville collectivement et à des expérimentations sur le terrain pour dégager des jurisprudences qui pourront, en retour, inspirer la loi, les politiques publiques et légitimer des pratiques de la société civile.

Légendes :

1 – SNCF a rouvert une ancienne gare à tous les publics et tente de la transformer en lieu de vie et d’expérimentation collective.
Copie d’écran https://lecoleduterrain.fr/

2 – Remettre de la vie dans des friches industrielles, tel est l’enjeu. © H. Padilla

3 – Lors d’un vernissage, à l’ancienne gare de Lunel (34). © Marielle Rossignol