En mai dernier, le Centre National de Cinéma (CNC) dévoilait la liste des 68 candidats retenus par La Grande Fabrique de l’Image, appel à projets doté d’un budget de 350 millions d’euros. Parmi les onze lauréats*, en Occitanie, figure l’Héraultais Pics Studio et son ambitieux projet de pôle cinématographique (43 000 m2), porté par l’aménageur GGL group et le promoteur Groupe SPAG. « Cette labellisation, qui vient récompenser quatre années de travail, nous apporte une vraie légitimité auprès de la profession, se félicite Alain Guiraudon, président de GGL. Cela nous rend également très crédibles auprès des partenaires pour boucler notre plan de financement. »
Déclaré d’intérêt général à l’issue de l’enquête publique du 9 et 10 juillet 2023, le projet de Saint-Gély-du-Fesc, dont le montant global de l’investissement avoisine 200 millions d’euros, est sur les rails pour relever le défi du plan France Relance 2030 : hisser la France au rang de leader européen des tournages et de la production numérique. Quant à l’empreinte écologique de ses bâtiments qui s’implanteront en lieu et place d’une vaste pinède, sur la Zac des Vautes, ses promoteurs affirment vouloir être « exemplaires sur ce sujet »

Un enjeu international
La partie n’est pourtant pas gagnée car le pays est à la traîne : avec 23 studios pour 58 000 m2, l’Hexagone se classe en quatrième position en Europe, juste derrière la Hongrie (4 studios pour 62 000 m2) et à des années-lumière du Royaume-Uni (40 studios pour 360 000 m2). Face aux grandes plateformes de production (Netflix, Amazon, Disney, Apple TV…) qui génèrent un volume de travail inédit, la France se contente, pour l’heure, de récupérer les reliquats des pays européens saturés. « Pour satisfaire la demande mondiale de contenus, il faudrait 2 000 studios, or dans le monde il n’y en a que 1 000, constate Sébastien Giraud, directeur d’exploitation de Pics Studio. Pourtant les producteurs sont prêts à tourner ici. »
Studio de cinéma à ciel ouvert, la Région Occitanie arrive en effet en seconde place, après l’Île-de-France, en matière d’attractivité pour les tournages (plus de 3 000 jours de tournage en 2022). Le succès des trois séries (Ici tout commence, Un si grand soleil et Demain nous appartient) a contribué à dynamiser un véritable cluster. Aussi, les groupes GGL et SPAG ont bien l’intention de jouer un rôle majeur dans la cartographie cinématographique, même s’ils n’en ont pas forcément la culture.
« Suite à la lecture du rapport du CNC en 2019 sur la désuétude des infrastructures cinématographiques dans un pays qui a tout de même inventé le cinéma, nous nous sommes questionnés sur l’opportunité d’ajouter un nouveau métier alors que nous sommes déjà très impliqués dans l’art, la gastronomie, la viticulture ou la santé, concède Alain Guiraudon. Mais en tant que passionnés d’art et aménageurs, donc propriétaires de fonciers, nous nous sommes sentis légitimes pour monter un projet solide et faire en sorte que Pics Studio ne soit pas qu’un plateau de tournage mais une marque ombrelle, lisible à l’international. »

La preuve par trois
Déjà propriétaires du terrain de 14 hectares à Saint-Gély-du-Fesc, les deux aménageurs ont déposé le permis de construire de ce qui sera le futur vaisseau amiral de Pics Studio : un complexe de huit plateaux (de 500 à 3 000 m2) sur 11 800 m2 de bâtis, intégrant les meilleurs outils de pointe et de la technologie numérique (dalles, leds, ateliers de construction, VFX, studios de post-production, prestataires techniques…) ainsi que des espaces naturels pour les tournages extérieurs (backlot). Limitrophe, un campus universitaire, avec logements étudiants, sera dédié au secteur de l’audiovisuel et du cinéma. Deux autres sites satellites structurent le projet : l’un à Fabrègues, sur l’emplacement de l’ancienne usine Schneider, qui accueillera quatre studios de tournage supplémentaires (de 800 à 1 500 m2), des outils post-prod son et des ateliers de construction de décors ; l’autre, situé à Pérols, offrira un ensemble de 125 écolodges de haut standing et des espaces de vie pour les équipes de tournage.
Avec ces trois sites, les producteurs auront tout à portée de main, le projet étant bâti autour du concept anglo-saxon du one stop shot, sorte de all inclusive (tout compris) où tous les maillons de la chaîne de production, de la formation à la livraison du film, sont rationalisés sur un même lieu.

Attractivité et retombées économiques
Avec ce projet, Pics Studio entend irriguer l’ensemble de la filière des industries culturelles et créatives. Plusieurs studios se sont d’ailleurs rapprochés des deux aménageurs pour intégrer le futur « village des entreprises ». C’est le cas notamment de l’un des lauréats de l’appel à projets, le studio parisien d’effets spéciaux The Yard, installé pour l’heure au millénaire à Montpellier.
« Pouvoir candidater au travers d’un écosystème complet augmente les challenges de capter des projets internationaux et cela favorise les synergies », assure le superviseur Laurens Ehrmann, qui a également signé un partenariat avec ArtFX (école d’effets spéciaux pressentie pour rejoindre Pics Studio). D’autres ont emboîté le pas : Darkmatters (prod virtuelle), Titra (école de doublage), Saraban (post-prod), Decipro (fournisseur matériel audiovisuel), Caméléon (prod vidéo) ou encore Panavision (conception caméras et objectifs) et Panalux (éclairage scénique).
« Le projet n’aurait pas de sens sans l’écosystème déjà en place mais qui reste encore très axé TV, convient le président de GGL. Il faut donc l’upgrader sur le cinéma international. Benoit Jaubert, le producteur de Mathieu Kassovitz, et les frères Russo, réalisateurs et scénaristes, nous ouvrent leur carnet d’adresses et nous donnent des clés pour mettre en place un modèle adapté et pensé sur plusieurs décennies. Nous créons vraiment un site à partir d’une feuille blanche en nous appuyant sur les forces vives de la région. »
Si tous les feux sont au vert, l’opération pourrait générer jusqu’à 2 000 emplois. Les travaux devraient démarrer en 2024 pour les premières livraisons l’année suivante. SV

Impacts sous-estimés

Lors d’une conférence de presse sur site, à St-Gély-du-Fesc – 14 hectares d’une colline boisée de pinède, oliveraie, peupleraie noire et une petite zone humide –, la question sur l’impact écologique du projet Pics Studio a vite été posée. Présente dans cet écrin verdoyant du luxueux lotissement résidentiel des Vautes, ce 8 avril 2022, la présidente de la Région Occitanie Carole Delga était venue témoigner de son soutien résolu au projet. C’est elle qui a ainsi répondu aussitôt à la première question de La Tribune : quid de l’empreinte carbone des bâtiments ? « Ce seront des bâtiments à énergie positive », a-t-elle rassuré, tandis que Sébastien Giraud, directeur d’exploitation, acquiesçait : « On a pris un bureau d’études justement pour être exemplaires sur ce sujet » ; « c’est aussi une exigence de la commune », ajoutait Michèle Lernout, maire de St-Gély-du-Fesc. Quant à la question de l’impact sur la biodiversité posée par artdeville ? « C’est réglé », « il n’y a pas de sujet », balayèrent en canon élus et promoteurs. Un an plus tard, la commission d’enquête concluait, certes, par un avis favorable cet aspect sensible du dossier. Pour autant…

Les études nécessaires à la mise en compatibilité du plan local d’urbanisme, rendues obligatoires par le projet (d’où la commission d’enquête) ont, elles, répondu plus précisément aux questions des journalistes. En y apportant des nuances. Et il y avait bien un « sujet », finalement : « Certains enjeux et impacts semblent sous-estimés concernant la biodiversité, le projet impliquant l’altération voire de la destruction totale de milieux naturels sur près de 10 ha, avec des effets significatifs sur les espèces faunistiques qu’ils abritent et les continuités écologiques au sein du secteur », pointait la mission régionale d’autorité environnementale (MRAe). Cinq espèces de chiroptères et cinq espèces de reptiles protégées sont en effet présentes sur le site. La MRAe recommandait « de compléter l’état initial par la potentielle présence de la pie-grièche à tête rousse et la pie-grièche méridionale » dans l’oliveraie. L’Autorité environnementale s’étonnait par ailleurs que la mise en 2×2 voies de liaison intercantonale d’évitement nord (LIEN) soit également citée « comme atout pour le projet pour en améliorer l’accès. La MRAe rappel[ait] que dans son avis sur le LIEN émis le 28 septembre 2021, elle faisait état des conséquences à échelle locale de cette liaison sur l’extension de la périurbanisation, sans faire état d’actions ou de décisions concertées permettant d’éviter que ce projet devienne un facteur de développement urbain mal maîtrisé et induise une consommation d’espaces ayant des incidences environnementales ».
Si on considère encore « le risque majeur de feu de forêt », « le dossier ne démontre pas que l’implantation envisagée du projet est le fruit de la recherche du moindre impact environnemental dans le choix du site », ajoutait la MRAe.

À nouveau interrogé sur l’enjeu écologique fin septembre 2023 par artdeville, Sébastien Giraud, directeur d’exploitation, affirme que tout a été mis en œuvre pour faire de Pics Studio « un outil de décarbonation exemplaire. » (sic). « Lorsque nous avons présenté le projet au conseil municipal de Saint-Gély-du-Fesc, la majorité et l’opposition ont voté pour, y compris les Verts. » C’est inexact puisqu’une élue municipale (gauche – non encartée), Christine Pujol, a voté contre. Elle a également émis un avis défavorable lors de la commission d’enquête pour les raisons ci-dessus évoquées. Pas de quoi faire douter Sébastien Giraud : « Nous allons garder une partie de la pinède, l’idée étant de créer un outil technologique performant sur St-Gély-du-Fesc tout en optimisant les conditions d’accueil avec un cadre vert. Pics Studio souhaite ainsi se démarquer des studios existants qui ressemblent souvent à de grandes zones industrielles. Au-delà de l’aspect purement écologique, il y a bien sûr un aspect commercial. D’autant que dans les tuyaux de la commission européenne arrivent des conditionnements de réalisation de films en fonction de leurs résultats carbone : en ayant un score carbone élevé, Pics Studio deviendra très concurrentiel. D’ailleurs notre projet est scruté par Pinewood, studios anglais renommés. Comme nous partons de zéro, nous avons volontairement choisi de pousser les curseurs environnementaux même si cela a un coût : utilisation de béton bas carbone, acier recyclé, bois, géothermie, photovoltaïques, choix des orientations, vaporisation d’eaux naturelles, calories récupérées des data center pour chauffer l’eau sanitaire… Pics Studio va créer un outil exemplaire qui, mécaniquement, incitera les autres à se verdir. » SV-FM

* Les onze lauréats vont bénéficier d’un engagement financier de l’État à hauteur de 51 millions d’euros, l’Occitanie étant la première région après l’Île-de-France en nombre de projets soutenus. Montpellier et les environs : Pics Studio, France.tv studio, Mathematic (effets spéciaux), The Yard (effets spéciaux), The Gamebakers (jeux vidéo), Travelling (cinéma audiovisuel), Audio Workshop (son), ArtFx (effets spéciaux) ; Toulouse : Tat Studio (film d’animation) et D.E.F.I.P (cinéma-audiovisuel) ; Soler (PO) : Idem Formation (audiovisuel, effets spéciaux, jeux vidéo).

Légendes :

1 – Sur le site d’implantation principal, le vestige d’une clôture interdisant l’accès à cette
partie de nature en sursis préfigure une entrée possible des futurs studios de cinéma
© FM/artdeville

2 et 3 – Le projet à dimension internationale de Pics Studio, à  St-Gély-du-Fesc (34). Ill. Copie d’écran du film de présentation sur  www.pics-studio.com