Ce qui frappe d’emblée dans le travail de Jean-Luc Favéro, c’est la grande virtuosité du geste. Dans la pénombre du porche d’accès à la Maison des Consuls, on découvre une première œuvre monumentale réalisée à partir de bidons en fer-blanc. Elle représente le profil d’un cheval. Tout y est déjà. Ce jeu avec la lumière, la précision de l’assemblage, une certaine ironie à transfigurer le banal en merveilleux. Pas si bidons a-t-on envie de dire ! Chaque reflet gris sculpte un détail anatomique de l’animal. Bien calé sur son socle en chevrons de pin, le bas-relief impose sa puissance symbolique. L’œuvre a, au passage, retenu l’attention de la prestigieuse maison Hermès, avec laquelle Jean-Luc Favéro a noué une collaboration.

L’art qui nourrit
Dessinateur depuis toujours et étudiant très heureux des Beaux-arts de Toulouse – qu’il quitte néanmoins juste avant son diplôme – Jean-Luc Favéro admet son statut d’artiste plus qu’il ne le revendique. « L’art est ce qui rend la vie plus belle que l’art », expliquait-il simplement lors de l’inauguration de Supernature, le 24 mai dernier, paraphrasant Robert Filliou. Il y a « l’art qui me fait vivre, le plus classique, et celui qui [me] nourrit », explique-t-il encore à Lise Crespy, co-commissaire de l’exposition, dans le livret qui lui est dédié.
Mais par-delà la formule séduisante qui pourrait laisser croire que l’artiste dédaigne la part a priori plus traditionnelle de son travail, on découvre que son trait d’esprit dit tout autre chose. L’art est toute sa vie, voire sa survie. Enfant, souffrant de tocs, « on l’installait à une table avec une feuille et des crayons, seul moyen qu’il se tienne tranquille et calme ses obsessions », témoigne la biographie de son site internet. Selon la même source, c’est sa « manière de canaliser ses troubles et son énergie, de leur donner forme, et par là même de se défouler, de s’épuiser physiquement et de guérir ». Ainsi, au fil des salles de l’exposition, découvre-t-on au contraire un être entier dont l’expression forme un tout : un art supernaturel, radical, dans le sens enraciné.

L’après-histoire
Certes, Cerf transfiguré, dans la première, tient clairement plus de l’installation conceptuelle que de la sculpture académique. Les murs blancs de la première pièce du musée ont été occultés par des rideaux noirs, une enveloppe, tente ou double peau sous laquelle ledit cerf se trouve lui-même augmenté en une sorte d’exosquelette, résille en grille de poule aux formes coralliennes. À son tour, celle-ci sert d’écrins aux véritables crâne et bois du cerf qu’elle dessine, à des brins végétaux secs, une plume, et là, un flacon d’eau bénite en forme de Vierge Marie ! Pour Jean-Luc Favéro, il s’agit d’un « super animal », préfiguration d’une « supernature » née dans « l’après-histoire », celle post Fukushima, qui aurait potentiellement vu se recomposer les atomes de toute chose selon la loi darwinienne.
Aussi ésotérique que ce récit puisse paraître, pourquoi placerait-on cette œuvre parmi les « conceptuelles » ? Même si Jean-Luc Favéro lui-même fait la distinction, comment ne pas noter la récurrence d’une présence figurative dans son travail ? Transfiguré, son cerf n’en est pas moins parfaitement représenté.

Impressionner par la lumière
A contrario, salle suivante, ses paysages au brou de noix ont beau sembler à un exercice très académique et ravir aussitôt le visiteur par la dextérité de la touche, la vraisemblance des rendus – profondeur de champs et contrastes sépia… Ils sont peints in situ alors que Jean-Luc Favéro se laisse trois heures durant environ « impressionner par la lumière » qui filtre au travers la quiétude des sous-bois, monts ou vallées tarnaises. Pour lui, il s’agit de « photos-lumière et graphe-écriture ». On pense à Soulages… L’un et l’autre, sculpteurs de lumière.
Mais le support n’est pas un papier ordinaire. Il s’agit des pages de livres de comptes trouvées par hasard (dans le recoin du hangar qu’il partageait avec des amis ou dans sa vieille ferme où il vit, sans doute). On retrouve alors l’ironie. Ce travail a priori « classique » qui le fait vivre, alimentaire, nous laisse-t-il croire, se teinte soudain d’une douce dérision qui, elle, n’a rien de hasardeuse. Suffisante pour basculer parmi l’art dit « conceptuel » ? Pourquoi pas ?
De même, ces tableaux représentant encore des chevaux qui occupent les deux dernières salles… L’économie de moyens – une constante chez Favéro « synonyme d’écologie », dit-il – contraste littéralement avec la force spectaculaire du rendu. Sur d’authentiques tableaux noirs de classes d’antan, l’artiste nous administre mine de rien (craie et pastels secs) une leçon magistrale tel le maître qu’il est. Mais l’académisme du sujet et son interprétation lumineuse, voire extralucide, nous éclairent surtout sur le caractère fragile et précieux de cette Supernature qu’il nous montre. À la manière d’Homo Sapiens sur les parois de grottes préhistoriques, Jean-Luc Favéro nous conte une « après-histoire », rappelant sans intention didactique mais non sans malice que l’art, fût-il pariétal, a toujours été contemporain de son époque. Seul le talent compte.

Moses Akintounde

Lors de l’inauguration de l’exposition, le danseur Moses Akintounde a subjugué le public. Pleine d’énergie et d’émotion, sa prestation – littéralement, un préambule à la visite – revisitait l’espace extérieur et intérieur du musée, jusque dans ses recoins les plus improbables. Dans l’architecture remarquable de ce lieu, un moment de puissance et de grâce inattendu qui a fait battre le cœur de près d’une centaine de visiteurs à l’unisson.