Pour son exposition à la fondation GGL, au sein de l’Hôtel Richer de Belleval à Montpellier, l’artiste iranienne Nazanin Pouyandeh a choisi un titre subtilement provocateur, brandi comme un étendard : Désobéissantes. « En tant que femme peintre iranienne, on veut souvent me mettre dans des cases définies mais je désobéis à cela car je défends avant tout dans mon travail une grande liberté, affirme Nazanin Pouyandeh. Le titre est aussi un hommage aux femmes iraniennes dont le combat me touche : au péril de leur vie, elles défendent leur liberté fondamentale. En fait, Désobéissantes peut se lire sur plusieurs niveaux, mes héroïnes sont maîtresses de leurs destinées, elles ont un caractère affirmé, elles sont courageuses mais ne font jamais ce qu’on attend d’elles. Au spectateur de laisser libre cours à son imaginaire. »

Un art engagé
L’inauguration de cette exposition intervient quelques jours seulement après la mort accidentelle du président iranien Ebrahim Raissi, surnommé le boucher de Téhéran. Une concomitance qui télescope frontalement deux univers, ode à l’amour et à la vie d’un côté, répression sanguinaire et assassinat de l’autre. Si la nouvelle de ce décès a pu ébranler certains idolâtres du Moyen-Orient, elle indiffère une partie du peuple iranien. « Personne autour de moi n’est triste, confirme Nazanin Pouyandeh. Il y a dans le peuple iranien un côté assez mythologique qui fait dire que cet homme, qui a tué femmes et enfants, a eu son châtiment. Mais ce n’est pas un cri d’espoir car le régime est verrouillé. »
La répression, elle, est liée à l’histoire intime de Nazanin Pouyandeh qui a fui l’Iran à l’âge de 18 ans après l’assassinat, en 1998, de son père, l’écrivain Yaffah Pouyandeh, par les services secrets du régime théocratique. Comme de nombreuses femmes iraniennes, une jeunesse volée par l’intégrisme religieux et la guerre ! Ses amies, la plupart exilées, elle les peint, avec grâce et fermeté, souvent nues. Non pas en réaction aux lois de son pays où le corps est voilé, ce serait réducteur, mais plutôt pour faire triompher une liberté absolue, celle des corps, des mœurs, de la pensée… sans autocensure ni restriction.

La peinture est une histoire
Dans cette sélection d’œuvres puisées dans des collections privées, tout est profusion : la couleur – je reste sur une palette iranienne où tout est coloré car c’est comme cela que je vois le monde, dit-elle –, les éléments religieux entremêlés aux rituels païens, les figures mythologiques. La série Madeleine, Charlotte, Axelle et Jade en Lucrèce (violée par le fils du roi Tarquin, elle se suicida d’un coup de poignard) est un poignant hommage à l’histoire de l’art. « Mon travail est basé sur l’héritage visuel, exprime l’artiste. Souvent, lorsque j’allais dans des musées de peinture ancienne, les figures de Lucrèce m’interpellaient car j’y voyais une belle femme, nue, sensuelle qui se donne la mort. C’est aussi le sens de mon travail. La peinture est une histoire sans rupture, une continuation. Aucun artiste ne peut avoir la prétention de dire qu’il invente quelque chose, il suffit juste de regarder en arrière… les pharaons, l’art africain, la culture vaudoue, les estampes japonaises… Cette admiration, je l’introduis dans mon travail qui devient un métissage. La peinture est un jeu. »

En témoigne la grande fresque, réalisée in situ quelques jours avant l’exposition : une déesse divine, la reine du soleil, entourée d’une multitude de personnages. « Ce sont toutes des copines qui ont posé », s’amuse Nazanin Pouyandeh. Profondément humaniste, l’artiste s’approprie l’idée de créolisation pour produire un métissage inattendu, bouleversant.

Désobéissantes, Exposition du 31 mai au 9 novembre 2024 – Fondation GGL, Hôtel Richer de Belleval, Place de la Canourgue à Montpellier.